Il ne fallait pas être très perspicace pour voir que Creed noyait le souvenir douloureux de la jeune femme sur le cliché dans un flot d’alcool considérable. Une haine incommensurable. Une rage incontrôlable. Puis le vide total – une mélancolie virulente, et l’impression que l’on n’est plus rien. Alice fixait toujours Victor. Il décida finalement de se lever pour se saisir du cadre qui l’avait mis dans cet état et quitta la pièce, tel un zombie dénué d’expression. Alice le suivit des yeux, silencieuse – témoin d’un malaise prenant qu’elle avait provoqué. A peine eut-il quitté la pièce que les prunelles éteintes du lieutenant sondèrent encore l’obscurité du couloir avec appréhension, comme si rien de tout cela n’était fini. Il y eut le silence. Puis il y eut ce rugissement, signe que de l’homme brisé découlait la bête furieuse. La jeune femme ne put réprimer quelques sursauts à l’entente du bruit et fracas qui retentissaient dans le couloir. Elle ferma les paupières, enfouissant sa tête sous l’oreiller pour ne pas s’imposer cette situation perturbante. Il n’était plus là – et pourtant, c’est avec distinction que lui parvenaient ses rugissements colériques emprunts de la douleur d’un animal blessé.

Puis il y eut de nouveau le silence. Elle ignorait bien si Creed avait quitté le QG ou s’il s’était abandonné à un état second bien plus discret. Alice écouta longuement sa propre respiration, lente et singulière ; elle se sentait fiévreuse et fatiguée. Elle tenta à plusieurs reprises de ne pas s’endormir mais la lassitude l’accablait de tout son poids, sans oublier que cette dernière altercation l’avait laissé légèrement déboussolée. Elle ne mit pas longtemps à plonger dans un sommeil sans rêve, lourd et implacable. Légèrement recroquevillée sur elle-même, la jeune femme s’assoupit, n’ayant même pas la force d’aller éteindre la petite lampe de chevet qui éclairait faiblement la pièce.

Le lendemain matin, leur retrouvailles fut aussi glaciale que la veille. Pas un mot, pas un regard. La jeune femme se réveilla lorsqu’elle entendit le froissement des paquets qu’il avait précédemment laissé sur le pas de la porte. Elle était allongée sur le ventre et se redressa légèrement pour poser un regard dubitatif sur le mutant. Envolés les sarcasmes dont il paraissait être friand ! Il fallait dire qu’elle avait trouvé une bonne manière de lui clouer le bec… N’était-ce pas mieux ainsi ? Il ne s’était pas attardé bien longtemps. Après avoir rangé les vêtements dans l’armoire et s’être saisi d’une mallette bien mystérieuse, la silhouette imposante du mutant disparut de nouveau par l’encadrement de la porte. Le reste de la journée fut aussi silencieuce. Il se contenta de lui ramener de la nourriture et de repartir aussitôt. C’était assez perturbant pour que le lieutenant se demande même si cela n’était pas mieux lorsqu’ils s’adonnaient à leur joute verbale familière. Alice détestait le silence et l’ennui – cela lui évoquait des souvenirs et des questions qu’elle gardait habituellement dans son subconscient.

Et les jours passaient, toujours plus interminables et ennuyeux. Alice n’avait pas vu la lumière du jour depuis qu’elle avait été enfermée dans cet endroit et elle commençait à ressentir un poids immense l’assaillir sans qu’elle puisse y faire quoi que ce soit. Toujours la même rengaine – Creed lui apportait ses repas et déguerpissait aussitôt. Pas un bonjour. Pas un au revoir. Et pas même un regard. Quant à Alice, elle commençait à se sentir désespérément vide – assez vide pour qu’elle commence à se parler toute seule ou à griffonner pour ne pas définitivement perdre la tête. La seule chose qui la rattachait à l’extérieur, c’était la pendule qui tiquait lentement, lui rappelant comme elle était seule et désemparée. Cela devait bien faire deux semaines qu’elle était coincée dans cette chambre – elle avait tourné, tergiversé – comme une lionne en cage. Elle avait repensé à la réaction de Creed vis-à-vis de cette photographie. Elle avait repensé au Fédéraux qui étaient responsables de bien des crimes. Et puis elle avait repensé à son paternel qui devait sûrement s’arracher les cheveux d’inquiétude.

Lorsque Victor pénétra dans la chambre pour lui apporter son dîner, Alice était assise sur le lit – yeux rivés vers l’un des murs blancs qui la cernaient. Cela lui arrivait de plus en plus, de se taper des scotchs pareils sur ce qui l’entouraient. Et en général, c’était un signe avant coureur de ce qu’on pouvait appeler un « pétage de plombs ». Le mutant était toujours aussi silencieux et imperturbable et il se rendit jusqu’à la table dans le coin de la pièce pour y poser le repas. Alice reporta ses yeux sur lui, hésitante. Cela faisait bien deux semaines qu’ils ne s’étaient pas adressé la parole et elle voulait que cela cesse. Elle avait conscience que pour obtenir une trêve éventuelle, il faudrait qu’elle lui explique et lui fasse des excuses. Et même si elle n’était pas certaine qu’un mutant aussi têtu que Creed ne veuille donner considération à ses paroles, il fallait que cela sorte.

« Je dois te dire quelque chose. A toi de choisir si tu souhaites m’écouter ou non, cependant je ne ferais pas silence plus longtemps. » Déclara-t-elle sur un ton grave, mettant l’accent sur le sérieux de la situation. Pas de sarcasme. Pas de provocation. Elle souhaitait être sincère. « Je ne suis pas du genre à mentir. Je ne suis pas du genre à chercher un réconfort quelconque ou à vouloir être dans tes bonnes grâces – mais lorsque je dis quelque chose, c’est généralement avec franchise. »

Elle l’observait toujours, les sourcils légèrement froncés – signe de l’effort que cela représentait pour elle de faire un quelconque aveu.

« Excuse-moi. Je n’aurais pas du toucher à tes affaires. » Lâcha-t-elle en soupirant. « Si les Fédéraux n’étaient pas présents lorsque nous avons lancé cette fichue mission, c’est bien parce que moi et mon commissariat on ne les as pas mis au courant de ce que l’on comptait faire. La plupart du temps, ils sabotent notre travail et veulent établir leur propre justice. L’inculpé est mutant ? Alors il est forcément coupable et ils font force sur le système pour les trainer jusqu’à leur laboratoire. Nous là-dedans ? On n’est pas tous corrompus. On n’est pas tous à leur botte. On n’est pas tous des anti-mutants. Moi j’essaie de mettre un frein - parce que je suis une putain d’idéaliste qui croit encore qu’une trêve entre humains et mutants est possible. »

Elle était bien loin d’être austère – une pointe de nervosité avait fait ciller sa voix lors de cette dernière remarque.

« J’arrête les criminels. Qu’ils soient humains ou mutants. Moi je me bats pour une justice qui n’a plus lieu d’être dans cette société corrompue. Les Fédéraux représentent en réalité tout ce que je crains – car ils se servent de la crainte pour mener leur politique – et ils le font bien derrière notre dos. » Murmura-t-elle finalement, serrant le poing sous l’amertume qu’ils suscitaient en elle.

Elle redressa sa jambe, callant son menton sur son genou pour observer Creed, les lèvres closes dans une observation silencieuse. Elle souhaitait aussi lui dire qu’elle était navrée pour son « amie » mais cela aurait été bien inutile – et elle ne souhaitait pas en rajouter un peu plus au sujet de ce souvenir qui était manifestement très douloureux pour le mutant.

Manifestement, Creed l’avait écouté. Il aurait pu tourner les talons et quitter la pièce pour ne rien entendre de ce qu’elle avait à lui dire – jetant un voile d’indifférence sur elle comme il l’avait précédemment fait – et pourtant, il restait là. Après avoir lâché son monologue, la jeune femme se sentit plus légère, comme si tout ce qu’elle n’avait jamais osé dire était sorti d’un coup. Et pourtant, ça ne lui ressemblait pas beaucoup de venir s’expliquer auprès de quelqu’un – surtout si celui-ci se révélait être un criminel aux lourds antécédents judiciaires. Victor restait figé, assez sceptique pour que ça se lise sur son faciès brut. Il devait être sacrément surpris par son comportement ; ce retournement de situation qui ne lui ressemblait guère. A vrai dire, Alice était quelqu’un de judicieux et de réfléchi quand elle se donnait le temps pour ça – et elle pouvait même mettre sa fierté de côté pour quelques éventualités de ce genre.
Victor était loin d’être la brute sanguinaire qu’elle s’était imaginée – enfin, pour la brute sanguinaire, c’était indéniable – mais il lui avait bien prouvé qu’il s’attachait à bien plus que ce qu’il ne prétendait. Et que son vécu avait fait de lui ce qu’il était maintenant.
Mais elle ne savait presque rien de lui – et pourtant, elle avait cette impression curieuse de partager quelque chose avec lui. Colère ? Chagrin ? Amertume ? Elle chassa rapidement ses pensées perturbantes pour reporter son attention sur son interlocuteur.

Il était resté debout encore quelques secondes avant de s’affaler sur la chaise comme si son discours l’avait touché. Par ailleurs, il lui jetait un regard mêlant méfiance et appréhension qui la laissait perplexe. Il était resté là et c’était bien plus qu’elle n’avait imaginé de sa part. Il la fixait, sondant ses prunelles comme s’il comptait y trouver une quelconque marque de mensonge puis il daigna finalement prendre la parole.

« Je n'ai aucune confiance en ceux de ta race , toute ma vie j'ai vu les humains nous considérer comme des monstres mes frères et moi où au mieux comme des armes . Je sais par expérience qu'il ne faut jamais se fier à un humain , car tôt ou tard il nous trahi .."commença Victor d'un ton grave mais où ne pointait aucun sarcasmes "Pourtant pour une raison que je ne m'explique pas je pense que tu es sincère . Nous sommes tous les deux pressés que ce kidnapping prenne fin , malheureusement en attendant de ne plus avoir à se supporter tu vas rester ici un bon moment .Peut être que si nous y mettons chacun du notre , notre cohabitation forcée serait moins désagréable. »

Elle l’écouta – autant qu’il lui avait précédemment accordé son attention, et elle sentit sa gorge se nouer dans un malaise palpable. Le gouvernement avait forcé les mutants à devenir ainsi. Il les avait forcé à haïr leur prochain et à se protéger des humains de la sorte. Ils avaient été considérés comme des armes ou des monstres, et elle ne pouvait pas réfuter cela parce que c’était vrai. Désespérément vrai. Alice se doutait bien qu’elle ne pouvait obtenir la confiance de Creed – après tout, elle s’était bien mise à ses trousses dans le but de le tuer à plusieurs reprises. Mais elle ne voulait pas qu’il croit qu’elle le chassait pour des mauvaises raisons. Elle ne le traquait pas parce que c’était un monstre ou une arme redoutable – seulement parce qu’il était un meurtrier.
Le ton du mutant était grave et franc et il lui confia qu’il la pensait sincère malgré tous les aprioris qu’il avait au sujet de sa « race ». Cette mention lui faisait froid dans le dos. Il lui proposait donc une trêve ? Elle était surprise. Agréablement surprise. D’ailleurs, cela devait se lire dans ses yeux qu’elle avait grand ouvert en direction de son interlocuteur, mêlant perplexité et étonnement. Elle finit par hocher la tête et se redressa pour poser les pieds hors du lit.

« Je vais faire de mon mieux… » Murmura-t-elle en lui adressant un semblant de… sourire ?

Tu te ramollis ma pauvre fille… S’attaqua-t-elle en silence.

Lorsque Victor lui proposa d’appeler son père en lui tendant le cellulaire, la jeune femme considéra le petit appareil avec hésitation. Parler à son père ? Elle se sentit comme soulagée par cette nouvelle. Elle plongea ses yeux dans ceux de Creed comme pour percevoir une quelconque approbation puis elle saisit le cellulaire pour composer le numéro. Son cœur se mettait à battre la chamade, une certaine angoisse se mêlant au ravissement d’entendre la voix de son paternel à l’autre bout du fil. Elle porta le téléphone à son oreille - faisant quelques pas dans la pièce en signe d’inquiétude et lorsque la voix familière de Jack se fit entendre, elle ne put réprimer le soupir qui vint franchir ses lèvres.

« C’est Alice. » Lâcha-t-elle, saisie par cette drôle d’impression de ne pas savoir comment réagir.

« Alice ?! Mon dieu ! Est-ce que tu vas bien ? Où es-tu ? » Rugit Jack Drake, alerte et angoissé. « Est-ce qu’il t’a fait du mal ? »

Alice reporta sa main libre à son front, le frottant dans un signe gêné. Elle ne connaissait que trop bien cette voix. Elle ne connaissait que trop bien ce ton – c’était le même que lorsqu’il avait appris que sa femme avait un cancer et qu’elle mourrait probablement un an plus tard.

« Je vais bien. Je vais bien papa. Calme-toi s’il te plait. » Murmura-t-elle en tournant le dos à Creed, comme si elle ne souhaitait pas qu’il la voit converser avec son paternel. « Ne t’en fais pas pour moi, okay ? Je ne suis pas… maltraitée. »

Oh le joli mensonge – du moins, elle osait espérer qu’elle ne le soit plus. Maltraitée.

Le changement brutal de comportement de son ravisseur l’avait laissé sans voix. Il lui avait proposé d’essayer de rendre sa détention plus confortable, lui permettant de lui dire ce dont elle avait besoin pour lui fournir. Alice était restée immobile et l’avait fixé durant quelques secondes, comme si cela n’était qu’un canular qui serait aussitôt divulgué – et pourtant non. Victor Creed avait semblé être le plus sérieux du monde, à la plus grande surprise du lieutenant qui était restée pensive.

Elle était si contente d’entendre à nouveau son père – la seule voix qui lui semblait si familière et dont elle avait été privée durant ses deux dernières semaines. Elle se sentait si stupide de réagir comme ça – c’était une vulnérabilité qu’il lui était difficile de dissimuler. Elle fut rassurée de l’entendre, même si c’était pour s’adresser à elle d’une voix inquiète. Deux semaines sans parler à qui que ce soit, c’était plutôt dur à vivre. Mais il y avait cette situation plus paisible dorénavant, avec cette paix fragile dont elle et Creed s’étaient convenus – chose qui mine de rien, représentait beaucoup pour elle qui commençait à sentir le poids de la solitude l’envahir.

« Tiens bon ma chérie. On va te sortir de là. » Souffla un Jack désemparé.

Alice fronça les sourcils, se dirigeant vers le fond de la pièce pour occuper ses jambes dans un signe de nervosité. « Chérie » ? Il était bien loin le temps où il l’avait appelé ainsi. De toute manière, elle s’offusquait à chaque fois à cette appellation, rabrouant son vieux père en le traitant d’idiot. C’était fait avec gentillesse bien entendu – un truc entre père et gosse. Elle perçut le pas lourd de Creed se rapprocher d’elle et elle se tourna en sa direction pour poser ses grands yeux sombres sur lui, comme si l’accord convenu touché à sa fin. Il attira son attention de sorte à qu’elle comprenne qu’il avait des indications pour son paternel et Alice hocha la tête, chassant une mèche de cheveux qui venait de lui passer devant les yeux.

« Deux secondes papa. » Murmura la jeune femme en faisant un pas vers le mutant pour écouter ce qu’il avait à lui dire.

« Bon tu vas dire à ton père que je ne te relâcherais que si les feds libèrent une mutante dénommée Janelle Silann. Je le recontacterais plus tard pour lui donner le lieu et l'heure du rendez vous , je ne traiterais qu'avec lui seul .Tu resteras avec moi jusqu'à ce que Janelle soit en sécurité , je te libérerai immédiatement après. »

Elle l’écouta, attentive et patiente. C’était donc ça. Un échange ? Contre une mutante. La jeune femme joignit ses lèvres dans une moue dubitative. Les Fédéraux avaient toujours voulu se la jouer solitaire – et elle serait prête à parier qu’ils tendraient plus à la laisser crever ici plutôt que de répondre à cet échange. Elle secoua légèrement la tête avant de coller à nouveau le cellulaire contre son oreille pour transmettre les volontés de Creed au commissaire.

« Ils veulent faire un échange. Moi contre une mutante dénommée Janelle Silann, qui est entre les mains des Fédéraux en ce moment même. Il te contactera plus tard pour convenir du lieu de rendez-vous et de l’heure. Il ne veut qu’avoir affaire à toi et lorsque Silann sera en sécurité, il me libérera. » Expliqua-t-elle à son père qui paraissait soudainement distrait.

A coup sûr, il devait être en train d’essayer de repérer l’appel – elle le connaissait trop bien. Cependant, Alice pouvait se douter que la ligne était assez sécurisée pour que rien ne filtre de cet endroit. Jack ne pouvait pas avoir la garantie que sa fille soit libérée – cependant, cet échange était la seule solution pour espérer retrouver Alice en un seul morceau et cela, le commissaire en avait pertinemment conscience.

« Tiens le coup… » Lui lâcha-t-il dans un murmure avant qu’Alice ne perçoit le signe de Creed pour simuler la fin de la discussion.

« T’en fais pas pour ça… A bientôt, je dois te laisser. » Lui répondit-t-elle en laissant planer un vague sourire sur ses lèvres.

Elle raccrocha aussitôt – trop effrayée par la perspective que son père n’en vienne à lui dire qu’il l’aimait plus que tout au monde. Elle n’était pas très à l’aise dans les effusions sentimentales et même si ce n’était pas non plus le cas de son paternel, la jeune femme avait conscience que la détresse poussait à dire des drôles de choses. Bien sûr qu’il l’aimait – et elle aussi d’ailleurs. Les mots étaient inutiles dans ce genre de situation. Victor tendit la main en sa direction en espérant récupérer son du et Alice le lui glissa dans la main avant de retourner s’asseoir sur le lit. Elle était curieusement pensive et désarçonnée. La situation était vraiment curieuse.

« Je dois m'absenter , je serais de retour dans huit heures . Si tu as besoin de prendre une douche , il y a un appartement en sortant d'ici juste à droite . Tu as envie que je te ramène quelque chose en particulier de l'extérieur ? »

La voix grave de Creed la tira de ses pensées et elle planta ses yeux dans les siens de manière distraite, reformant ses paroles dans sa tête pour en saisir la teneur. Il lui parlait d’une nouvelle douche ? Parfait ! Elle avait du se doucher durant ces deux semaines dans une cabine encombrée de débris à cause de l’altercation qu’ils avaient eu. Ça n’avait pas été bien pratique et elle était ravie que le mutant se soucie un peu de son confort personnel. Elle resta silencieuse à l’observer quant à sa dernière question. Lui ramener quelque chose de l’extérieur ? Elle en venait maintenant à penser que la bête qui l’avait agressée deux semaines auparavant avait bel et bien disparue pour laisser place à un homme relativement attentionné. Elle haussa les épaules en guise de réponse, complètement secouée par ses dernières paroles.

« Hum… » Commença-t-elle finalement. « Je ne sais pas… De quoi m’occuper ça m’aiderait grandement à ne pas tourner en rond. Des bouquins ? Ou autre chose. A toi de voir. »

Elle fixa le sol un instant, peu sûre de saisir tout ce qu’il était en train de se passer, puis elle reporta de nouveau son attention sur le mutant.

« Merci… » Lâcha-t-elle dans un murmure hésitant.

Bah quoi ! Il aurait très bien pu la laisser mariner dans ses propres vêtements, attachée à un radiateur et un scotch sur la bouche pendant deux mois. Il fallait dire que sur ce coup là, elle était assez interloquée.

Les heures parurent interminables après le départ de Creed – Alice avait fait le tour de la pièce bon nombre de fois, réfléchissant aux dernières paroles échangées avec son ravisseur. Il s’était révélé être beaucoup plus humain et appréciable que ces deux dernières semaines et ça la laissait légèrement indécise. Elle était d’autant plus troublée qu’elle commençait à ressentir une certaine compassion à son égard – comment diable cela pouvait-il arriver ? Il avait massacré sans pitié tous ses hommes. Il lui avait laissé bon nombres de marques plus traumatisantes les unes que les autres. Et pourtant, elle ne ressentait plus cette haine incommensurable à son égard, et cela l’inquiétait plus que cela ne la rassurait. Ajoutons à cela le fait que ses cours de psychologie criminelle lui permettaient une compréhension plus aisée de l’individu qu’elle avait en face. Tous ses crimes n’étaient que le résultat d’une haine inextinguible envers ceux qui le considéraient comme une bête à abattre – comme un « monstre » incompris. Dans sa tête, il était en temps de guerre. Conditionné pour assouvir une vengeance sans limite, par les moyens les plus infâmes qui soient. Serait-t-elle touchée par le syndrome de Stockholm, désignant cette situation ou les otages commencent à ressentir une certaine empathie pour leur ravisseur ? A cette idée, la jeune femme se laissa tomber une nouvelle fois sur le lit, fixant de ses grands yeux noisette le plafond blanc. Elle ne pouvait pas rester indifférente à tout cela – elle ne pouvait pas rester indifférente face à la seule personne qu’elle côtoyait dans son isolement.

Elle s’était de nouveau assoupie, étendue sur le lit comme elle s’y était laissé tomber au début. Elle se réveilla brutalement lorsque la porte s’ouvrit et que la lumière s’alluma pour laisser entrer le mutant qui revenait de ses occupations. Elle le considéra d’un œil rond, ne le percevant pas de suite vu qu’il était dissimulé derrière quelques cartons volumineux. Elle restait interdite et curieuse, le regardant faire en silence – à vrai dire, la seule question qui la rongeait en ce moment même, c’était « Qu’est ce qui se trouvait dans ces foutus cartons ?! ». Elle le regarda sortir ce qui semblait être une télévision et un magnétoscope et ne put réprimer un haussement de sourcils. Ah oui ! Elle ne s’attendait pas à ça lorsqu’il lui avait confié qui lui ramènerait de quoi s’occuper. Elle se redressa d’un bond, jetant un œil aux cartons remplis de cassettes vidéo qui la laissaient sans voix.

« Bon je t'ai ramené de quoi te changer les idées , par contre ne me demandes pas ce qu'il y a comme films je n'ai pas eut le temps de faire un tri la dedans . Enfin j'espère que ça t'ira .. »

Elle resta encore silencieuse durant quelques secondes, ne pouvant pas se résoudre à croire que Creed lui avait vraiment ramené tout ça dans le but de lui changer les idées. Elle finit par cligner des paupières avant de chercher les yeux de son interlocuteur.

« Wah… Tout ça ?! » Balbutia-t-elle, encore sous l’effet de la surprise. « Merci, c’est gentil… Mais t’as trouvé ça où ? »

Sa dernière question tendait bien évidemment à savoir si le mutant avait du égorger deux ou trois hommes pour lui rapporter tout ça. Car si c’était le cas, elle le vivrait bien plus mal. Alice s’accroupit au niveau d’un des cartons et commença à farfouiller à l’intérieur. Il y avait plein de nouveaux films, et de plusieurs genres – que ce soit films à l’eau de rose, films d’action et d’épouvante, thriller…
Alice était friande de cinéma et la perspective d’avoir quelque chose d’autre à faire que de scotcher toute la journée lui apparaissait plutôt réjouissante.

« Génial. Y en aura pour toutes mes humeurs… » Murmura-t-elle en esquissant un sourire en coin. « Films d’adolescentes juvéniles… Ou un bon Massacre à la tronçonneuse. Quoique je ne sais pas si j’aurais besoin de ça. »

Elle secoua la tête d’un air amusé – avant de se redresser pour poser ses mains sur ses hanches. Elle plissa les yeux, hésitante avant de reprendre la parole.

« Est-ce que je peux te demander un truc ? J’aurais grand besoin d’un verre. Il te reste encore du whisky ? » Lui demanda-t-elle.

Elle n’était pas sûre que ce soit une bonne idée – mais elle avait grand besoin d’un petit remontant. Et puis, cela faisait bien un an qu’elle avait arrêté de fumer mais qu’est ce qu’elle aurait donné pour une cigarette…

La curiosité d’Alice au sujet de la manière dont Creed s’était procuré tout ce matériel eut vite fait d’être assouvie par la réponse qu’il lui adressa aussitôt. Il n’avait plus ce ton sarcastique et méchant qu’il lui avait réservé durant ses premières altercations – son ton restait peu accommodant mais pas blessant ni acerbe.

« En revenant de mon service , il y avait une camionnette qui appartenait au propriétaire d'un vidéo club qui était en train de s'installer . Comme je savais pas trop quoi te ramener j'ai pensé que ça te ferais plaisir d'avoir des films à ta disposition , alors je lui ai demandé ses clés et j'ai pris son véhicule et l'ai laissé détalé comme un lapin . Enfin pas besoin de me remercier , je t'avais dis que je rapporterai quelque chose . »

Alice l’observait non sans montrer une attention particulière à son égard. D’après ce que lui disait Creed, il n’avait fait aucune victime, et le lieutenant en fut aussitôt rassurée. Certes, elle n’était pas non plus ravie qu’un pauvre commerçant ait perdu ce matériel – néanmoins, il n’y avait pas eu de mort et cela la rassurait sachant que les méthodes de Creed n’étaient pas connues comme étant délicates. Par ailleurs, elle se laissa imaginer durant quelques secondes un homme ventripotent soulevant sa bedaine pour fuir après que le mutant l’eut effrayé de par son envergure et son rugissement particulièrement efficace – un sourire espiègle prit rapidement place sur ses lèvres avant de se dissiper pour plus de perplexité. Alors qu’elle avait farfouillé dans les cartons, elle avait cru voir un sourire se dessiner sur les lèvres du mutant pour répondre à sa piètre tentative d’humour et cela en était presque gênant – autant pour elle que pour lui. Elle repensa brièvement à ce qu’elle savait de ce syndrome de Stockholm – du moins, ce qu’on lui avait appris en cours. Logiquement, celui-ci se déclarait chez des individus qui n’avaient pas conscience de l’existence du syndrome alors pour son cas, sa connaissance professionnelle ne l’épargnerait-t-elle pas de cette éventualité ? Pouvait-t-elle vraiment développer un sentiment de confiance voire de sympathie pour ce criminel qui méritait mainte et mainte fois la peine de mort pour ses actes antérieurs ? Elle chassa rapidement ses interrogations et sortit de son introspection pour se concentrer sur Creed qui s’était rendu jusqu’au frigo. Il se tourna vers elle, une bouteille de whisky à la main et un air peu convaincu sur le visage.

« Du whisky , c'est pas ce qui manque ici . Par contre tu ne m'en voudras pas je n'ai plus de glaçons ,faut dire que j'ai pas vraiment l'habitude de recevoir ici. »

Elle fut d’autant plus surprise qu’il venait presque de… S’excuser ?! C’était déjà bien qu’il lui offre un verre. La situation prenait une tournure particulièrement amusante qu’Alice arrivait difficilement à cerner. Leur trêve était plutôt bien partie, à coup de divertissement et de sympathie. Elle lui lâcha un nouveau sourire – plutôt biaisé et amusé pour que sa reconnaissance ne soit pas trop évidente.

« Tu m’étonnes. Le whisky, avec ou sans glaçon sait être apprécié en toute circonstance. » Lâcha-t-elle en se saisissant du verre qu’il venait de lui servir.

Quelle idée lumineuse Alice… Tu veux vraiment te saouler ?

Juste un petit verre… Cela ne faisait pas de mal. Alice s’appuya contre la table, passant un bras sous le coude de celui qui maintenait le verre. Elle huma l’arôme de l’alcool qui lui picota violemment les narines avant de le porter à ses lèvres pour en boire le contenu. Cul sec. Elle reposa le verre aussitôt sur la table, dans un petit claquement significatif, puis elle garda sa tête en arrière quelques secondes alors que le liquide lui brûlait encore l’œsophage. Cela lui fit l’effet d’une décharge électrique. Elle tressaillit puis ouvrit les yeux pour laisser échapper un soupir de satisfaction.

« Alors tu n’es pas contre un peu de compagnie en plus de ta bouteille de whisky… ? » Ajouta-t-elle en faisant quelques pas dans la pièce, sentant la vague de chaleur provoquée par l’alcool remonter jusqu’à sa tête.

Creed n’était pas vraiment le genre de type à apprécier de la compagnie – mais après tout, ils étaient tous les deux dans le même trou en ce moment même. Et comme il l’avait précédemment dit, il fallait rendre la cohabitation la moins désagréable possible. Après tout, elle avait des vêtements, de la nourriture et même du divertissement maintenant ! La seule chose qui lui manquait – c’était un peu de discussion. Mais de quoi pouvait-t-elle parler ? Elle qui était flic face à un criminel. Perdue dans un rapport qui lui apparaissait encore si flou, la jeune femme passa une main dans ses cheveux avant de revenir sur ses pas pour s’asseoir sur une des chaises qui cernaient la table. Elle ramena son pied contre elle, et se pencha légèrement en avant pour pousser son verre en direction de Victor qui tenait toujours la bouteille de whisky.

« En fait, je crois que j’ai besoin de bien plus d’un verre. » Lui lâcha-t-elle en haussant un sourcil mêlant défi et amusement.

Creed sembla à la fois consterné et prit de cours par la question qu’elle lui avait posé. Il aurait très bien pu l’envoyer balader en lui affirmant que ce n’était pas ses affaires et pourtant, il se montra vigilant sans pour autant sceller ses lèvres. Elle voyait bien qu’il cherchait dans sa mémoire comme si sa naissance était quelque chose dont il n’avait jamais réellement eu conscience. Il mentionna encore les Fédéraux et de nombreuses questions à ce sujet émergèrent aussitôt dans son esprit – elle tenta de les faire taire, sentant que tout ce remue méninge lui donnait des bouffées de chaleur. Lorsqu'il lui déclara qu’il avait participé à la Guerre de Sécession, elle manqua de s’étouffer et dut y reprendre à deux fois avant de retrouver sa sérénité. Elle leva des yeux inquiets en sa direction, tandis que ses cours d’histoire lui revenaient en mémoire.

« Attends… La Guerre de Sécession ?! Celle qu’on apprend à l’école ? Si mes souvenirs sont bons, ça c’est passé entre 1861 et 1865 ?! »

Elle ne mit que quelques secondes pour faire le calcul, même si elle n’avait jamais été spécialement forte en maths. Cela approchait bien les cent quarante cinq ans tout ça ! Sérieusement, était-ce possible ? Elle resta immobile durant quelques secondes, son visage exprimant toute la surprise que cela suscitait en elle puis ses sourcils se froncèrent dans une expression nerveuse. Se pouvait-il qu’il la fasse marcher ? Non il était sincère. Cela se voyait à ses yeux et à sa lassitude. Alors quoi ? Il avait peut-être cent soixante ans d’existence ? Les lèvres voluptueuses de la jeune femme s’entrouvrirent comme pour dire quelque chose, puis elle se ravisa, encore sous le choc.

« C’est un truc de dingue… » Commenta-t-elle finalement en pensant qu’elle trouverait un certain réconfort dans son verre de whisky.

Décidément, Creed lui réservait bien des surprises. Elle se disait alors que tout ce qu’il avait vécu devait être bien plus important qu’elle ne le pensait. Que peut-être tout ce comportement naquit de cette longue existence durant laquelle il avait du croiser bien des hommes qui étaient morts au combat. Mais ce n’était pas le moment de s’attarder sur tout ça – Creed n’avait pas l’air de vouloir s’y replonger et elle pouvait comprendre.

Comment ? Depuis quand pouvait-t-elle comprendre un criminel ?

« Ravi de voir que tu perds pas le sens du devoir même dans ce genre de circonstances lieutenant . Mais je ne compte pas me laisser menotter comme ça, jamais au premier rendez vous. Et puis tu devrais attendre de récupérer de tes blessures , sans compter que tu ne m'as pas lu mes droits avants donc il y aura vice de procédure.. »

Son rire cinglant et sincère lui donna une drôle de sensation. C’était bien la première fois qu’elle l’entendait rire. Cela lui faisait plaisir, d’une certaine manière. Elle ne mit quelques secondes pour le rejoindre dans cette hilarité soudaine. Il ne s’était pas ramolli niveau provocation, et cela allait pour l’amuser.

« Et imaginons que je ne veuille pas obtempérer , tu vas faire quoi lieutenant ? Parce que le corps à corps dans ton état je ne pense pas que ce soit une bonne idée , entre ce que tu as sifflé et tes blessures je suis pas sur que ton entrainement te serve à grand chose. Après si tu vraiment à ce que je te menotte , il suffit de demander . Tu sais à quel point j'aime rendre service . »

Elle lui jeta un regard provocateur, comme si ses remarques aiguisaient en elle cet instinct prédateur qui l’habitait de temps en temps. Souhaitait-il vraiment qu’elle lui prouve une nouvelle fois qu’elle n’était pas à sous estimer ? Elle soutint ses prunelles brillantes de défi avec un sourire carnassier.

« Tu es bien trop aimable Creed – mais s’il y a bien une chose qui n’arrivera jamais dans ce monde – c’est bien le fait que je sois menottée avec mes propres menottes. » Lâcha-t-elle en arquant un sourcil pour appuyer ses dires. « Ne me sous estime pas dans mon corps à corps – je risquerais de te surprendre. »

Elle balança sa tête de droite à gauche en l’observant comme s’il était une proie. Certes, l’alcool devait y être pour quelque chose dans cette histoire – mais à présent Alice souhaitait profiter de la situation amusante qui se jouait entre eux deux.

« Tu es peut-être diablement fort, agile, bestial et invincible ! » Lança-t-elle en faisant de grands gestes. Elle marqua finalement une pause en plissant les yeux. « Dis-moi, tu ne serais pas un vampire ou quelque chose dans ce genre ? Tu as deux canines… Il manquerait plus que tu t’abreuves à mon cou. »

Bien que cette réflexion puisse être risible, la jeune femme posa son index devant ses lèvres - son sourire effilé ne la quittant pas une seule seconde. Elle réprima un nouveau rire.

« Sérieusement. Je n’ai pas peur de relever les défis… » Ajouta-t-elle en adressant un hochement de tête déterminé à son interlocuteur.