Pierre Daco a écrit : La chance ou le bonheur se transforment en culpabilité, entraînant dans leur sillage tout ce qui est positif. On a un frère, le meilleur que l’on puisse avoir, celui qui est toujours là pour nous protéger. On a ce frère sous les yeux mais on ne voit rien, on ne comprend rien. On se sent rejeter, on le déteste, on l’accuse de tout. Il nous faut un coupable, il prend tous les airs qu’il faut pour qu’on l’accuse, on le fait. Ca nous semble logique, ça nous soulage même, on croit se sentir mieux. Et, un jour, douloureusement, on ouvre les yeux, on voit les choses autrement et on comprend la chance qu’on a eu de l’avoir. Alors, on se retourne, on veut s’excuser parce que, sur le coup, on s’en sent capable. Plus personne, il est partit alors, on se pose des questions, on tourne les choses dans tous les sens et on commence à se dire que c’est normal, que c’est de notre faute, qu’on n’a pas su le comprendre à temps. Le temps passe cette chance, ce bonheur, qu’on a eu sans le voir nous ronge et nous fait culpabiliser, on se sent mal et on ose plus aller le voir. On s’enferme en se sentant coupable, en nous trouvant tous les défauts du monde, tout ce qui aurait pu être bien est entaché par des erreurs qu’on estime être les notre.

Maddison, sur le trottoir, prend une inspiration. Aujourd’hui est le premier jour d’une longue lignée. Elle est décidée, revenir en arrière pour mieux avancer. Elle se sent coupable, à beaucoup trop de chose sur la conscience, elle veut s’excuser. Elle retrouvera son frère, elle lui dira ce qu’elle doit lui dire, elle… Elle se sent faiblir à la vue de cette maison dans laquelle elle a vécu durant 21 années. Elle n’a aucune envie de retourner à l’intérieur, de voir ses habitants, elle les déteste. Son père pour son caractère trop violent, sa mère pour les mensonges infligés. A chacun sa méthode de torture, l’une n’est pas moins impressionnante que l’autre, la seule différence c’est que l’une est plus visible que l’autre.

Elle sent ses poils s’hérisser sur ses bras, instinctivement elle porte la main droite sur son bras gauche qu’elle frotte doucement. Elle ne comprend pas comme la simple vue d’une maison peut procurer ces sensations-là, elle ne pensait pas les avoir avant de se retrouver devant ses parents. Elle ne veut pas les voir, manque de faire demi-tour à de nombreuses reprises mais, elle doit avancer, elle doit savoir. Sa mère, c’est elle qui possède les informations, elle l’espère, qui va lui permettre de retrouver son frère. Elle ne l’a pas vu depuis si longtemps, elle imagine souvent à quoi il doit ressembler maintenant, ce qu’il est devenu, toutes ses questions qu’elle s’est posée si longtemps pouvaient avoir une réponse. Elle n’envisage pas que sa mère ne sache pas, elle ne veut pas avoir une excuse pour faire marche arrière maintenant.

Elle ajuste, une nouvelle fois, sa chemise cintrée blanche fournie avec la jupe noire qui descend juste au-dessus des genoux. Elle veut être parfaite, son apparence ne l’inquiète guère mais elle ne veut pas donner le moindre motif à son père pour s’énerver. A trois reprises, elle s’en souvient, il s’était énervé contre elle, jugeant sa tenue indécente pour sortir ou aller en cours. Elle ne vit plus chez eux mais certaines choses laissent des traces, elle ne veut plus être cette adolescente terrorisée. C’est pourtant ce qu’elle redevient à la vue de cette maison, qui n’a rien du cocon familiale rassurant et chaleureux qu’il aurait dû être.

Un an qu’elle est parti d’ici, un an à ne pas répondre aux appels de sa mère, à ne pas revenir ici et elle aurait continué encore longtemps si elle n’était pas aussi décidé à retrouver ce frère qu’elle estime avoir négligé. Trop longtemps. Ses doigts s’entortillent entres eux, elle est nerveuse mais ce force à un pas en avant, encore un autre, jusqu’à arriver sur le seuil de la porte. Elle se dit qu’il est encore temps de faire demi-tour, de courir dans le sens inverse, de fuir et de remettre tout cela à une prochaine fois. Elle commence tellement à s’en persuader qu’elle lève la main pour appuyer sur la sonnette. Maintenant, elle ne peut plus faire marche arrière. Elle ferme les yeux, s’empêche de partir en courant, prend une nouvelle inspiration et attend qu'on vienne lui ouvrir.

Tout ce que je sais, c'est que j'ai entendu ma mère crier. Vous savez, parfois, vous avez cette chance de cocu, je ne sais pas, quelque chose qui fait que quand même, une puissance supérieure veille sur vous, quoi que vous en disiez. Au moment où le coup est parti, j'ai entendu un klaxon dans la rue et des jeunes se mettre à éclater de rire. On ne pouvait pas dire qu'on habitait un des hauts quartiers de New York alors les coups de feu, en général, soit on les ignore, soit on pense que ce n'est rien, soit... ils sont bien camouflés.

Je l'ai sentie me quitter, j'ai senti cette chose s'évaporer, s'échapper de mon corps, c'était comme un fort instant de lucidité. En une fraction de seconde, je n'ai plus ressenti cette colère qui m'animait depuis des années, je n'ai plus senti ce poids lourd sur mes épaules et cette main tremblante, ce regard inquiet. J'ai soudain ressenti... de la liberté, du soulagement. J'ai dégluti, néanmoins, sachant que ce pur instant de lucidité et de paix ne tarderait pas à me quitter à son tour et alors, tout redeviendrait normal. J'ai senti ma mère me bousculer pour s'effondrer auprès de son mari. Mon beau père, mon père, peu importait, ça n'avait plus d'importance. Il n'avait jamais été qui ni quoi que ce soit pour moi, pourquoi cela devrait-il changer maintenant qu'il était mort ?

Je crois sincèrement qu'elle m'a remercié en cet instant, d'avoir mis fin à près d'une trentaine d'années de terreurs, avoir agi comme elle n'avait jamais osé le faire. Elle l'avait si souvent pensé que j'avais fini par exaucer ses souhaits. Elle pleurait pour l'instant, elle hurlait presque, caressant ce visage qu'elle disait aimer mais je sais qu'au fond... Elle est bien contente que j'aie fait ce qu'elle était incapable de faire. Doucement, clignant des yeux, j'ai inspiré profondément et j'ai soupiré en fermant les paupières, ma main armée, jusque là pointée sur le démon de ma vie, retombant lentement contre mon corps.

C'était fini.

***

C'était le milieu de la matinée, j'avais préparé du café pour ma mère, dans la cuisine. Elle se tenait la tête dans les mains, sanglotant encore d'une nuit difficile. Je ne sais pas si on peut vraiment appeler ça une nuit, même difficile. Elle n'avait pas dormi. Moi non plus d'ailleurs, mais contrairement à elle, j'en avais très envie. Ma mère, elle, n'était pas plus capable de ça que de mettre fin à des années de persécution mentale. J'avais préféré garder le silence. J'étais soulagé mais elle ignorait encore qu'elle l'était aussi. Alors elle pleurait, et elle pleurait. Ma soeur n'était pas rentrée de la nuit mais je ne m'en inquiétais pas plus que ça, c'était une grande fille, après tout et je pense que j'étais aussi assez mal placé pour lui faire la morale. De plus, ça m'arrangeait. Quand elle rentrerait, je n'aurais plus peur d'être dans la même pièce qu'elle. Pas peur pour moi mais pour elle. Ethan ne serait pas là pour me menacer du regard de ne plus m'approcher d'elle. Non, Ethan ne serait plus jamais là. Il ne ferait plus jamais de mal à personne.

Relevant une mèche de cheveux pour la glisser derrière mon oreille, j'ai versé du café chaud dans la tasse de ma mère et j'ai pris ses mains en lui parlant doucement. Je lui aurais bien fait un déca mais elle l'aurait senti et se serait levée pour faire un vrai café. J'ai embrassé ses mains et elle a reniflé en levant les yeux sur moi. Je crois qu'elle commençait à comprendre ce que tout ceci signifiait. C'était sûrement la dernière fois que je la voyais. Elle le savait. Elle le sentait. J'étais devenu un chat noir pour elle. Et je voulais qu'elle vive, qu'elle recommence une vie. Je voulais qu'elle déménage, qu'elle prenne Maddison avec elle et qu'elle file droit sans jamais se retourner, qu'elles s'offrent la vie dont elles avaient toujours mérité. Je pensais que c'était tout ce qu'elle voulait entendre. Pourtant, quand j'ai prononcé le nom de Maddison, son visage s'est à nouveau déformé par une crise de larmes et on a sonné à la porte.

J'ai soupiré et passé une main dans ses cheveux pour tenter de la réconforter. Nous reviendrons à cette histoire de fuite plus tard. Non, je ne pouvais pas partir avec elles, bien sûr que non. J'avais ma vie ici, j'avais un travail, j'avais des affaires et... Et bien ma mère et ma soeur seraient tellement mieux sans moi, elles pourraient vivre sans encombre et à présent, sans entrave. J'ai soupiré en me passant une main dans les cheveux et je me suis raclé la gorge, posant une main sur la poignée. Une fraction de seconde trop tard, j'ai réalisé que mon geste était inconsidéré. Personne ne m'avait plus revu ici depuis des années. Ma présence pouvait paraître suspecte. Mais quand j'ai vu ma jeune soeur, ma demi-soeur au visage si différent du mien, un véritable ange avec de grands yeux et de longues boucles soyeuses... Dans un tailleur de jeune première, je l'ai détaillée de haut en bas, les sourcils hauts. Je n'en croyais pas mes yeux. C'était ma soeur ? Cette jeune femme, là ? Je me suis frotté le menton en regardant à l'intérieur de la maison puis je l'ai désignée d'une main en reportant mon regard sur elle. Nous étions... tellement différents. Et alors, j'ai souri.

_ Désolé, mais les beaux quartiers, c'est de l'autre côté de la ville.

Disons que c'était ma façon de dire bonjour. J'ai froncé les sourcils en la désignant du menton, m'écartant légèrement pour la laisser entrer.

_ Tu rentres tôt ou tard ?

De son père ou de sa mère, elle ne sait lequel elle détestera le plus voir ouvrir la porte. Il n’y a que ces deux choix possibles dans son esprit, éventuellement, en élargissant les champs de possibilités, elle peut ajouter un voisin, un technicien quelconque qui ouvrira cette porte pour une raison inconnue. En réalité, un extraterrestre peut ouvrir cette porte que ça lui semble plus probable que la personne qui l’ouvre réellement. Un poisson rouge hors de son bocal, voilà à quoi elle ressemble en le voyant. Sans réfléchir, elle sait qu’il est parti il y a sept ans de la maison familiale, sept ans sans le voir, sans savoir ce qu’il devient. Sept ans de changement mais elle n’a aucun doute sur l’homme qui ouvre cette fichue porte.

Elle entend sa première phrase, elle l’imprime mais elle ne décolle pas de son expression, bouche ouverte, les yeux hallucinés. Elle vient chercher des réponses pas le retrouver, elle n’est pas prête, elle ne pense pas l’être. Elle reste là, comme une abrutie, à songer qu’il vaut mieux qu’elle parte en courant maintenant. Et après ? Elle passera les sept prochaines années à regretter, à s’en vouloir, et recommencer ce cercle vicieux dont elle veut se sortir ? Elle ne vit plus ici, plus depuis un an. Elle n’est pas en retard ou en avance, elle est étonnamment là. Le même jour que lui… Drôle de coïncidence. Elle cligne des yeux, signe avant-coureur qu’elle reprend vie, qu’elle quitte son état léthargique du choc de le voir ouvrir la porte. Elle a envie de hurler, de pleurer, de le frapper, elle a envie de tellement de choses qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’elle doit faire alors, elle parle, juste une phrase… Une question.

_ Et toi, t’as pas quelques années de retard ?

Elle a à peine fini sa question qu’elle fait un pas en avant, elle lui saute au cou. Trop grand, ses talons quittent le sol, la pointe de ses pieds devant supporter le poids de son corps. Elle s’en fout du temps de retard qu’il a, il est là, c’est tout ce qu’elle demande. Elle se sent coupable, elle pense qu’il lui en veut mais sur le coup ça n’a aucune espèce d’importance, elle a juste envie de ce qu’elle vient de faire. Ses bras autour de son cou à lui, elle veut juste vérifier qu’il est réel, que son esprit ne lui joue pas un mauvais tour. Il est là, bien réel, palpable, elle sourit, se sent stupide et se reprend en le lâchant. Le rouge qui lui monte aux joues la gêne davantage, elle recule d’un pas, retrouve sa place initiale, une moue désolée et gênée à la fois sur le visage. Elle veut s’excuser mais, une autre personne arrive derrière Alex.

_ Maddison ?

Sa mèrea les yeux rougis, Maddison mais ça sur le coup de l’émotion mais y reste insensible. Le regard surpris mais heureux qu’elle a offert à son frère disparait à la vue de Lisa. Elle se referme, n’a pas le temps de réagir que sa mère pousse un peu Alex pour passer devant lui et enlacer sa fille. L’action est trop rapide, Maddison est encore trop sous le coup de la surprise pour esquiver ce geste et elle se retrouve, malgré elle, dans les bras de sa mère. Maddison ne doute pas de l’amour que sa mère peut lui porter, elles n’ont pas la même conception des choses, pas la même manière de le montrer. La jeune femme est incapable de lui pardonner alors si Lisa enlace sa fille, cette dernière laisse ses bras contre elle, incapable de lui rendre ce geste.

La mère lâche sa fille mais c’est pour mieux pouvoir prendre son visage entre ses mains, et graver à nouveau ses traits qu’elle n’a pas vus depuis un an. Elle a l’air triste, heureuse, Maddison ne sait le dire. Elle ne se doute absolument pas du drame – ou pas – qu’il s’est joué dans cette maison. Bien que son visage soit entre les mains de sa mère, Maddison évite son regard.

_ Je suis tellement contente de te voir. Comment tu vas ?

Elle détaille sa vie, vérifie peut-être si sa nutrition est suffisante, cherche à distinguer des signes quelconques d’un problème qui serait apparemment mais Maddison, doucement, se dégage de cette emprise qu’elle a sur elle pour pencher la tête et pouvoir voir ce frère si longtemps disparu. Elle ignore totalement la question de sa mère, ce n’est même pas à elle qu’elle s’adresse.

_ Qu’est-ce que tu fais là ?

Elle fait un pas sur le côté et fronce les sourcils parce que quelque chose la dérange fondamentalement dans ce qui est, pour elle, complètement inattendu. Les retrouvailles sur un perron, c’est bien mais, quelque chose ne va pas dans le tableau, une personne manque. La personne qu’elle craint le plus.

_ Où est-il ?

Elle ne prononce pas son nom, ne le veut pas. Et, parce que c’est devenu instinctif chez elle, son regard se porte sur autre chose, l’entrée de la maison au hasard, n’importe quoi qui ne lui permet pas de regarder Alex quand il répondra. Elle est comme ça maintenant, on lui trouve souvent le regard fuyant mais c’est pour éviter les désastres que peut créer son pouvoir, les maux de tête et cette sensibilité à toutes les lumières environnantes.

Au moins elle avait du répondant. Je n'en attendais pas moins d'elle. Ce dont je ne m'attendais pas... C'était son geste. Et il m'a laissé stupéfait. De mémoire, je crois que jamais ma soeur ne m'avait sauté au cou de la sorte. J'étais là, à avoir sursauté à son étreinte, les yeux hagards et doucement, j'ai levé une main pour la porter dans son dos, légèrement hésitant. Pas que je n'en avais pas envie, ce n'était pas que je ne savais pas comment faire... Je n'étais juste pas certain d'en avoir le droit. La franchise entre ma soeur et moi, c'était tout un poème alors j'en étais plus que surpris. J'ai retenu ses reins dans mon bras, la portant légèrement et j'ai fermé les yeux un instant quand j'ai senti l'odeur de ses cheveux traverser mes narines. Malheureusement, je ne devais pas moi-même sentir la rose. Déjà parce que c'était pas mon truc la douche et puis parce que je n'avais pas dormi depuis des heures et que je n'avais pas cessé de bouger depuis au moins autant d'heure, traversant la ville. Je me suis même surpris à penser qu'un jour, ma fille pourrait débarquer et me lâcher la même réflexion. Je n'étais pas sûr d'avoir envie de renacler ce jour-là. Si Dieu existait, alors j'aurais pu prendre l'étreinte surprise de ma soeur comme un "Ok, mon Fils, je te pardonne pour tes actes". Mais c'était des foutaises. Alors, j'ai souri.

– Hey, tu veux me broyer les os ?

J'avais parlé doucement mais ça a suffit à lui faire lâcher prise. J'ai souri un peu plus en la regardant, ma main dans son dos remontant à son épaule. En fait, je crois que j'aurais d'autant plus aimé cet instant si nous n'avions été que tous les deux. Ma soeur ne sautait pas au cou d'un autre homme que mon père alors elle devait forcément avoir une raison. Ce qui m'a mis la puce à l'oreille mais sans plus chercher à y réfléchir. En entendant ma mère, j'ai tourné la tête et j'ai légèrement froncé les sourcils en la voyant se jeter sur sa fille. J'ai mis ça sur le compte de l'état de choc dans lequel elle était sûrement encore. Mais inconsciemment, l'information remontait à mon cerveau. Imaginez ma nouvelle surprise quand elle me demande ce que je fais là. Elle n'a pas répondu à notre mère et maintenant, elle se tourne vers moi. J'ai haussé les sourcils, ne sachant pas vraiment quoi répondre et j'ouvre la bouche mais déjà elle regarde ailleurs. Je me suis frotté le nez avec une moue des lèvres avant de répondre.

– Je suis venu voir Lisa... Et puis je suis resté la nuit. Mais je peux repartir, si tu veux !

Je ne l'appelais jamais maman. Elle avait perdu ce droit le jour où j'avais dévalé les escaliers à cause d'Ethan et que mon bras s'était brisé en deux, la première fois. D'accord, peut-être pas brisé mais je n'avais que 6 ans... Lisa attrapa le bras de Maddison pour la faire entrer en hochant la tête.

– Il n'est pas là, viens prendre un café, j'ai fait des cookies, hier ! J'ai dû deviner que tu viendrais, j'ai fait tes préférés !

Je me suis passé une main sur les lèvres en réfléchissant à ce qui clochait dans le tableau que je voyais moi. J'ai suivi du regard ma mère qui tirait Maddison et j'ai doucement fermé la porte derrière elles en les étudiant silencieusement. C'était vraiment étrange. J'ai brièvement jeté un regard au salon pour m'assurer que tout était en ordre. Dans ma tête, j'ai commencé à échafauder un plan. Je ne savais pas son ressenti sur Ethan, je n'étais pas sûr de comment lui annoncer encore et si je le devais. Après tout... Ma mère venait de dire qu'il n'était pas là. Et s'il était juste parti ? Personne ne le chercherait, tout le monde dans le quartier savait que j'étais le gosse à problèmes et certains osaient penser que c'était mon père, le type à problèmes. Quand des mecs comme lui disparaissent, les gens tendent à ne pas les chercher parce que tout à coup, le calme revient dans la rue.

J'étais assez méfiant, ne me demandez pas pourquoi, je n'en savais rien. Je les ai suivies jusque dans la cuisine avant de poser mon épaule contre l'encadrement de la porte pour les étudier. Si Maddison était un détecteur de mensonges en un regard, j'avais assez observé les gens pour détecter les mensonges dans leur gestuelle. Et ma mère était au coeur de la notion même de mensonge. Alors je ne la quittais pas des yeux, cherchant la faille. Elle s'affairait dans la cuisine sans se soucier de nous, elle parlait à voix haute, plus pour elle même que pour Maddison. Je me suis pincé les lèvres en réfléchissant et j'ai croisé les bras sur mon torse. A être aussi nerveuse, elle allait alerter Maddison. J'aurais autant préféré.

Elle sourit, dans le coin de son épaule quand il parle de lui briser les os, elle ne voit là qu’une simple boutade. Elle n’a pas de raison de se douter de quoique ce soit, de s’interroger sur la formulation de sa question, elle lui paraît beaucoup trop normal pour que quelque chose de suspect en sorte. Elle ne répond pas, sourit seulement, elle n’a pas la force de lui broyer quoique ce soit de toute façon. Ils doivent le savoir, tous les deux. Leur mère à rapidement mit fin à ces retrouvailles, sans vraiment le vouloir. Mais Alex, répondant à la question de Maddison, annonce qu’il peut aussi repartir. Elle ne réfléchit pas, elle relève la tête, soudainement vers lui.

_ Non. Ses yeux grands ouverts, elle a presque l’air choquée par cette demande. Elle secoue la tête. Bien sûr que non.

Elle a tellement de chose à lui dire, elle a juste besoin de savoir quoi. Maddison n’avait regardé personne à chaque réponse qu’on lui avait donné, elle ne reportait son attention sur une personne, qu’une fois la réponse passée. Elle ouvre la bouche en revenant vers sa mère, veut lui dire non mais se trouve déjà embarquée pour rentrer à l’intérieur. Elle retient le regard d’appel à l’aide qu’elle voulait lancer à Alex, hors de question de le mêler à tout ça. Dirigée par sa mère, Maddison traverse le couloir pour aller jusque dans la cuisine, elle ne cesse pas de cogiter pendant ce mini trajet.

De quoi Alex est au courant ? Apparemment, il pense qu’elle vit encore ici, sinon il n’aurait pas demandé si elle était en retard ou en avance. Il est là depuis la veille, c’est surement ce qui la perturbe le plus. Lui et Ethan au même endroit, à moins que son père ne soit partit longtemps ? Tellement pas son genre. Est-ce sa mère à eut le temps de dire à Alex que Maddison savait qu’il n’était que son demi-frère ? Cette famille est un nid à question, ça la rend dingue. Maddison s’installe, laisse sa mère courir partout et parler à haute voix. Elle sait que ce n’est pas normal et, vraiment, elle a envie de mettre sa sur le compte de la venue de son fils et de sa fille mais, même avec toute la volonté du monde, elle sait qu’il n’y a pas que ça. Et Alex… qui restait à l’écart dans l’encadrement de la porte, à observer et réfléchir. Définitivement, quelque chose cloche.

Elle avait espéré des rencontres plus simples. Lui, elle. Juste eux, autour d’un verre à pouvoir parler librement sans Lisa, ou même Ethan dans le coin, sans secret de famille. Pour Maddison, ça fait bien longtemps que la notion de famille a disparue, qu’il n’est question que d’eux deux. Des pensées qui lui appartiennent, qu’elle n’a pas pu partager avec lui alors, elle doit donner le change, y venir doucement. Elle n’en sait rien, la troisième guerre mondiale se joue, en ce moment même, dans son cerveau. Elle veut vraiment lui demander comment il va, ce qu’il devient. Une éternité qu’ils ne se sont pas vus. Elle veut s’intéresser à lui mais la situation est bien trop étrange pour qu’elle l’ignore. Elle tourne la tête vers sa mère qui lui tourne le dos, en s’affairant à ses petites affaires.

_ Oh, on va avoir un test dans le cadre d’un cours. 4 personnes à interroger et on devra, en suite, faire une sorte de rapport pour dire celui qui, selon nous, ment. Celui qui aura la meilleure note aura le droit d’être consultant, accompagné par un de nos profs, sur un vrai interrogatoire.

Sa mère, bug, juste une seconde avant de lâcher un mot de félicitation sans se retourner, ce qui fait sourire un peu Maddison, pas de manière joyeuse mais parce qu’elle a ce qu’elle veut. Et, si sa mère sait les études de sa fille, ce n’est peut-être pas le cas d’Alex, en toute innocence – en apparence – elle tourne son regard vers lui dans un sourire pour lui expliquer de quoi elle parle.

_ Je ne sais pas si tu es au courant mais je fais des études en psychologie et l’étude du comportement.

Si ça peut paraitre anodin comme discussion, ce n’est absolument pas le cas. En réalité, Maddison à comme un air de défi dans le regard comme pour leur dire, à tous les deux, d’arrêter de la prendre pour plus idiote qu’elle devait le paraitre. Parler de ses études n’est pas une façon de se vanter de ce qu’elle fait, elle s’en fiche, ce qu’elle veut c’est faire comprendre qu’elle sait que quelque chose cloche. C’est inscrit dans chaque geste effectués dans cette fichue baraque. Elle hausse un sourcil, penche légèrement la tête sur le côté.

_ Et toi, qu’est-ce que tu deviens ?

J'ai un défaut. Un très vilain et moche défaut : je mens tout le temps. Je veux dire par là que je trouve ça bien plus amusant de ne pas dire la vérité, d'induire les gens en erreur, de me fendre la poire à les regarder se démettre avec ce qui est possible, juste ou carrément improbable. Ca m'éclate ! C'est ça ma vie : faire chier les gens. Mentir à ma mère, mon père, même mon ex femme - oui je dis mon ex femme même si on n'a pas divorcé mais ça c'est pareil… Personne n'a à le savoir. Mais ma soeur ? M'imaginer même lui mentir est impossible. J'ignore pourquoi, c'est tout simplement pas possible, je ne peux pas lui mentir. Est-ce que j'avais un sixième sens concernant son pouvoir et que je voulais gagner des points et non en perdre ? Aucune idée. Ma morale m'empêchait simplement de m'amuser avec cette vie que j'avais tant essayé de protéger pendant des années. De plus, je n'ai pas envie de rire de ma soeur, je n'ai pas envie de jouer avec elle, elle n'est pas un rat de laboratoire, elle n'est pas une chose à corriger dans ma vie. Ma soeur est une innocente, conduite sur une mauvaise voie car elle n'a pas pu bénéficier du bon guide. Et ne me regardez pas comme ça, je n'ai jamais prétendu en être un, encore moins celui qu'il lui fallait. Sinon, je n'aurais pas proposé à ma mère de partir loin avec elle, je me serais contenté de l'embarquer sans rien dire à personne et j'aurais refait sa vie. Probablement que cette partie de moi est une des raisons pour lesquelles je préfère garder mes distances : je suis le contraire de ce dont elle aurait besoin pour se reconstruire.

Avec intérêt, j'écoute son sujet d'étude et souris. Je n'ai pas, un seul instant, idée qu'elle puisse tester ça sur moi. On vient de se retrouver, je n'estime même pas refaire partie de sa vie, pour le moment. Pour moi, elle… Raconte sa vie et j'en profite, mes oreilles grandes ouvertes. C'est le simple "félicitations" de ma mère qui me fait perdre mon sourire alors que je tourne les yeux vers elle. Quoi, c'était tout ? C'était une chance, à mon sens que Maddison possédait là et… Juste "félicitations" ? D'abord, félicitations de quoi ? D'avoir reçu un devoir à faire ? Si Maddison sentait quelque chose d'étrange, c'était mon cas également. Mais quand elle m'a posé sa question, j'ai reporté mon regard sur elle et mon sourire s'est à nouveau étiré sur mes lèvres. J'ai acquiescé doucement.

– Je sais, oui.

Je l'avais vue à plusieurs reprises sur le parvis de l'université. Je ne savais pas précisément quels cours elle suivait mais je savais qu'elle faisait quelque chose de bien, qu'elle se forgeait un avenir et en ça, j'étais vraiment content pour elle. Ce n'était pas mon truc, les études, je n'aimais pas ça. Je n'étais même pas allé jusqu'au bout, pourquoi faire ? J'ai brièvement sursauté et sorti une main de mes bras pour l'ouvrir dans l'air. Ma mère aurait pu me le dire, après tout ! Le regard qu'elle me lançait maintenant devait être le même que ma soeur, étonnées. Cessant de sourire, j'ai repris :

– Enfin, je sais pour les études… Pas pour les cours que tu suis, non.

Quoi… Ce n'était pas parce que j'avais disparu que je n'avais pas droit de me renseigner sur la vie de ma soeur, non ? D'accord, je le faisais dans son dos. Mais dois-je à nouveau expliquer les raisons de ma distance ? A la question de Maddison, je retourne la tête vers elle et me redresse en gonflant le torse. Elle venait de parler de super projet avec un poste de consultant au bout et moi je devais dire où j'en étais ? J'ai inspiré profondément en me décollant de la porte, décroisant mes bras et j'ai dessiné une moue sur mes lèvres, pas tellement tenté de répondre.

_ Enfin, Alex, je t'ai déjà dit que tu n'avais pas de honte à avoir sur ce que tu faisais pour gagner ta vie !

Me sentant presque insulté par cette simple exclamation, j'ai froncé les sourcils en secouant la tête. J'ai levé les mains en me rapprochant de ma soeur pour les poser sur ses pauses en continuant de parler à ma mère.

– Je n'ai pas honte de ce que je fais pour gagner ma vie. Maddison me demande ce que je deviens, pas ce que je fais pour gagner ma vie. D'abord, j'ai un métier avant d'avoir un job. Donc je gagne ma vie oui, mais je ne le fais pas en comptant mes heures.

J'ai penché la tête pour la regarder sur le côté, me tenant dans son dos.

– Ensuite, je suis nettement plus intéressé par ce projet que tu dois mener à bien. Et si tu veux, je peux même me plier à ton test. Je suis un menteur professionnel, je puis t'assurer qu'avec moi, en plus d'être un véritable challenge… Ce sera fun.

Je lui ai offert un de mes sourires préférés : le plus espiègle.

– Quant à ce que je deviens, malheureusement, en dehors de tenir un bar, rien n'a changé. Ma vie est d'un ennui mortel...

Le pire ? C'est que c'était vrai. Ok, j'avais eu une femme, j'avais une fille dans la nature mais… Comment je pouvais annoncer ça ? Ma mère l'ignore, tout le monde l'ignorait, j'avais refait ma vie entièrement et je restais le même abruti que peu de monde appréciait, le même enfant, le même ado, je n'avais jamais changé… Des années de galère et maintenant, j'avais un taf correct, qui aurait voulu reparler de tout ça, très sincèrement ? J'avais des milliers de choses à dire à ma soeur, je voulais lui en confier des centaines de milliers… Mais pour l'heure, je devais composer avec ma mère, en état de choc. Pourquoi je ne l'étais pas ? Cet état de lucidité et de paix intérieur ne m'avait pas quitté depuis. Pourquoi ? J'ai pris un cookie et l'ai porté à ma bouche en la désignant du menton.

– Vas-y, pose-moi une question, tu verras par toi-même. Personne sait quand je mens !

Je crois, je peux m'avancer, que ma mère se calmait à nous voir tous les deux, discuter. Je pense qu'elle vivait quelque chose dont elle avait toujours rêvé et commençait à entrevoir mon acte comme un acte de foi et non un crime.

Si Maddison me demandait où était son père ? J'étais un homme mort.

Maddison qui, jusqu’à présent, ne regarde personne au moment d’avoir une réponse, tique légèrement sur la réponse de son frère. Il sait pour ses études. Comment il peut savoir ce qu’elle fait alors qu’elle, de son côté, elle ne sait absolument rien. L’idée qu’Alex est pu rester en contact avec Lisa commence à germer dans la tête de Maddison, ça lui semble même logique. Ca explique pourquoi il sait ce qu’elle fait et, surtout, ça explique qu’il vienne exactement le jour où Ethan n’est pas présent. D’une certaine manière ça l’énerve un peu, si Alex et Lisa ont gardés contact tout ce temps, pourquoi est-ce qu’on ne lui avait rien dit à elle, pourquoi est-ce qu’on l’avait laissé dans l’ignorance ?

Elle oublie vite ce petit cas de conscience pour se sentir coupable quand sa mère décide prendre la parole pour leur accorder plus de deux mots. A aucun moment elle n’a imaginé que ce qu’elle avait pu dire pouvait mettre mal à l’aise Alex. Maddison n’a pas envie de se montrer supérieure à qui que ce soit, encore moins avec Alex. Elle n’a pas voulu faire étalage de ses études pour recevoir une valorisation quelconque, ça devait avoir un autre but. Elle tente de se rassurer rapidement quand il explique ne pas avoir honte, gardant quand même les lèvres pincées, désolée.

Alex joue sur les mots et ça la fait sourire. Un trait de famille, peut-être ? Elle est la première à le faire en de nombreuses reprises, parce qu’elle déteste mentir. A tort, elle imagine que c’est le cas d’Alex, elle ne le connait pas finalement. Maddison a toujours eu un temps de retard avec lui, incapable de comprendre ce qu’il avait fait pour elle quand ils étaient sous le même toit, le comprenant qu’une fois qu’il était parti et là, eh bien disons qu’elle a sûrement envie de le voir comme elle l’imagine depuis qu’elle sait. Les sentiments, ce que l’on peut penser, n’a jamais rendu personne objectif. Elle désillusionne, il le dit lui-même, c’est un menteur professionnel. Son esprit se heurte entre la chose qu’elle déteste le plus : le mensonge, et ce qu’elle pense d’Alex, la culpabilité longtemps ressenti et encore présente. Son sourire est un peu pincé, trop de choses contradictoires se livrent bataille dans sa tête.

Maddison lève les yeux sur Alex, un sourcil un peu relevé. Est-ce qu’il est réellement en train de la mettre au défi pour savoir s’il ment ou pas ? Elle penche un peu la tête l’air de l’évaluer pour savoir si elle va accepter ou non. Savoir si quelqu’un ment est bien au-delà des cours qu’elle suit, c’est sa capacité, son pouvoir. Il peut être le meilleur menteur du monde que ça ne fonctionnera pas sur elle. Son pouvoir, loin d’être basé sur des signes vitaux, semble passer au scanner toute la vie d’un individu pour savoir si oui, ou non, il ment. Il peut être le plus zen du monde, il peut même croire à ce qu’il dit qu’il peut être considéré comme menteur. Une façon de fonctionner qui oblige à certaine subtilité dans la façon de poser des questions, chose qu’elle ne maitrise pas toujours d’ailleurs.

_ Un bar, je trouve ça super sympa. Il est où ?

Maddison ne sait rien sur son frère, au point de ne même pas savoir où il vit. Lui demander où se trouve son bar c’est une façon pour elle de le situer dans l’espace, de savoir où le trouver par la suite. Une question qui n’a rien à voir avec le challenge proposé, avant de l’accepter, elle tient à ce que certaines choses soient connues. Elle plante son regard dans celui d’Alex, un demi-sourire sur le bord des lèvres.

_ Avant de te proposer à jouer les cobayes, tu devrais savoir que personne ne peut me mentir sans que je le sache.

Elle tourne la tête, jette un rapide regard à sa mère, la personne sur qui elle avait découvert son pouvoir, le premier gros mensonge de sa vie qu’elle avait découvert. Elle ferme les yeux, n’a pas envie de revenir là-dessus, bien que ça lui semble être un bon tremplin pour un tas de chose. Elle revient sur son frère, se penche légèrement en avant, appuyée sur la table de la cuisine.

_ Tu sais, c’est comme une sorte de sixième sens, le genre de truc qu’on développe quand on vit dans une famille comme celle-là.

Lisa fait tomber une cuillère, Maddison ne se retourne même pas mais hoche la tête en direction de son frère, comme si cette action confirmait ce qu’elle venait de dire. Et, si Maddison semble zen, la réalité est assez différente. La rencontre la perturbe, inattendu, elle a quelque chose d’assez stressante pour que la mutante de niveau 1 qu’elle était, voit son pouvoir s’activer. Pas pour rien qu’elle se force à ne regarder personne depuis le début. Si elle est capable de ne pas montrer une certaine inquiétude, ou une situation de stress, c’est tristement de la faute d’Ethan. Elle avait toujours cherché à lui cacher qu’elle avait peur de lui, qu’il l’inquiétait alors, elle avait développé cette capacité à paraitre sereine, sans l’être réellement. Bref, Alex est prévenu, ça sera à lui de voir s’il veut répondre ou non.

_ Tu es resté en contact avec Maman pour savoir quand venir, ou ce que je fais comme étude ?

Et non, cette fois, elle ne le quitte pas des yeux, elle est censée l’observer pour mettre en pratique ce qu’elle apprend en cours. Elle doit le voir pour savoir si, oui ou non, il ment. Les mères, de leur côté, ont quelque chose de fabuleux : elles savent. On ne sait pas comment, un instinct qu’elles ont avec leur enfant, quelque chose qu’on ne comprend mais, elles sentent les choses. Lisa savait, depuis longtemps, que Maddison avait quelque chose, qu’elle savait voir les mensonges, elle ne sait toujours pas comment mais c’était là, sans qu’elle puisse l’expliquer. Elle en avait fait les frais. Rapidement, elle attrape la cafetière et se retourne vers ses deux enfants, elle veut couper court à cet interrogatoire avant qu’Alex ne commence à répondre.

_ Du café ? On peut passer dans le salon aussi, ça vous dit ?

– Du côté de Soho. Suis les ivrognes, ils y vont eux.

J'ai lancé un morceau de cookie en l'air pour le gober avant d'en couper un nouveau morceau. Maddison n'en voulait pas ? C'était bien dommage, elle ratait quelque chose. Ma mère n'avait pas été douée pour grand chose mais la cuisine ? Bon sang, ce que ça me manquait. Je ne venais pas souvent ici, probablement une fois par an ? Mais à chaque fois, j'avalais toute la cuisine avant que la foudre ne s'abatte sur la maison et que je doive encore la quitter en claquant la porte. Un rituel. Maddison cherchait quelque chose. Restait à savoir : quoi ? Tout dans son attitude, sa façon de parler, de s'adresser aux autres, elle cherchait à savoir quelque chose. Je ne savais juste pas quoi. Plus elle parlait et plus je sentais que le plus nerveux de nous deux, ce n'était ni elle, ni moi, c'était ma mère. Je gobe un nouveau morceau de cookie acrobatique quand elle m'explique ses dons. Jusque là, pas de quoi s'alarmer. Beaucoup de personnes pensaient pouvoir déceler tous les mensonges du monde. Alors je me suis contenté de hausser une épaule avant de m'accouder sur le comptoir pour regarder ma soeur, le regard plein de malice et un grand sourire taquin. J'ignore pourquoi mais j'ai l'impression que ce petit jeu, c'est une façon de me rapprocher d'elle, de m'ouvrir à une complicité que j'ai toujours souhaitée mais qui, en la présence d'Ethan, était impossible. Et quand ma mère a fait tomber un couvert, j'ai froncé les sourcils en tournant la tête vers elle pour l'étudier. Pourquoi était-elle si nerveuse en la présence de Maddison ? Elle n'avait pas été comme ça avec moi la veille, ni même le matin. Elle semblait… Être dérangée par sa propre fille. En tant que prédateur, je savais reconnaître une proie. Et ma mère en était une. Elle l'avait toujours été mais je n'avais jamais imaginé que ma soeur puisse être un prédateur aussi redoutable que moi. En tout cas, elle semblait l'être. C'était de plus en plus curieux. Mon père était un mutant, j'étais un mutant. Combien de chance pour que Maddison en soit une ? Soudain, mon coeur s'emballe. En fait, il rate même un battement. J'ai dégluti en réalisant ce qui venait de me traverser l'esprit. Si Ethan avait découvert que ma soeur était une mutante… Qu'avait-il pu lui faire de plus qu'une simple gifle dont elle pouvait se remettre ? J'avais vite grandi, j'avais vite développé de la force et à l'adolescence, j'avais même compris qu'il ne pourrait rien me briser de plus que le mental. Mais ma soeur ? Avait-elle le même pouvoir que moi ? C'était quoi ces théories sur le mensonge ? A sa question, j'ai lentement tourné la tête pour la regarder, mon visage restant assez froid et attentif, les sourcils froncés, comme si moi-même, je cherchais à voir si Maddison mentait quelque part. Ces deux là me cachaient quelque chose, ça c'était un fait. Mais très sincèrement ? Je m'attendais à autre chose. Alors j'ai ri.

– C'est ça ta question ?

J'ai ouvert une main et j'ai grimacé en reculant la tête, donnant un coup d'oeil à ma mère avant de reporter mon regard sur ma soeur.

– Tu as la possibilité de poser une question à 500 000 dollars qui te donne un job de consultant et tu me demandes un truc que je peux, en fait, te dire sans avoir besoin de mentir ?!

J'étais presque déçu. Je m'attendais à être testé, je voulais être testé. Je voulais ses faveurs, je voulais… J'en sais rien, je voulais être son frère. Ethan n'était plus là, je pouvais prendre ma place, maintenant. Quand ma mère est intervenue, ça a achevé d'attiser ma curiosité. Je ne sais pas trop ce qui m'a pris, je crois que je n'aime pas qu'on me mente ou qu'on me cache des choses. Je pense que j'en avais assez de jouer des petits jeux et qu'à présent, je voulais qu'on me rende ma vie, celle que j'aurais dû avoir, sans l'enfer que j'avais été obligé de subir. Alors d'un coup, je me suis redressé et j'ai attrapé le poignet de ma mère pour la retenir et qu'elle me regarde. Bien entendu, elle avait peur de moi comme elle avait peur d'Ethan et bizarrement, je ne m'en rendais compte que maintenant, sa façon de me fuir du regard et de sursauter quand je la touche. Elle me fuyait depuis que Maddison était arrivée. Elle nous fuyait tous les deux depuis que ma soeur a franchi cette fichue porte. Avant de parler, j'ai regardé Maddison et j'ai secoué la tête.

– Non, je n'ai besoin de personne pour trouver ce que je veux savoir.

J'ai reporté le regard sur ma mère, serrant les dents. Je la sentais presque trembler dans ma main, je voyais le niveau de café trembler. Bien sûr qu'elle avait peur de moi, j'étais capable d'abattre un homme de sang froid. Elle avait attendu que je m'en prenne à Ethan pour ça ? Si seulement elle savait ce dont j'étais capable, elle m'en aurait tellement voulu d'avoir cherché à revenir. Finalement, maintenant, la veille au soir me semblait plus une vaste blague qu'autre chose. Comment avais-je pu demander le pardon à une femme qui, de toute façon, n'était pas celle que je croyais. Elle ne m'avait jamais défendu, simplement parce qu'elle était d'accord avec Ethan : j'étais un mutant donc je faisais peur. Et si ma théorie était bonne…

– Je n'ai aucune envie d'aller au salon. Depuis quand elle ne vit plus ici ?

Mais ma mère se remet à hoqueter en sanglots. Superbe ! Magnifique ! J'ai une mère pleurnicharde ! Comme elle ne me répondait pas, j'ai pris la cafetière pour la poser d'un coup sur le comptoir et j'ai pris ma mère par une épaule pour la tourner face à moi. En vérité, Maddison avait mal choisi son moment pour venir. J'aurais tellement préféré que ce soit dans d'autres circonstances.

– Depuis quand !

– Environ un an.

D'après les calculs dans ma tête, ça signifiait que Maddison était partie au même âge que moi. Suivait-elle mes traces, ma mère faisait-elle les mêmes conneries avec elle qu'avec moi ? Je me suis frotté le front avant de lisser mes cheveux en arrière et de soupirer en dévisageant ce petit bout de femme qui semblait apeurée. C'était plus facile de laisser partir Maddison, et moi avant, parce que nous étions des mutants et que du coup, elle n'avait pas à craindre qu'on lui fasse du mal ? Ou bien parce que ne plus être ici voulait dire ne plus être face à Ethan ? Ma mère nous protégeait-elle ou empirait-elle les choses ? Je n'étais pas certain de vouloir savoir et la voir, comme ça… Quelque chose me disait qu'elle était avant tout dépassée par les événements, par tout ce qui lui arrivait et nous arrivait à nous. J'ai secoué la tête sans la quitter des yeux. Maddison avait fait la même chose que moi, finalement. Ca expliquait même le nombre de conneries que j'avais pu relever. A présent, j'avais peur qu'elle finisse comme moi. Je devais être sadique ou je sais pas… Peut-être que j'en avais marre de chercher à protéger ma mère. A nouveau, je me suis accoudé au comptoir, croisant les chevilles et j'ai désigné Maddison d'un coup de tête.

– Ca fait quoi de vivre avec, sur la conscience, le fait qu'on a reproduis exactement les mêmes erreurs ? Tu aurais pu apprendre de moi, mais non, tu as fait pareil avec elle.

Au contact de ma mère, et de Maddison par la même occasion… Je redevenais ce sale petit branleur d'adolescent, prêt à tout pour provoquer ses parents et faire régner sa loi. Sans déconner ? Je devais être un monstre pour Ethan. Mais il m'avait cherché.

Elle s’en fou des cookies, de la bouffe de sa mère. En fait, tout ce qui peut venir de cette femme n’a pas la moindre importance pour elle, trop de mensonge, le genre de chose sur laquelle Maddison montre peu de tolérance. Elle se fou encore plus de cette nourriture quand il annonce, non pas une ville mais, un quartier. Elle ferme les yeux, une seconde, peut-être deux, son monde s’écroule mais elle relève la tête. Toutes ses années à être dans la même ville, des bars, elle en avait fréquenté. Pourquoi n’a-t-elle pas trouvé le chemin de celui où il se trouve ? Est-ce qu’il faut y voir comme un signe, une incompatibilité, quelque chose qui refuse de les voir se réunir ? Elle estime qu’ils en ont assez chié comme ça pour ne pas avoir une petite aide du destin. Elle ne croit en rien, ni au destin, ni dans un dieu quelconque mais, des fois, c’est plus facile de se dire que quelque chose à jouer contre elle, ça lui évite de se dire que c’est de sa faute, qu’elle aurait dû chercher plus tôt, avec plus de conviction. Soho… Il travaille à Soho, et elle l’avait laissé filer pendant toutes ses années. Piètre petite soeur.

_ Bien sûr que c’est ma question.

Elle hoche la tête, de manière convaincue. Ne pas rentrer dans le vif du sujet à la première question, elle doit d’abord savoir comment les gens réagissent en disant la vérité pour savoir comment ils sont quand ils mentent. C’est la base de ses cours, c’est la base de tout. Elle n’en a pas besoin pour son pouvoir mais, elle fait en sorte que ce ne soit pas évident. Et, vraiment, elle lui aurait expliqué tout cela si on lui avait laissé le temps. Sa mère intervient, Alex est bien plus suspicieux que Maddison. Alex se redresse d’un coup, c’est plus fort qu’elle, elle se relève aussi, d’un pas en arrière, sa chaise s’écrasant sur le sol, manquant de peu de lui faire perdre l’équilibre. Geste de crainte ? Évidemment ! Elle sait qu’Ethan est violent alors c’est plus facile de contrôler ses réactions quand on s’est à quoi s’attendre. Il n’est pas là, naïvement, elle avait baissé sa garde, s’était dit qu’elle ne craignait rien. Alex s’est relevé trop vite, le fait qu’il attrape Lisa par la poignet, … Tout devient un déclencheur provoquant la réflexe de Maddison dont le regard, médusé, un instant craintif, se porte à sa mère et à Alex tour à tour.

Elle a reculé, assez pour être dos au plan de travail. Elle regard Alex qui lui dit n’avoir besoin de personne et, sans arriver à dire la moindre parole, elle hoche la tête. Oui, elle voit bien qu’il n’a pas besoin de quelqu’un. Un moment qui semble durer une éternité alors que, non, pas tellement. Elle inspire, se reprend, refusant de redevenir cette fille craintive qui a toujours vécue ici, celle qu’elle était devenue quand Alex avait pris la décision de partir. Elle se reprend parce que c’est son frère, ce n’est pas Ethan, ils sont différents. Sa mère est surprise mais elle ne semble pas avoir mal. Elle se reprend parce qu’elle a l’impression que les choses dégénèrent et qu’elle s’en sent coupable.

Lisa ne sait pas quoi dire aux accusations de son fils. Maddison n’est même pas certaine qu’elle puisse répondre à quoique ce soit dans son état. Il est démesurer, quelque chose lui échappe, elle le sait très bien. Et bien qu’elle n’a aucune envie de défendre sa mère, elle s’étonne en comprenant qu’elle compte quand même le faire. D’une certaine manière, en tout cas.

_ Les circonstances étaient différentes. J’étais SA fille.

Sa voix reste basse, elle ne s’énerve pas, insiste juste sur le « sa » pour dire qu’elle sait. Elle sait ce que personne ne lui a dit, ce qu’elle avait découvert toute seule. Elle est la fille d’Ethan contrairement à Alex qui ne l’est pas. Ca la tue, parce qu’elle a l’impression de défendre sa mère, de lui donner une excuse, de lui accorder le fait qu’elle ait plus croire que, parce que Maddison était la fille légitime d’Ethan, celui-ci ne lèverait pas la main sur elle. Elle se décolle du plan de travail, secoue la tête.

_ Je ne lui cherche pas d’excuse, c’est juste que…

Qu’elle a flippé. Elle déteste sa mère mais ce n’est pas pour autant qu’elle a envie de voir quelqu’un lui faire du mal. Elle balance une main, désireuse de laisser tomber cette explication qu’elle tient à garder pour elle. Elle s’approche, il n’y a que le comptoir pour séparer le frère et la sœur. Alex vient d’apprendre que Maddison est partie de la maison, elle s’interroge sur la manière dont il sait ce qu’elle fait mais, un autre calcul se fait dans sa tête. Un an, au moins, qu’il n’est pas venu, elle ne l’a jamais croisé avant – il pouvait passer pendant qu’elle était en cours – donc, il n’est pas un habitué des visites à sa mère. Elle pose son regard sur sa mère, qui reste figé sur place, dans des sanglots, un peu trop tremblante.

_ Qu’est-ce que tu as ?

Maddison n’a posé qu’une question et ça suffit à faire sursauter sa mère qui, définitivement n’est pas dans son assiette. L’étudiante s’empêche de soupirer mais ne lâche pas sa mère du regard. Cette dernière, dans un effort affronte ce regard, un sourire las et un peu trop forcé sur le visage.

_ Rien. J’ai mal dormi, c’est tout.
_ Tu devrais peut-être te reposer alors.

Maddison à sourit, n’a rien dit malgré cette lueur rouge qui vient de lui exploser les rétines. Elle ne dit rien, comme elle l’avait déjà fait avec sa mère, se contentant de sourire et de passer à autre chose. Il se peut qu’elle ait mal dormi, la question de Maddison n’était pas assez précise mais, c’est sûr, il n’y a pas « rien ». Sa mère ne l’intéresse plus, c’est sur Alex qu’elle porte son regard alors qu’elle pose ses coudes sur le comptoir, face à lui.

_ Tu veux une question à 500 000 dollars ? Tu ne savais pas que j’étais partie mais tu sais ce que je fais alors, pourquoi t’es jamais venue me voir ?

Je n'aurais pas pensé effrayer ma soeur par la même occasion. Vous voyez, c'était pour ça que je m'étais éloigné de tout le monde. Ma mère, ma soeur, ma fille… Les gens finissent toujours par avoir peur de moi parce que j'ai des réactions assez brutes qu'ils n'attendent pas. Finalement, elles étaient bien mieux sans moi. Mais j'étais revenu et comme par hasard, tout volait en éclat. Pourquoi ? Décidément, j'avais fait un bon choix en restant dans mon coin de New York, il n'y avait plus eu de soucis depuis, pas vrai ? Et puis quand Maddison reprend la parole, je ne sais expliquer ce qui m'est arrivé, mais j'ai éclaté de rire. Je l'ai regardée, les sourcils hauts alors que ma mère devait probablement se demander ce que je trouvais de drôle et il m'a fallu un moment avant de m'exclamer.

– Oh parce que tu étais SA fille aussi quand il t'a fichue une raclée un soir ? Probablement que tu avais dû respirer trop fort ou je sais pas encore quel autre crime que tu aurais pu commettre.

Mon regard dans celui de ma soeur, j'avais souri un moment tellement la remarque m'avait fait marrer. Je portais le nom de ce mec, j'étais aussi, en un sens, son fils mais ça, il s'en foutait royalement, il s'en était toujours foutu, en fait. Je me demande pourquoi il m'a accepté dans sa vie en premier lieu. J'ai beau fixer Maddison, je continue de croire que j'aurais dû faire quelque chose à ce moment-là, quand j'avais vu Ethan lever la main et que le visage de ma soeur avait valsé dans un 180°. Mais ce soir-là, je n'avais pas pu intervenir. Je n'avais pas pu risquer de mettre ma femme et ma fille dans cette maison. J'avais juste tourné les talons et pour ça, je m'en voudrais longtemps. Mais je ne souriais plus et j'ai secoué la tête.

– C'est fou tout ce qu'on peut voir de l'extérieur quand il fait nuit et ce qu'on ne peut pas repérer de l'intérieur quand la lumière est allumée.

FInalement, Maddison et moi avions le même regard sur notre mère. Pourquoi ? Aucune idée. J'aurais aimé que ce ne soit pas le cas. J'aurais aimé qu'elles soient fusionnelles comme ces mères et filles qu'on voit parfois dans les émissions. J'aurais aimé que ma mère lui prenne la main et qu'elles partent sur une île se la couler douce. J'avais agi comme je l'avais fait, justement parce que je ne voulais pas qu'on fasse du mal à ma mère. Elle avait assez souffert comme ça et maintenant, elle souffrirait malgré tout à cause de moi. Si seulement j'étais resté chez moi hier soir… Je commençais à regretter, je commençais à me rendre compte de ce que ça voulait dire pour ma mère et non plus uniquement ce que ça signifiait pour Maddison et moi. J'en avais oublié ma propre mère que je tentais, à la base, de protéger. Cette pensée m'a adoucit. Je ne sais pas vraiment si m'adoucir est vraiment possible mais en tout cas, j'ai suivi le regard de ma soeur vers notre mère et j'ai soupiré. J'avais encore fait n'importe quoi. Ce que ma mère a ? Un état de choc causé par mes soins. Encore moi. J'étais un cauchemar pour mon entourage et si Maddison m'avait dit qu'elle m'avait cherché partout, j'aurais certainement éclaté de rire à nouveau. Et on sait qu'en général, quand je ris, c'est surtout que je trouve la situation très ironique. J'ai posé une main sur l'épaule de ma mère et je lui ai massée doucement alors qu'elle répondait à Maddison. Reprenant une voix plus douce, je me suis approché d'elle et lui ai frotté le dos.

– Maddison a raison, tu devrais monter t'allonger.

La nuit avait été longue pour elle comme pour moi. Mais j'avais l'habitude de ce genre de nuit. Sinistrement l'habitude. Ma mère m'a tapoté le torse en acquiesçant. Sûrement que dans d'autres circonstances elle m'aurait servi son "Brave garçon" mais elle n'en fit rien. Elle a souri à Maddison et finalement traîné ses pieds jusqu'à l'escalier. Je me rendais compte alors que je l'envoyais vers un lit dorénavant vide. J'aurais dû m'excuser de m'être emporté, j'aurais dû tenter d'arranger les choses mais… Bon sang ! Non ! Ethan avait été un cauchemar pour moi et sûrement un cauchemar pour Maddison également ! J'ai suivi du regard ma mère monter et quand elle a été hors de vue, j'ai entendu Maddison reprendre dans mon dos. Dans un léger sourire, j'ai porté ma main à mes lèvres pour me frotter le menton et je me suis retourné vers elle dans une profonde inspiration. Donner du sourire, j'étais assez fort à ça, il fallait reconnaître. Et je trouvais sa question encore assez décevante bien que légitime. J'ai repris la cafetière pour servir un café à ma soeur et je me suis laissé tomber des fesses sur une chaise face à elle dans un soupir.

– C'est quoi concrètement ta question. C'est comment je sais ou pourquoi je suis pas venu te voir ? Faut être claire dans tes formulations, tu crois pas ? L'un ne va pas sans l'autre, d'ailleurs.

Comme réponse, j'ai levé une main, et lui ai souri.

– Tu vois ce qui arrive quand je suis à côté des gens ? Alors pourquoi j'aurais voulu venir te voir, pour que tu me craignes comme Lisa ? Je t'ai vue à ton université, j'en ai déduis que tu étudiais là, le reste, c'est de l'histoire.

Je ne mentais même pas. Mais je ne disais pas tout, ça c'était un fait. Amener le sujet Ethan sur le tapis viendrait à faire face à des questions auxquelles je ne pourrais pas mentir.

Chacun à sa raison de sourire, Maddison, c’est la remarque d’Alex qui a lui fait avoir cette réaction. Un sourire, dans un bref rire, plus ironique qu’autre chose. Elle ne dit rien parce que ça serait de la provoc’ gratuite, qu’elle n’en veut pas. Pas avec lui. Elle ne lui en veut pas d’être partie, d’avoir cessé d’être là, donc elle préfère ne rien dire pour éviter que ça sonne comme une critique, ce que ce n’aurait pas été. Mais sa réaction est spontanée, elle ne peut pas s’en empêcher et, dans ce bref rire fait avec un demi-sourire en croisant les bras, on comprend… On comprend très bien le « si il n’y avait eu qu’un soir ». Bien sûr, elle comprend qu’il avait vu quelque chose de dehors, qu’il n’avait pas bougée de sa place, qu’il n’était pas intervenu, sinon, elle s’en souviendrait. Mais ce n’est pas elle qui va critiquer, lui demander des comptes. Jusqu’à ce que lui ait 21 ans, elle n’avait jamais eu l’occasion de voir son père sous son vrai jour. Alex était la raison de ce barrage alors, elle est mal placée pour lui faire la moindre critique.

En réalité, elle n’a pas envie de revenir sur les agissements de son père, elle les a fui, ce n’est pas pour en reparler à la première occasion. Si elle évite cette maison si soigneusement depuis un an, ce n’est pas anodin. Alex va dans son sens, vis-à-vis de Lisa qui, bientôt, baisse les bras et s’en va. Maddison trouve étrange que personne n’informe du moment où Ethan va rentrer, s’il le fait alors que les deux enfants sont dans la cuisine, il est clair que ça ne sera pas pour lui plaire. Personne ne s’en inquiète. Peut-être qu’il sera absent pour l’ensemble de la journée.

Brièvement, Maddison lève les yeux au ciel en secouant doucement la tête. Répondre à des questions par d’autres questions, elle connait. Détailler la question de l’autre, elle sait le faire aussi. C’est des petites choses qu’on apprend vite à faire quand on ne veut pas répondre et que, en même temps, on ne veut pas mentir. Il est peut-être simplement comme ça, ce n’est pas la première fois qu’il joue sur la question. Elle baisse les yeux quand il parle de le craindre, elle s’en veut de sa réaction un peu plus tôt, elle n’a pas réfléchi, elle a juste agit. Et en même temps… Elle lève les yeux sur Alex.

_ J’ai l’air de te craindre là ? Un réflexe, c’était juste ça.

Ils ont le même père – il manque trop d’informations à Maddison pour parler d’Ethan au passé -, un passé un peu en commun, assez pour qu’il comprenne sa réaction. Du moins, c’est ce qu’elle pense. Ou alors, Alex, elle n’en doute pas tellement, est bien plus fort psychologiquement qu’elle, assez pour ne pas avoir craint chaque arrivée d’Ethan. Il n’y a pas grand-chose à tirer des réponses d’Alex, parce qu’il ne répond pas à sa question, il en formule seulement une autre. Si ce n’est pas une réponse alors… Elle peut dire adieu à son pouvoir, ses cours servent à reprendre le relais. Elle fait une moue, réfléchie, se pince les lèvres et, enfin, elle inspire avant de se lancer.

_ Tu me déteste ?

Concrètement, c’est ce qu’elle pense, ce qu’elle trouve logique. Il avait fait barrage pour elle et, en échange, elle lui en avait voulu incapable de voir ce qui se passait sous le toit familial. Elle n’avait jamais cherché à le retrouver non plus, où à chopper son numéro de téléphone. Il y a de quoi se sentir mit de côté, d’en vouloir à la personne. Elle lève un doigt avant qu’il ne lui donne une réponse.

_ Et si tu réponds par « pourquoi je t’en voudrais », parce que ça à l’air d’être ton truc de répondre par des questions, je te préviens, je te fais bouffer toute l’assiette de cookies en moins d‘une minute.

Elle hausse un sourcil, incline un peu la tête pour se faire plus menaçante. Même comme ça, elle n’est pas crédible. D’ailleurs, elle regarde l’assiette en question, puis son frère avant de secouer la tête doucement.

_ Et comme j’ai aucune idée de la manière dont je vais m’y prendre, si on pouvait éviter, ça serait cool.

Faut voir son gabarit comparer à celui d’Alex, aucune chance qu’elle arrive à faire quoi que ce soit… Sauf si, de son côté, Alex se laisse faire. Elle a bien une autre question qui lui trotte dans la tête : personne dans cette maison semble s’inquiéter du temps qu’il reste avant le retour d’Ethan… Elle, par contre, ça l’inquiète, elle n’a aucune envie de le voir, surtout que la raison pour laquelle elle est venue se trouve devant elle. Mais, elle n’a pas envie de parler de lui, seule raison qui la retient pour le moment.

Je ne parlais pas que d'elle, ni que de notre mère. Je parlais de toutes ces personnes qui avaient toujours peur de comment je pouvais réagir tant j'étais impulsif. Lisa avait eu de la chance parce qu'elle était ma mère - et parce que Maddison était là. N'importe quelle autre personne aurait fini avec mon poing dans la figure, contre un mur. Et pourtant, je n'aime pas les conflits. Bien sûr que j'avais de la force dans le mental. Comment ne pas faire autrement ? C'était mon mode de vie, je ne pouvais pas me permettre d'avancer en ayant besoin constamment de regarder derrière moi. Je savais quand venir dans cette maison parce que je le décidais. Si Ethan n'était pas d'accord ? Et bien… Maintenant nous savions ce qu'il se passait quand il s'opposait à ma volonté. Ma soeur semblait dérangée par mon manque de réponse. En même temps, ça m'amusait de répondre à côté, de la taquiner comme ça. Disons que je la testais également. J'étais curieux de savoir… En fait, je voulais savoir ce qui m'avait valu une telle étreinte un instant plus tôt. Le temps qu'elle se décide à se lancer avec une nouvelle question, j'ai posé mes coudes sur le comptoir, mon menton sur mes poignets pour la regarder. Une fois, une fille m'avait dit que je faisais gamin quand j'étais dans cette position. Un côté enfant en moi, peut-être ? Ca me rendait attendrissant, je n'en doutais pas un instant. Rien qu'à cette pensée, j'ai eu à nouveau un sourire. Mais que j'ai vite perdu à la question de ma soeur. J'ai froncé les sourcils en me redressant, pas certain de bien saisir le sens de la question.

– Pourquoi--

J'ai décroisé les bras et j'allais répondre quand elle m'a interrompu de son doigt long et fin. Aussitôt m'avait-elle inquiété qu'elle me faisait rire. Je me suis gratté l'arcade avec mon pouce en la dévisageant. Elle m'amusait mais en même temps, je savais que cet humour devait cacher autre chose. Je n'expliquais toujours pas cet accès de tendresse envers moi - sûrement lié à son comportement face à Lisa - alors que pendant toutes ces années où nous vivions ensemble, elle me faisait subir sa rébellion. J'ai secoué la tête en prenant un nouveau cookies que j'ai fourré dans ma bouche. En vérité, j'avais très faim.

– Bien sur que non, je ne te déteste pas, pourquoi je détesterais ma soeur !

J'ai relevé les yeux sur elle, sans comprendre et j'ai haussé une épaule. D'abord elle me sautait au cou comme si elle était réellement contente de me voir, et puis maintenant, elle voulait savoir si je la détestais, pas que ça ait un lien avec rien, soit dit en passant… Sans parler de son comportement provocateur envers Lisa. D'accord donc… Toute la famille avait des secrets pour… toute la famille. Comme c'était pratique. Et j'étais juste en plein milieu de l'action. Et j'avais viré Ethan de l'équation. Oui, c'était comme ça que j'aimais dire les choses : j'avais simplement… éliminé Ethan de la famille. A bien y réfléchir, je crois que si Maddison me posait la question, je répondrais sans mentir. Mais je devais d'abord connaître un peu plus son avis sur la question.

– A moins que tu aies cassé un de mes jouets mais je doute qu'on ait les mêmes poupées.

Dans un sourire espiègle, j'avais levé mon propre index en lui faisant un clin d'oeil. Elle jouait sur l'humour ? Moi aussi. Est-ce que je le faisais exprès ? Pas plus qu'elle mais je pense que c'était une façon de nous tester et d'apprendre à nous connaître. Finalement, combien parieraient que nous avions plus en commun que ça ne semblait être le cas ? Probablement pas moi car elle avait toujours été mon opposé. Quand j'étais pauvre, elle était riche, quand j'étais détesté, tout le monde l'aimait… Ma Nemesis, finalement. Une Nemesis à qui je suis incapable de mentir. Si Maddison venait à me poser la question à 1 million de dollars… Je ne saurais pas lui mentir. C'était comme ça, je ne pouvais pas. Quand je la regardais, je me demandais si son pouvoir consistait à me faire dire la vérité ou à détecter le mensonge - si toutefois j'avais lu entre les lignes de son petit manège tout à l'heure - mais le fait était… Que je ne pouvais pas mentir à ma soeur, même si je le voulais.

Une moue, les sourcils légèrement froncés, inquiète, elle attend sa réponse. Pour elle, il existe un tas de raison pour qu’il la déteste. Suffit de voir leur enfance, elle avait toujours eu l’impression d’être rejeté par lui, d’avoir essayé d’aller vers lui pour se heurter à un mur avant de lâcher prise et, de lui mettre tous les tords sur le dos. A cette époque, elle n’avait pas de doute : il la détestait, sans qu’elle ne comprenne pourquoi. Puis, elle avait compris, grandit, appris un tas de chose et, même là, elle s’était enfermée dans la culpabilité, sans trouver le courage d’aller le voir, d’en discuter avec lui alors… Oui, elle pense sincèrement qu’il a toutes les raisons du monde de lui en vouloir.

Il dit que non, elle cligne des yeux, étonné. Elle a du mal à y croire pourtant… Il vire au vert. Son regard se pose sur le comptoir pour ne pas avoir cette lueur en plein dans les yeux. Maddison passe le bout de son index sur ses yeux, elle ne doute pas de son pouvoir et elle veut sourire. En réalité, elle se contient parce qu’elle veut même rire, se lever, sauter partout. Elle a passé tellement de temps à croire qu’il la détestait que, elle ne sait comment le dire, c’est comme la révélation de l’année pour elle. Son frère ne la déteste pas… Peut-être qu’il lui en veut, sûrement même – elle n’en sait rien – mais il ne la déteste pas alors, quand il ajoute quelque chose, elle rit. C’est spontanée, elle n’y peut rien, c’est plus fort qu’elle, un bref éclat de rire et elle relève, sur lui, un regard joyeux, un sourire radieux et secoue la tête.

_ Non, non, je ne crois pas avoir cassé quoique ce soit.

Elle ne revient pas dessus mais, tant qu’il était à la maison, elle était la favorite, celle qui avait les meilleurs jouets, celle qui avait tout. Elle n’avait jamais réellement eu de raison de vouloir ce que lui avait, pas de raison d’aller faire un carnage dans les choses qu’il possédait quand ils vivaient ensemble. Elle n’arrive pas à se défaire de son sourire, c’est plus fort qu’elle, pourtant elle arrive à rester à sa position, bien sagement mais, pas de doute, tout montre en elle qu’une simple réponse suffit à la rendre heureuse, à enlever tout un tas de pression qu’elle s’était mise toute seule.

_ Il y aurait pu avoir un tas de raison.

Elle peut même lui filer une liste longue comme le bras mais, étrangement, elle ne préfère pas le faire. Pas envie de le faire hésiter, douter, voir les choses autrement et finir par changer d’avis. Alors elle reste sur cette seule réponse. Une voiture se gare, non loin de la maison, sans même y réfléchir, elle redresse la tête soudainement pour porter son regard vers la fenêtre. Un voisin. Juste un voisin. Aucun doute sur le fait qu’Ethan lui a laissé une certaine empreinte, qu’il est la dernière personne qu’elle veut voir arriver et comme personne ne lui a donné des infos sur son retour – pour elle, il est juste absent -, elle craint, sans le vouloir réellement, qu’il ne revienne. Elle ne peut pas s’empêcher d’imaginer sa réaction en les voyant tous les deux ici, ça ne va pas lui plaire, elle en est certaine. Rien ne lui plait de toute façon. Le problème, c’est qu’il est incapable de dire les choses calmement, ou même en hurlant, il faut qu’il prouve… Elle ne sait pas ce qu’il doit prouver mais ses interventions se doivent d’être musclées. Elle secoue la tête, quitte la fenêtre du regard pour venir reporter son attention sur Alex.

_ Il revient quand ?

Même le prénom de son père n’est pas prononcé, un peu comme si elle ne voulait pas lui donner une identité humaine. Elle ne sait l’expliquer, c’est comme ça. Sa question est innocente, elle ne cherche pas à savoir quelque chose en particulier, elle n’a aucune conscience de ce qu’il s’est joué dans cette maison. Elle est juste inquiète, elle ne veut pas le voir encore moins si Alex est présente. Il l’a toujours protégé, il est partit, elle ne veut pas lui redonner ce rôle dont il s’était sorti.

Personne n’a l’air de s’inquiéter de son retour, elle pense de manière légitime, que tout le monde est au courant d’un horaire ou d’un jour de repos. Ça lui semble logique, si personne ne sait, elle imagine que l’endroit serait plus tendu. Quoique, à voir sa mère, maintenant dans son lit, on ne peut pas faire plus tendue. Ça aussi ça l’intrigue. Pas qu’elle s’inquiète pour sa mère mais elle se demande ce qui peut bien se passer et, peut-être par instinct, quelque chose d’inconscient, elle n’ose même pas poser la question. Un peu comme si, quelque chose intérieurement, lui dit qu’elle ne va pas aimer la réponse.

Ce sourire. Je ne m'y attendais pas. Tellement que je suis resté figé. Je l'ai regardée et j'ai failli lui demander ce qui la faisait tellement sourire comme ça. J'en étais presque gêné parce que j'ignorais totalement ce que j'avais pu dire pour mériter ça. Pourquoi est-ce que ça l'étonnerait tant que ça ? Bien sûr que c'était ma soeur ! Maddison avait toujours été ma soeur. Même quand nous n'avions pas le même père, qu'est-ce que ça changeait, le même homme nous avait élevés. Ce n'était qu'une question de gènes. De plus, si je ne me trompais pas, alors mon côté mutant ne venait pas vraiment de mon père... Ou alors pas entièrement. Si Maddison était une mutante comme moi, alors peut-être que ça venait de notre mère ? En fait, j'en savais rien du tout, pour ma part, ces choses-là m'échappaient tellement, je n'y connaissais absolument rien !

Finalement, son sourire m'a fait sourire. C'est un ravissement pour moi de voir son visage s'illuminer, je n'en demandais pas plus. J'ai porté ma main sur la sienne pour lui serrer brièvement et j'ai secoué la têtE.

– Je déteste plein de gens dans le monde. Mais pas toi.

J'ai souri un peu plus et lui ai fait un clin d'oeil avant de me lever pour ramener la cafetière à son emplacement de base. Je n'ai même pas fait attention à la voiture. Je n'attendais pas le retour d'Ethan pour ma part. La cuisine a dû rester silencieuse plusieurs secondes avant que Maddison ne me pose une nouvelle question.

– Qui ça ?

Je me suis retourné vers elle en prenant un torchon et je l'ai étudiée du regard en réfléchissant. Et puis ça m'a frappé. Mon esprit s'était déjà tellement habitué à l'absence de Ethan, c'était comme respirer à nouveau, c'était comme redécouvrir la vie ! C'était... salvateur. Et j'allais pouvoir en faire profiter ma soeur maintenant que notre mère était montée se recoucher. L'entendre pleurnicher toute la nuit m'avait suffit, j'en avais assez, j'avais envie de célébrer ! J'avais envie de trinquer à cette nouvelle vie. J'ai brandi mon index dans un sourire des plus malicieux et je l'ai agité vers elle, me dirigeant vers le frigo. Il était tôt. Il était presque midi mais ça faisait encore tôt.

– Tu vois, c'est ça qu'il y a de magique dans cette journée.

J'ai sorti les deux bières pour les présenter à Maddison et j'ai refermé la porte d'un coup de pied avant de revenir vers elle. J'ai retiré la capsule et j'ai posé la bouteille face à elle en lui tendant le goulot de la mienne. Le sourire qu'elle avait plus tôt, cette fois, c'était moi qui l'avait. Ma mère n'était plus là. Je pouvais être moi-même. Je pouvais me réjouir, je pouvais être heureux de ce qui m'arrivait. Je pouvais le fêter, danser... Je pouvais m'éclater de la nouvelle.

– C'est qu'il est parti. Et qu'il ne reviendra plus jamais.

Je ne mentais toujours pas. Tant que Maddison ne poserait pas les questions les plus précises dans le genre "C'est quoi ce truc dans le jardin ? Tu fais pousser des tomates ?" (pitié, que quelqu'un reconnaisse ma référence !) alors je n'aurais aucunement besoin de mentir. J'ai cogné mon goulot au sien et j'ai hoché la tête, fièrement.

– Alors à moins que ça t'attriste... A la tienne.

Et j'ai porté la bouteille à mes lèvres pour fêter ça DIGNEMENT !

Elle vient d’une famille où les rapprochements tactiles ne sont pas monnaie courant, hormis sa mère dans certains moments. Son frère, son inaccessible de frère, qui pose sa main sur la sienne, forcément, ça l’étonne. Son sourire s’agrandi, elle est rassurée, elle l’est même peut-être un peu trop vite. Des années de doute et, en une seule réponse, elle lui accorde tout le crédit du monde, elle est aidée par son pouvoir, elle le sait mais, personne d’autre n’est censé le savoir aussi dans cette pièce. Son sourire est de courte durée, Alex se demande de qui elle parle et, ça, c’est ce qu’elle trouve le plus étrange. De qui peut-elle parler hormis Ethan ? C’est pire que ce qu’elle pense, en fait ce n’est pas que personne ne s’inquiète de son retour, c’est qu’on semble même oublier qu’il existe.

Maddison fixe un point sur le comptoir, étonnée mais surtout songeuse, son cerveau essaye de mettre en place un tas d’explications logiques. Elle pose à nouveau son regard sur lui en secouant la tête, intriguée, peut-être un peu inquiète, elle ne le sait pas vraiment. Mais, non, elle ne sait pas ce qu’il y a de magique dans cette journée. Enfin, hormis le fait qu’ils se soient tous retrouvés ici, par hasard, ce qui tient plus du miracle que d’autre chose, elle ne voit pas. C’est presque instinctif, il lui met quelque chose devant elle, elle le prend. Elle sait que c’est une bière, son cerveau à enregistrer l’information mais il n’a pas encore eu le temps de lui transmettre.

Et le monde s’arrête de tourner autour du sourire d’Alex et des mots qu’il prononce. Parti. Ne reviendra jamais. Elle ferme les yeux, porte sa main de libre à ses tempes. Elle est contente, enfin elle le croit mais, c’est juste que quelque chose ne va pas. Ethan est resté si longtemps ici, une femme qui ne s’élève jamais contre lui et dont il peut faire ce qu’il veut, pourquoi est-ce qu’il serait parti ? Le tintement des deux bouteilles lui apporte une information qu’elle a négligée dans toute cette histoire.

_ Je ne comprends pas. Maman a toujours voulu que je revienne, au moins la voir un peu.

Maddison a cessé de compter le nombre d’appel qu’elle avait laissé en absence, les messages auxquels elle ne répondait pas. Maddison, ton père est parti à la pêche avec des amis, il ne sera pas là les trois prochaines heures, tu pourrais en profiter pour venir, ça me ferais plaisir. Des messages de ce genre, elle en avait eu, à chaque fois que sa mère disposait de plus de deux heures de manières sûrs, en plus des horaires de boulot d’Ethan.

_ Elle m’a toujours prévenu quand il s’absentait un certain temps. Du coup, je ne comprends pas pourquoi elle ne me l’a pas dit.

Ça n’a pas de sens pour elle. Elle fronce les sourcils, fixe un point au hasard pour essayer de mettre le doigt sur ce qui ne va pas dans cette histoire. Elle est toujours à des kilomètres de la vérité, ça n’est même pas envisagé dans sa petite tête parce qu’elle n’a pas envie de croire qu’un membre de sa famille est capable de tuer Ethan. C’est, juste, pas envisageable une seule seconde. Elle relève les yeux vers Alex, toujours cet air interrogateur et un peu paumé dans cette affaire.

_ C’est une bonne chose qu’il soit parti, c’est juste que ça n’a pas de sens.

Elle se pose toujours un tas de question, c’est comme ça, elle n’y peut rien. Elle trinque quand même avec Alex, presque midi est une heure qu’elle trouve presque raisonnable pour une bière, surtout si le départ d’Ethan est à fêter.

_ Il est où ?

Elle n’a aucune envie de le retrouver mais, elle se dit que cette information peut lui permettre de comprendre ce qui s’est passé, ce qui l’a décidé à quitter la maison. Il y a forcément une raison, il ne serait pas parti comme ça alors, qu’à disposition, il avait le défouloir que tout homme violent rêvait d’avoir. Ce n’est pas très glorieux pour sa mère mais ça a toujours fonctionné de cette manière, aussi triste soit-il.

Je reprends ma place face à elle en me rasseyant, gardant le goulot à mes lèvres pour une nouvelle gorgée. Puis je hausse les épaules. Après tout, ma mère a tenté de me faire revenir aussi, au début. Pas les mêmes moyens. Le jour où je l'ai fait, j'ai vu Ethan lever la main sur ma soeur. J'ai été faible, j'ai tourné les talons. Mais inutile de raconter ça à Maddison. Ce n'est pas le moment. Mes travers, mes défauts de confiance, mes accès de couardise, on y reviendrait un autre jour. Ce n'était plus pressé, maintenant.

– Lisa aime d'une façon un peu particulière. Elle est partagée entre ce qui est bien pour les autres et ce qui est bien pour elle aussi. Ca ne fait pas d'elle une mauvaise femme mais une bigrement maladroite, par contre. Pourquoi tu crois que je ne suis ici que maintenant ? Je veux dire, que depuis hier soir ! Il est parti hier et on est pas tout à fait midi, alors, disons qu'elle n'a pas eu le temps de te prévenir.

Et… Encore une fois, je ne mentais toujours pas. Je me demande si je le faisais exprès, si j'étais doué ou si Maddison avait le pouvoir de m'empêcher de mentir. Non… Si c'était le cas, elle m'aurait déjà fait dire la vérité. j'étais quasiment certain qu'elle était mutante, sinon pour quelle raison Ethan s'en serait pris à elle. J'avais fait d'elle la favorite ! Comment mon plan avait-il pu s'écrouler de la sorte ? J'avais vu le sourire de ma soeur. Elle était contente. J'avais fait ce qu'il fallait et j'avais vu juste. Ethan ne serait plus un danger pour qui que ce soit. Impossible de détacher mon retard de ma soeur. Je comprends ses questions, ses interrogations, j'aurais eu les mêmes. J'aurais eu peur qu'il puisse débarquer à l'improviste sans que j'ai pu le prévoir et qu'il s'en prenne à ma mère parce qu'elle avait tenté, pour une fois, de se mettre en lui et moi. Mais aujourd'hui, j'étais tranquille. J'espérais que cette paix soit transmise à ma soeur sans que j'ai besoin de lui la vérité et toute la vérité. Alors à sa question, je hausse à nouveau les épaules et je reporte la bière à mes lèvres sans la quitter des yeux.

– Dieu seul sait où… Ca m'est égal. Il est parti, point.

En reposant la bouteille, je baisse les yeux et je pousse un profond soupir avant de lever une main pour désigner tout ce qui m'entourait. Un mort, finalement, ça va où ? Dans l'air ? Dans la terre ? Son corps était dans le jardin mais… Son esprit ? Est-ce que je croyais en une vie après la mort ? J'en savais rien. J'avais peut-être envie d'y croire… La réincarnation ? Même chose. Où était l'âme de Ethan ? Allait-elle me hanter toute ma vie ? Il ne me faisait pas peur. Mais voilà qu'à nouveau… Je ne mentais pas.

– Par ci, par là, est-ce qu'on peut vraiment le savoir, est-ce qu'on veut vraiment le savoir ?! Il est passé par ici, il repassera par là, très sincèrement… J'ai même pas envie de me poser la question, alors tu devrais éviter de te la poser aussi. J'ai dit à Lisa que le mieux pour vous, ce serait de partir à votre tour. Une nouvelle vie, j'en sais rien, un truc que vous avez mérité ! Tu peux étudier n'importe où, tu n'as pas à rester ici. Vous pourriez profiter, vous évader, vous pourriez aller où vous voulez !

Je l'ai étudiée à nouveau du regard et j'ai posé ma bouteille en croisant les bras sur le comptoir. Penchant la tête, j'ai soupiré.

– Pourquoi tu es partie ? Je veux dire, qu'est-ce qui s'est passé ? Ca allait, quand je suis parti, non ? Lisa et toi, vous avez toujours été proches alors...

Elle hausse un sourcil parce qu’elle ne comprend pas vraiment pourquoi il doit prendre la défense de sa mère. Réponse longue, Maddison cligne des yeux un peu plus souvent maintenant, ça la pique doucement, elle sait pourquoi. Alex, lui, reste dans le vert, son père est vraiment partit hier soir, sa mère n’a réellement pas eu le temps de la prévenir. Elle plisse un peu les yeux, à cause de son pouvoir mais aussi parce qu’une question lui traverse le cerveau de manière brutale. Sa mère n’a pas eu le temps de la prévenir mais, Alex, lui, il avait eu le temps d’être mit au courant pour arriver ici depuis la veille.

Et puis, il y a ce truc très bizarre qui se passe, un peu comme quand on regarde une chaine de télévision, qu’elle se fige, se trouble et qu’ensuite elle repart. Un bug, on ne sait jamais pourquoi, c’est juste comme ça. C’est ce qui sait passer avec son pouvoir, elle ne comprend pas, ça ne lui ait jamais arrivé en fait. Elle a cette impression qu’il refuse de se prononcer sur une des phrases d’Alex. Dieu seul sait où ! Elle ouvre la bouche alors que sa tête à un mouvement de recul dans une parfaite incompréhension. La notion de Dieu, peut-être que c’est ça qui fait bugger son pouvoir. Que c’est une croyance, que ça fausse les données. Elle n’a jamais eu ce problème avant, elle ne connait pas tout de son pouvoir.

Du coup, Maddison reste incapable de poser son regard ailleurs que sur son frère et, doucement mais sûrement, ses yeux rougissent un peu, comme quand on a trop pleurer. C’est une légère douleur à la tête, rien de bien méchant qui lui apprend qu’il est temps de baisser le regard, ce qu’elle finit par faire. Un coude appuyé sur le comptoir, ses doigts se portent à ses yeux qu’elle se met à frotter avec un peu plus de conviction que la première fois. Elle déteste quand elle en arrive à ce stade, celui où, elle sait que son pouvoir peut encore agir mais que le pousser aura des répercussions douloureuses. Elle essaye de noyer cette vérité dans une ou deux gorgées de bière, écoutant sans le regarder vraiment, la question d’Alex. Elle finit de boire et repose la bouteille.

_ C’est compliqué.

Elle affiche un regard désolée, sachant qu’elle se doit de donner des explications. C’est drôle parce que la toute petite et légère larme de crocodile qui vient de s’échapper de ses yeux pouvait être prise pour ce qu’elle vient de dire. Elle en aurait été capable mais là, c’est surtout une manifestation suite à l’utilisation de son pouvoir. Ses yeux ne sont plus aussi grands ouverts, elle essaye de faire abstraction de la luminosité de la pièce qui devient doucement trop sensible pour ses yeux. Bienvenue dans le monde des mutants. Elle secoue la tête, ne sachant pas par où commencer ses explications en relevant les yeux vers lui.

_ Elle… Disons qu’elle a eu les mauvaises réponses, au mauvais moment.

Ce n’était « que » ça, une succession de mensonge, sur toute une vie que Maddison avait imaginé idyllique. L’image de la belle petite famille qui s’effondre, des choses dont on se rend compte et qui nous font culpabiliser. Une théorie qu’on nous a laissé croire pendant des années, sans chercher à nous donner les bons indices pour ouvrir les yeux. Quand vous le faites enfin, ouvrir les yeux, c’est trop tard, les coupables sont déjà jugés.  Sa mère était coupable d’avoir laissé une situation dans l’état, de ne jamais avoir cherché à éclaircir les choses.

_ J’ai un tas de raison de rester ici, tu sais. Et j’en ai encore bien plus pour ne pas partir avec elle. Franchement, ça lui ferait sûrement du bien de partir et de recommencer ailleurs mais, ça ne sera sûrement pas avec moi.

Maddison a son petit début de vie ici, ses études, les gens qu’elle connait, les activités qu’elle pratique. Et, par-dessus tout, elle a un frangin avec un bar à Soho, vous savez, ce gars qu’elle a toujours voulu retrouver sans jamais trouver le courage de le faire. Pourquoi elle s’en irait ? Pour suivre une femme qu’elle déteste, à qui elle n’accorde aucune confiance ? Hors de question. Elle se frotte une nouvelle fois les yeux avant de reprendre sa bière.

_ Qu’il parte est sûrement la meilleure chose qu’il puisse arriver à cette famille, mais ça n’implique pas de devoir faire une croix sur ce qui s’est passé. Elle boit une gorgée, secoue les épaules. Pourquoi t’es resté à new York, je veux dire, t’es parti, tu pouvais aller où tu voulais, pourquoi t’es resté dans le coin ?

Je défends ma mère parce qu'elle reste ma mère. Quoiqu'elle ait fait, qui qu'elle soit… J'étais mal placé pour juger. Je l'aimais. C'était ma mère, celle qui m'avait mise au monde. Je savais qui elle était, elle savait qui j'étais. J'avais aussi tenté de la protéger et j'avais échoué. Je ne m'avançais pas sur la mort d'Ethan. Après tout, il était trop tôt pour déterminer si c'était une bonne ou une mauvaise chose pour ma mère. Je ne fais pas attention que ma soeur me fixe. Je n'ai même pas le soupçon qu'elle puisse m'analyser d'une quelconque façon qu'il soit. Je me contente de jouer avec un rond d'eau sur le comptoir, du bout de mon index. Je penche la tête et finit par relever la tête vers lui pour lui sourire. Mais quand je vois ses yeux, je fronce les sourcils. Elle pleurait ? Ou elle se retenait ? J'en savais trop rien et je ne savais pas très bien comment réagir face à ma soeur. J'étais… Un peu perdu, je devais l'avouer. Qu'est-ce qui était autorisé ? Qu'est-ce qui était encore possible ? Qu'est-ce qui lui ferait plaisir ? Où est-ce qu'elle m'attendait ?

Je ne savais pas bien sûr de quoi ma soeur parlait, ni sur quoi ma mère lui avait menti. Le pire, c'est que pour moi, ça n'avait aucune importance. Je veux dire par là que, qu'elle soit ma demi soeur ou ma soeur à part entière, je m'en fichais, ça ne faisait pas de différence. Nous avions été élevés ensemble et je ne connaissais même pas mon vrai père alors… Ca ferait quoi ? Rien de plus, après tout ! En tout cas, pour moi. Vous savez, j'ai souvent pensé que le mensonge était une forme de vérité. Si je mens comme je respire, c'est souvent pour une bonne raison. Je n'ai jamais pu en vouloir à ma mère pour ça. Quand je mens, soyez certains à presque coup sûr que c'est soit pour protéger quelqu'un soit pour me protéger moi. Bien sûr, il y a aussi ce côté amusant dont je ne me lasse pas. Mais nous parlons bien sûr de mentir aux gens qui nous sont proches… Pas vrai ? Malgré tout, pendant qu'elle parle, je baisse les yeux sur ma bouteille que j'aime faire jouer sur le comptoir mouillé. Ce n'est pas que je ne l'écoute pas, c'est que je ne sais pas quoi dire. Puis, finalement, j'ai relevé mes mains pour les joindre, jouant de mon pouce sur ma lèvre inférieure en la dévisageant. Je ne sais pas trop si j'ai envie de rentrer dans le vif du sujet maintenant mais elle semble en avoir besoin. La façon dont elle m'avait accueilli, ses questions, les regards qu'elle posait sur moi, les sourires qu'elle m'offrait… Jamais ma soeur n'avait été comme ça avec moi. Quelque chose s'était passé, c'était un fait, en dehors du fait même qu'elle avait grandi et moi aussi.

Me passant une main sur les lèvres, j'ai inspiré profondément en réfléchissant à ce que j'allais dire. Le deal n'était même pas de savoir si j'allais mentir ou non mais ce que je voulais bien qu'elle sache de moi. Je n'avais aucune envie d'être plus loseur que je ne l'étais déjà à ses yeux et on ne pouvait pas dire que ma vie avait été une franche réussite. Plus que ça, une succession d'échecs, de déceptions et de mensonges. C'est comme ça que vous voulez renouer avec votre soeur, vous ? Très sincèrement, pas moi. D'accord, je suis coupable, je voulais arranger un peu la vérité sans pour autant mentir. Disons qu'il s'agissait plutôt d'adoucir mes conneries.

– Au début, c'est ce que j'ai fait. Lisa tentait de m'appeler mais j'avais fait promettre à Grand mère de ne jamais me le dire. Des fois, elle tentait de me raisonner, de me dire de la rappeler etc mais je n'en avais aucune envie. Ethan a même tenté de venir mais il ne m'a pas trouvé. Je ne me cachais pas, te dire comme il étai débile. Et puis…

Je me suis frotté le nez avec mon index et j'ai reniflé vite fait en plissant le nez. C'était là que j'arrangeais un peu ma vérité.

– Un jour, j'ai essayé. J'ai voulu revenir, j'ai fait la route jusqu'ici sauf qu'avant de frapper, je t'ai vue par la fenêtre. D'abord je t'ai pas reconnue, j'ai cru que c'était Lisa. Faut dire que t'as poussé d'un coup, aussi. Mais quand je t'ai vue avec Ethan, je ne sais pas, je crois que… Je me suis dit que si j'entrais maintenant, je le tuais.

Je pouffe de rire en relevant les yeux sur elle. Je secoue la tête et je me frotte un oeil en regardant ailleurs, sans quitter mon sourire.

– J'avais tellement envie de le tuer, c'était vraiment à l'intérieur de moi et en même temps, je me suis dit que je ferais pas le poids et je ne pouvais pas infliger ça à Lisa encore une fois. J'avais besoin de réfléchir. Ca faisait… Un an… un an et demi, je crois que j'étais parti mais en voyant ça, je suis revenu. Je me suis trouvé un job, le toit est venu après et j'ai commencé à garder un oeil sur toi. Mais je pouvais pas réagir et tout à fait entre nous, je crois aussi que ça me foutait un peu la trouille. J'avais peur de… Ce qu'il pouvait te faire à toi et Lisa si moi je me pointais. Ethan ne m'a jamais aimé, je suis un peu dans sa vie de force alors… Et puis il a des soucis avec les mutants.

Je me redresse dans une inspiration profonde, les mains sur le comptoir et je pince les lèvres en haussant les épaules. Ca, le côté mutant, je m'en fichais plus que de révéler l'existence de ma petite famille ; l'échec de toute ma vie et la fierté d'être le plus gros des abrutis. Même encore aujourd'hui, je n'avais pas envie de revenir dans leur vie. Encore moins depuis hier soir. Si les flics me tombaient dessus… Elles ne devraient jamais le savoir.

– Alors je t'ai gardée à l'oeil, même de loin. Même quand tu faisais tes conneries. Disons que si des fois tu as trouvé bizarre qu'on vienne pas te faire chier… C'était pas bizarre, c'était normal. Je sais ce dont Ethan est capable. Alors… Si j'étais revenu dans vos vies pendant qu'il était là ? C'était un trop gros risque. J'ignorais ce qu'il aurait pu vous faire, juste pour me pourrir, moi.

Je tapote le comptoir avant d'acquiescer en la regardant.

– Ce n'est pas la meilleure chose qui puisse arriver à cette famille, qu'il ne soit plus là. C'est ce que j'aurais dû faire la première fois qu'il a levé la main sur toi.

Maddison à, de nouveau, le regard fuyant à chaque fois qu’il prend la parole. Ce qui peut, elle le conçoit, être mal interprété quand on ne la connait pas. Ca la tue de se le dire mais, bien que frère et sœur, ils ne se connaissent pas. Elle veut remédier à cette situation, évidemment mais, il existe un tas de sujet qu’elle ne sait pas comment aborder. Pas envie de décevoir, pas envie de ne pas être comme il veut la voir, pas envie de ne pas être cette petite sœur qu’elle aurait toujours dû être. Alors, elle l’écoute, se concentre sur sa bière, en boit un peu, reporte son regard vers la fenêtre mais la lumière du jour se fait trop agressive, du coup, elle reporte son attention sur un bout de comptoir, un pan de mur, n’importe quoi qui n’implique pas de le voir lui et les lueurs qui peuvent bouger autour.

Elle sourit, parce qu’ils ont eu la même réaction : ne pas répondre aux appels de leur mère. Ce n’est pas une bonne chose en soit, elle en est consciente mais, dans chaque similitude, elle se sent un peu plus proche de lui. Elle regrette de ne pas avoir connu sa grand-mère comme Alex a pu la connaitre, à l’écouter, elle avait l’air d’être quelqu’un de bien. Maddison l’avait déjà vu, lui avait déjà parlé mais, elle n’avait jamais été envoyé chez elle pour laisser la maison aux parents, on l’avait cloisonné entre ses murs, s’échappant pour ses cours et quelques sorties qui n’ont pas été des plus glorieuses.

Elle plisse à nouveau les yeux, se les frotte, un coude appuyé sur le comptoir. Alex explique ce qu’il a vu en venant un jour. Les lèvres de Maddison se pincent, elle ne sait même pas ce qu’elle veut en penser. De manière égoïste, elle aurait voulu qu’il vienne, qu’il la sorte de là une bonne fois pour toute. Mais, elle n’est pas si égoïste que cela et, dans le fond, elle trouve qu’il a bien agit. Alex a bien assez prit pour elle, il était partit, il avait bien fait de ne pas se replonger là-dedans. Elle ne lui en veut même pas, comment est-ce qu’elle le peut ?

Maddison ne prend pas les envie de meurtre sur Ethan comme quelque chose de réelle. Elle en avait eu envie aussi, à de nombreuses reprises. Elle sait que jamais elle n’aurait été capable de passer à l’acte et, naïvement, elle pense que c’est la même chose pour son frère. Une envie, ce n’est pas ce qui nous fait agir systématiquement, il y aurait bien plus de mort que ça dans le monde sinon. Elle ne sait pas de quoi il est capable, elle ne veut même pas le voir, elle n’a aucune conscience de ce cadavre dans le jardin.

Alex parle d’Ethan, de son aversion pour les mutants, c’est plus fort que Maddison, elle redresse la tête vers Alex, le regarde et le regrette aussi tôt. Entouré de vert, elle est forcée de plisser encore un peu plus les yeux qu’elle finit par détourner sous cette nouvelle agression. Elle déteste son pouvoir dans ces moments-là. Alex est un mutant, c’est ce qu’elle comprend. Le regard rivé sur un bout de comptoir, les yeux plissés, les sourcils un peu froncés, elle réfléchit à mille à l’heure. Elle n’a pas envisagé cette possibilité, pas une seule fois. Le gène mutant est transmis par le père, ça, elle le sait. Ils n’ont pas le même, les chances pour qu’ils soient tous les deux mutants étaient faibles, trop pour qu’elle puisse l’envisager. Elle se rend compte qu’elle a fermé les yeux sur beaucoup plus de choses que ce qu’elle imaginait jusque-là. Elle culpabilise un peu plus, elle est désolée.

Alex n’a pas seulement été présent en vivant ici, il a toujours été là sans qu’elle le sache, sans qu’elle le voit. Son index et son pouce se posent chacun aux coins intérieurs de ses yeux avant que sa main ne remonte sur son front pour redescendre sur sa joue dans un soupir et, enfin, retrouvé le comptoir. Maddison secoue la tête, balayant la dernière phrase d’Alex avant de relever des yeux plus petits que d’habitude sur lui.

_ Non, tu as bien fait de repartir ce jour-là. Elle hausse les épaules. Tu étais parti, tu avais ta vie, ça aurait été stupide de revenir dans celle-ci. Elle pointe son regard rougi dans ses yeux. Je crois que tu as fait bien plus que tu n’aurais dû pour moi, c’était ton tour d’en profiter un peu.

Evidemment qu’elle aurait aimé, quelques années en arrière – même aujourd’hui – que les choses se passent différemment, qu’on la sorte de là, qu’elle vive sa vie autrement. Mais elle a eu de belles années, elle ne peut pas le nier. Chouchoute alors qu’Alex était considéré comme le fléau de la famille pour la protéger elle. Elle laisse échapper un léger et bref rire.

_ Et heureusement que t’es pas venu avec l’envie de le tuer. Sérieusement, foutre ta vie en l’air pour ce type… Elle secoue la tête en réfléchissant. J’sais pas, c’est comme lui accordé une sorte de victoire, même mort, il aurait été capable de te pourrir la vie, t’imagines ?

Le manque d’information lui fait dire des choses qu’elle aurait gardées pour elle dans d’autres circonstances. Mais comment peut-elle savoir que cette envie qu’il a eu avait déjà été mise en œuvre ? Maddison, prend sa bouteille en main, la laissant quand même posée sur le comptoir, pour la faire tourner entre ses doigts.

_ Tu sais, j’suis désolée. Quand on vivait ensemble, on m’a toujours dit que les problèmes venaient de toi, qu’Ethan hurlait souvent parce que tu le cherchais. Elle affiche un air désolé, pas très fière d’elle-même. Je crois que c’était plus facile de les croire et de te voir comme ça. Elle lève une main, presque dégoutée d’avoir pu penser de cette manière et de ne pas avoir su voir les choses. Quand j’ai su que tu partais, j’étais triste mais, dans le fond, je crois que j’étais un peu contente, j’ai cru que tout allait s’arranger ici, qu’on serait mieux et… j’ai compris trop de choses trop tard.

Maddison à un sourire navré, triste à la fois, surtout en apprenant qu’hormis dans cette maison, il était aussi dehors, encore là pour elle. Elle mérite sûrement le prix de la pire sœur des 20 dernières années. Pas le genre de titre dont on a envie de se vanter.

Je ne sais pas pourquoi elle est si fuyante du regard. A dire vrai, je ne comprends pas. Je me dis qu'elle a simplement peur de me regarder en face et je ne me formalise pas. Aussi étrange que ça puisse paraître, regarder les gens en face était loin d'être un problème pour moi. Quand je mentais, je savais pourquoi je le faisais et j'avais la conscience tranquille. Je fais des choix. Je prends des décisions. Parfois difficiles, encore plus pour moi que pour ceux concernés par les chemins que je prends. Mais je ne peux, en aucun cas, me permettre de regretter ou d'avoir des remords. Si je commence alors je ne peux avancer, vous voyez ce que je voulais dire ? Ne pas être revenu pour ma soeur, j'en étais désolé. Je pas avoir été le fils prodigue que ma mère attendait d'avoir ? J'en étais profondément navré. Mais est-ce que je regrettais d'avoir tué Ethan ? Sur le moment, peut-être, sur le point de non retour. Après réflexion ? Sûrement pas. Du côté des Damnés, on me demandait souvent de cacher des trucs… de trouver des gens, de rechercher les bonnes informations. J'avais un casier long comme le bras, c'était… La bonne excuse. On me voit une sur vidéo de surveillance en train de parler à un mec, la main dans la poche, prêt à sortir de la petite poudre blanche ? Allons… En fait, les femmes en uniforme m'adorent et… Il n'y a jamais de preuve. Je ressors de mes gardes à vue, blanc comme neige. Je suis malin. Et j'ai la conscience tranquille. Je crois que je fais une bonne équipe avec moi-même.

Mais Maddison ne se rend pas compte à quel point elle vise juste en disant prétextant que j'avais ma vie à mener. Sauf qu'il ne s'agissait pas d'en profiter mais de la protéger. Pour quoi faire, finalement ? Manquer de devenir comme Ethan. Au moins j'ai pris mes dispositions. Si Ethan je dois devenir, ce ne sera ni pour ma femme, ni pour ma fille. Le seul Ethan pour qui je pouvais être, ce serait moi-même. D'accord, je sonne un peu masochiste, je le reconnais. Disons que je suis de bonne constitution, que je peux encaisser. C'est mon job. J'ai les os solides. Je les ai toujours eus. Je pense que c'est de là que vient ma mutation, très probablement. Je me demande si mon père est un mutant… Et si c'est le cas, je me demande de quoi il est capable. Ne vous méprenez pas. Ce n'est que de la curiosité.

Si Maddison a un léger rire en parlant d'Ethan - nous croyons tous qu'elle refusait de le nommer et d'en parler, non ? - ce n'est pas vraiment mon cas car nous savons tous ce que j'ai fait. Alors j'ai bougé la bouteille et j'ai croisé mes bras sur le comptoir et je me suis penché vers elle, décalant légèrement la tête pour chercher son regard. D'une voix basse, ne m'adressant qu'à elle, j'ai même utilisé ce surnom que je lui ai toujours donné. Parce que pour moi, Maddison avait toujours eu un côté complètement taré.

– Mad. Mort ou vivant, ce mec m'a pourri la vie. Il me la pourrit encore maintenant et il la pourrira jusqu'à ma mort. Il a déjà gagné. Il a gagné le jour où tu es née. Ca ne veut pas dire que c'est ta faute, c'est juste que tu es née au bon moment.

J'ai étendu les mains pour prendre les siennes au creux de mes paumes. Ce n'était pas que je trouvais ça mal poli qu'elle me fuit du regard j'appréciais de pouvoir voir les gens. Je n'étais pas un détecteur de mensonge comme elle mais je savais lire dans les yeux des gens. Parfois trop tard mais le principal, c'était de le pouvoir, non ? Et puis j'ai secoué la tête.

– Ca explique ta réaction en me voyant mais ça n'a plus d'importance maintenant. Que tu sois un jour sentie coupable ou non ne m'intéresse pas. Parce qu'il y a plein de choses que tu ne savais pas, plein de choses que tu ne sais toujours pas et c'est normal ! Ne m'en veux pas si parfois… Je ne te réponds pas ou que tu as l'impression que je te mens parce qu'en vérité, c'est surtout qu'il y a des choses que je ne dirai pas. Vaut mieux tard que jamais, non ?

J'ai eu un sourire et j'ai levé ma main pour passer mon index sur sa joue.

– Quoique ait pu être notre enfance ensemble, on s'en fiche. C'est maintenant que ça va être plus drôle, tu crois pas ? Et je continuerai de veiller sur toi, comme je l'ai toujours fait. Parce que tu es ma seul et unique soeur, quoiqu'en dise les test ADN, je m'en fiche. Toi et moi, on vient du même endroit. Cela dit...

Je me suis gratté sous le nez en réfléchissant à un truc alors que je me redressais. Puis, j'ai souri, l'air presque gêné… Mais surtout fier et j'ai fini par relever les yeux vers elle, malicieux au possible.

– Ethan avait raison quand il disait que tous les problèmes venaient de moi. Ce que j'adorais le rendre fou. C'était mon jeu préféré, en réalité.

Il cherche son regard et, d’une certaine manière, ça l’ennui. Elle ne veut pas qu’il pense qu’elle le fui ou autre chose alors, avec précaution, elle le regarde. Ses yeux légèrement plissés, regrettent cette décision. Elle essaye de faire avec mais, ça ne peut que se voir, quelque chose semble la déranger : une poussière dans l’œil, une sensibilité à la lumière, un discours trop personnel, une mutation qui fait des siennes. Les raisons étaient tellement nombreuses qu’elle essaye de ne pas s’en inquiéter. Elle le regarde, lui et cette foutue lueur qui l’entourent en lui cramant les rétines.

Elle le sait, elle trouve ça moche, que c’est un constat triste mais, elle le sait. Enfin, elle ne sait pas tout mais Ethan a gagné sur un tas de plan. Pas seulement sur Alex, plus fort sur des points qu’elle ignorait complètement. Il avait gagné sur elle aussi quand elle se lèvre brusquement parce que quelqu’un bouge trop rapidement autour d’elle, quand elle ne se rend même pas compte d’avoir sursauté parce qu’une personne à hurler soudainement, quand elle est incapable d’avoir une relation avec quelqu’un parce qu’elle ne fait que voir son père partout. Elle garde ça pour elle, trouve que c’est injuste de le dire à Alex alors qu’il a passé tellement de temps à la préserver d’Ethan.

Maddison pince les lèvres, désolée d’avoir été le déclencheur de quelque chose. Elle n’a pas voulu ça, elle n’a rien voulu en fait. Ses mains dans celles, bien plus grandes, d’Alex, elle ne sait pas comment s’excuser. Elle n’est même pas certaine de savoir sur quoi elle doit s’excuser. Non, elle ne savait pas mais, elle avait bien voulu ne pas voir les choses. Avec le recul, elle se dit qu’elle aurait pu avoir toutes les cartes en main mais, elle avait appréciée d’être la petite dernière, la petite préférée. Elle baisse à nouveau les yeux dans un sourire un peu amer. Ne pas tout lui dire, c’est le choix d’Alex, elle ne veut pas aller contre mais c’est ces vérités non dévoilées qui avaient foutues le bordel dans sa vie, on ne peut pas lui demander d’apprécier le fait qu’on lui cache des choses.

Elle relève les yeux, un peu surprise au contact d’Alex. Ce n’est pas le genre de geste qu’elle lui connaît mais, elle en sourit doucement en hochant la tête. Adieu le passé, bonjour l’avenir. Plus que le contenu de sa dernière phrase, c’est surtout à son air qu’elle laisse échappé un bref rire en secouant la tête. Honnêtement, elle continue de croire que tout est de la faute d’Ethan, Alex avait beau s’amuser à l’énerver, elle ne le considère pas comme coupable. C’est son frère, on ne lui demande pas d’être objective.

_ Tu sais quoi ? Tu as raison, on laisse le passé derrière. A condition que tu ne me surveilles plus de loin mais que tu t’approches de temps en temps.

Elle attrape sa bouteille de bière, la lève comme pour porter un toast et boit une gorgée dans un sourire. Ce même sourire qu’elle peut servir à sa mère quand elle sait qu’elle ment, qu’elle peut servir à tout le monde quand elle sait que quelque chose cloche alors qu’elle n’en dit rien. Son pouvoir a eu un bug et, ça, ce n’est pas normal. Elle sait qu’il se passe quelque chose avec Ethan et que des personnes possèdent bien plus d’informations qu’elle à ce sujet : sa mère, son frère. Mais elle sourit parce qu’elle sait qu’elle n’a pas dit son dernier mot, qu’elle saura y revenir à un moment plus adéquate avec une personne plus faible qu’Alex. Sa mère a toujours été un excellent sujet pour Maddison et, il faut l’avouer, sa mère est bien étrange aujourd’hui, trop pour que ce soit qu’à cause de la venue de ses deux enfants.

_ Alors dis-moi,

Maddison se lèvre pour aller vers la fenêtre où elle tire le rideau. Une maigre protection contre la lumière de la pièce mais c’est toujours ça de gagner. C’est dans cette action qu’elle poursuit.

_ Hormis le bar, tu deviens quoi. Une femme, des marmots, un chien, un chat et des poissons rouges ?

Maddison est une jeune femme, avec des considérations propres à cette réalité. Une vraie pipelette qui a envie de tout savoir comme les derniers potins en cours. Bon c’est assez réducteur mais ça lui donne une bonne excuse pour savoir ce qu’il devient, non ? D’un geste de la main, elle désigne le rideau qui est derrière elle pour s’expliquer sur son action.

_ La lumière, c’est horrible, ça me file de ces migraines.

Elle hausse les épaules comme une fatalité. Ce n’est même pas un mensonge mais ne préfère pas pousser jusqu’au fait que c’est son pouvoir qui la rend sensible à la lumière qui, elle-même, fini par lui donner un mal de crâne pas permis. De toute façon, ça se voit, ses yeux se sont encore un peu plus rétrécis depuis qu’il a cherché son regard et qu’elle s’est forcée à le soutenir.

Je lui souris alors qu'elle s'approche et je pose mes mains sur ses épaules en me penchant vers elle.

– C'est une sulfureuse Brésilienne qui m'a appris ces petites choses-là et je ferai ce que je peux pour te les enseigner, comme ça tu pourras le faire toi-même chez toi quand tu seras fatiguée par exemple !

Toucher ma soeur, de mes propres mains, c'était… Une chose étrange car nous n'avions que très peu eu de contacts physiquement, même avant quand j'étais encore à la maison. Alors le simple fait de poser mes mains sur ses tempes pour lui masser, c'était comme effleurer une poupée de porcelaine. j'y portais une grande attention, une délicatesse que seule une personne pouvait me connaître. Je crois que les sentiments que j'avais pour elle - et pas une autre - c'était lié à ma vie, à notre vécu d'enfants. J'avais eu quelqu'un à protéger, plus que ma soeur, j'avais voulu protéger quelqu'un parce que personne ne pouvait me protéger. Je voulais faire pour quelqu'un ce que j'aurais voulu qu'on fasse pour moi. Je ne sais pas si c'est une chance ou non que ma soeur ait bénéficié de ma protection mais ce que je sais, c'est qu'elle est la seule pour qui j'ai ce sentiment, pour qui j'ai besoin d'être proche ou jamais bien loin. Je me demande souvent si, quand elle partira un jour, je basculerai ce besoin de protéger une personne sur quelqu'un d'autre. Les femmes que j'ai connues, ma fille, même ma propre mère, n'avaient pas bénéficié de ce besoin de protection. Je ne me demandais pas tellement pourquoi ma soeur et pas une autre. Je ne me demandais plus rien en fait. Ethan n'était plus là et j'avais l'impression de pouvoir enfin être là pour ma soeur.

J'ai doucement serré ses épaules entre mes mains en espérant l'avoir soulagée au moins le temps de sortir d'ici. Je devais sortir de cette maison. Je n'avais jamais aimé cette baraque. Trop grande, trop froide, trop de souvenirs. Mes chutes, les engueulades, la veille… Rien qu'à y penser, je commençais même à me sentir pas très bien. Ce n'était pas parce que j'avais l'habitude de faire que ça ne me faisait rien. Je faisais ce qu'il était nécessaire de faire et je n'avais pas peur de le faire. Quelqu'un devait faire le sale boulot et j'avais l'impression de le mériter. Mais ça ne signifiait pas que je dorme bien toutes les nuits. J'ai souri un peu plus faiblement à Maddison en lui promettant de lui apprendre des trucs, que ça marchait autant sur soi-même que sur les autres et puis j'ai enfin pris ma liberté pour aller me laver. J'avais tout ce sang sur mes mains, sûrement sur mon t-shirt en-dessous aussi. Je sentais l'odeur me monter aux narines et c'était en train de me rendre malade. J'ai presque couru jusqu'à la douche pour satisfaire ce besoin de me laver et quand l'eau chaude s'est mise à couler, je me suis précipité dessous.

C'était comme une bénédiction et je me suis senti revivre, les deux mains à plat contre le carrelage devant moi et l'eau qui me tombait sur la tête et me coulait dans le dos. Que j'aime ma soeur ou non, le stress qu'elle occasionnait par sa présence me pesait sur les épaules. Ca ne se voyait pas car j'avais l'habitude de ne rien montrer. Mais je devais lui mentir. Du moins pour l'instant et j'aurais tellement aimé qu'il n'en soit pas ainsi. Je voulais tant instaurer une vraie relation frère/soeur, un équilibre pour elle avec quelqu'un sur qui compter. Mais je n'étais pas certain d'y arriver. Finalement, les peurs qui m'avaient poussé à me retrancher loin de ma famille refaisaient surface face à ma soeur. J'ai beau me frotter les mains à m'en faire rougir la peau, tous les jours c'est pareil : je le vois, ce sang partout.

En sortant de la douche, j'ai attrapé une serviette pour m'enrouler la taille et j'ai regardé mes fringues en reniflant, l'eau gouttant de mes mèches de cheveux. Ce n'était pas possible. Je ne pouvais pas les remettre. Dans d'autres circonstances, ça m'en aurait claqué une sans toucher l'autre. Mais j'avais enterré Ethan avec ce jean, ce t-shirt et cette chemise. Je ne pouvais pas. J'ai pris le pantalon par terre et c'était comme si toute cette crasse, cette terre se propageait sur mes doigts. J'ai tout lâché et finalement, je sorti avec une autre serviette sur la tête et je suis descendu pour entendre la fin de la phrase  de ma soeur. J'ai ralenti mes pas en clignant des yeux. Je me demandais pourquoi ma soeur avait tant cherché à me retrouver et pourquoi elle n'avait pas réussi. Je ne me cachais pas. Bon, peut-être un peu mais pas d'elle, après tout. Elle n'avait pas dû remonter par les bonnes personnes. De vous à moi : tant mieux. Mais qu'avait-il bien pu se passer pour que ma soeur décide un jour de me retrouver, subitement ?

– Lisa…

J'ai montré l'étage en jetant un oeil à ma soeur, les sourcils légèrement froncés car j'étais dubitatif puis j'ai reporté mon attention sur ma mère. Quant à me présenter semi à poil, tatouages à l'air, ça m'était égal, je n'étais pas pudique. je sortais du ventre de ma mère et ma soeur et bien… C'était ma soeur !

– Tu n'aurais pas des trucs à moi qui traînent quelque part ? Je porte les mêmes trucs depuis trois jours, j'ai bossé avec et tout, j'ai pas dormi, j'aimerais bien des fringues propres si tu as. Je voudrais m'éviter de rentrer chez moi me changer.

– Oui, je dois avoir un carton quelque part, tu as poussé si vite que c'est à croire que tu as toujours eu la même taille !

Elle m'a souri et m'a tapoté brièvement l'épaule, impressionnée par le tatouage qu'elle avait visiblement peur d'abîmer - ou bien que celui-ci la possède, sait-on jamais que j'ai des pouvoirs sataniques dans a moelle osseuse - et puis elle s'est éloignée, prenant une porte pour descendre à la cave. Je préférais sentir le renfermé que le sang séché. J'ai suivi ma mère des yeux et quand elle a eu disparu à nouveau, j'ai regardé Maddison en penchant la tête, conciliant. Un regard qui voulait dire "ne sois pas si dure" mais j'aurais été mal placé pour le dire alors je suis resté muet. Finalement, j'ai acquiescé.

– D'ici dix minutes, ça te va ?

Je lui ai souri et je suis remonté ranger mes affaires, foutre le tout dans un sac pour le jeter et quand ma mère m'a monté un carton de fringues, j'ai enfilé le premier jean, premier t-shirt et chemise que j'ai trouvés avant de repasser mes grosses chaussures. J'ai à nouveau embrassé ma mère sur le front qui se plaignait du comportement de Maddison à voix basse, qu'elle ne comprenait pas pourquoi elle était si difficile, elle une enfant si sage et adorable. J'ai inspiré profondément, déjà lassé d'être au milieu et lui ai rétorqué que ce n'était jamais une partie de plaisir de vivre dans cette maison et qu'elle devrait sérieusement songer à déménager pour se défaire de toute cette vie. Bien sûr que je reviendrai après. Je ne pouvais pas laisser ma mère seule. Pas pour le moment. Mais avant ça, j'avais besoin d'être seul avec ma soeur. Je lui ai demandé de jeter mes vêtements souillés pour moi ou de les brûler avec les feuilles mortes et je suis redescendu en dévalant les marches, retroussant mes manches.

– En avant, Mad, les pâtes à la pistache, ça n'attend pas. Et si tu n'as jamais goûté alors ça va changer. Allez, debout !

Une fois douché et changé, tout allait tellement mieux. Ma mère descendait derrière moi, plus doucement comme si elle voulait nous observer, se donner bonne conscience.

– Tu es venue en voiture ?

Elle sourit, elle a même rit légèrement à l’évocation de la sulfureuse brésilienne. Alex, c’est son frère alors, de manière très objective – pour elle -, il est parfait en tout point. Pas étonnant qu’une fille lui tombe dans les bras, c’est même tout à fait normal. Mais, toutes les bonnes choses ont une fin et Alex part pour prendre sa douche la laissant seul avec ce contact peu habituel. Elle voulait en profiter encore un peu mais sa mère, débarquant dans la cuisine, l’empêche de réfléchir à ce qui vient de se passer. L’échange entre les deux femmes n’est pas au beau fixe. Maddison s’en fout, de toute façon, elle la déteste.

Alex refait son apparition et Maddison se surprend à espérer qu’il arrive tout juste, qu’il n’a pas entendu ce qu’elle a dit à sa mère. Ce n’est pas qu’elle veut lui cacher quelque chose mais, ce qu’elle ressent, ce qu’elle veut et souhaite, elle essaye de le garder pour elle. Elle jette un regard sur Alex et, la tenue qu’il a ne lui pose pas le moindre souci. Elle est incapable de le voir autrement que comme son frère. Par contre, elle s’attarde un peu sur ses tatouages avant que sa mère ne passe devant elle pour avoir un geste affectueux envers Alex. Ça lui donne presque la nausée, cette femme avait fermé les yeux toute sa vie et, maintenant, elle joue son rôle de mère. N’importe quoi. Maddison renfonce sa tête entre ses bras pliés.

Elle lève simplement une main, le pousse vers le haut pour lui dire qu’elle peut attendre les dix minutes sans problème. Sa mère n’est pas dans les parages à lui poser un tas de question, tout va bien. Maddison souhaite ne pas lui en vouloir autant, essayer de se dire que c’est sa mère, qu’elle n’en a qu’une et être capable de lui pardonner. Mais, elle retourne le problème dans tous les sens, en quoi sa mère mérite plus d’être pardonnée que son père ? La famille, hormis son frère, ce n’est pas ce qui a la plus grande valeur à ses yeux. Etre partie, avoir pris un appartement sur le campus, c’est la meilleure chose qu’elle avait faite. Elle ne le regrette pas, encore moins pour la distance qu’elle a mis entre ses parents et elle.

Elle ne comprend même pas pourquoi Alex se montre si présent. Si Ethan est simplement parti, Lisa n’a qu’à profiter de son temps de libre, elle n’a pas besoin que quelqu’un lui tienne la main. Ca l’énerve presque qu’Alex se montre si prévenant avec Lisa. Peut-être un peu de jalousie. Ethan se barre et, hop, Alex rapplique. Pourquoi il n’a jamais fait ça avec elle, pourquoi il s’est contenté de regarder de loin ? Elle trouve injuste que Lisa ait plus de considération qu’elle. Maddison est bien banale, au final, soumise aux mêmes sentiments que tout le monde, capable de ressentir une pointe de jalousie. Elle déteste ça.  Elle essaye de faire taire cette pensée au moment où Alex se fait entendre.

_ A la pistache ?

Elle redresse la tête, une moue sceptique sur le visage. Il y a vraiment des personnes pour manger des pâtes à la pistache ? Ça lui semble horrible comme idée mais, elle se relève en prenant soin de mettre les deux bouteilles de bière à la poubelle. Elle déteste sa mère, ce n’est pas une raison pour la traiter comme la boniche qui est bonne qu’à nettoyer. Elle se retrouve derrière Alex à suivre ses pas vers la sortie, oubliant volontairement de dire au revoir à sa mère.

_ J’ai le droit de choisir autre chose ? C’est un repas, pas de la torture.

Elle a un grand sourire sur les lèvres, sa voix est amusée parce qu’elle ne pense pas vraiment ce qu’elle dit, Maddison a seulement envie de le taquiner sur les choix culinaires qu’il peut faire.

_ Désolée mais je suis venue en bus.

Autant que possible, à cause de son pouvoir, Maddison évite la voiture. Elle a déjà réussi à finir sur un rond-point, à cause de tous les phares des voitures et de leurs clignotants, alors qu’elle ne voyait pas grand-chose. Elle avait poussé son pouvoir un peu trop loin ce jour-là, sans même le vouloir. La voiture, c’est vraiment quand elle est obligée. Faut voir le bon côté des choses, l’essence n’est pas un budget si important que ça dans sa vie d’étudiante.

_ A tout à l’heure.

En bas des escaliers, la main repliée contre son torse, Lisa regarde partir ses enfants. Sa phrase n’est pas une question, et l’est à la fois. Alex reviendra, elle le sait mais Maddison ? L’étudiante se tourne pour voir le visage de sa mère, à voir sa tête, elle a presque envie de revenir sur ses positions. Elle a un sourire, un peu triste de ne pas pouvoir le faire et décide de sortir de la maison. Ce qui se passe ici, ce n’est plus son problème depuis au moins un an. Une fois dehors, elle se tourne vers son frère.

_ Alors, c’est loin d’ici ou on peut y aller à pied ?

Ça peut être à l’autre bout du monde qu’elle est prête à le suivre, n’importe où du moment que ce n’est pas dans cette maison, que ce n’est pas avec Lisa, ni avec Ethan.

Une chose est sûre, une fois dehors, tout va mieux. D'une main dans le dos de Maddison, je l'ai accompagnée dehors après avoir hoché la tête à l'attention de ma mère. Sa question était silencieuse, en réalité, toutes ses questions étaient silencieuses. Il me revenait la difficile tâche de réunir à nouveau ma famille. Autrement dit : ma mère et sa fille. C'était tellement l'inverse d'avant où j'étais seul face à Ethan, face à elle, face à ma mère même des fois. Aujourd'hui, ils étaient tous avec moi, seuls les uns contre les autres. Une fois dehors, j'ai eu un grand sourire et j'ai déplié mes clés de voiture devant son nom. Enfin, ma voiture… Mon espèce de tas de ferraille que j'avais ramené de chez ma grand mère qui empestait la mer poissonneuse. Une sorte de pick-up qui devait être noir à la base et qui aujourd'hui était d'un gris douteux à cause de la boue, de la crasse et sûrement d'autres trucs que je lui avais infligé. Les portes grinçaient mais c'était son charme. Je me suis monté au volant et j'ai poussé un profond soupir de satisfaction. Une fois Maddison installée, j'ai tourné la tête vers elle pour la dévisager. J'allais beaucoup mieux, je souriais beaucoup plus ! Je redevenais un peu plus moi-même.

– J'ai pas été élevé comme un gosse de riche moi. J'ai pas des goûts de luxe alors on va ailleurs qu'ici. Et tu goûteras quand même, juste pour voir parce que ça paraît pas comme ça, mais c'est très bon ! Tu verras, je te parie mon caleçon aux motifs impensables que tu aimeras. Et si t'aimes pas alors je te raconterai l'histoire la plus honteuse de ma vie, ok ?

Je lui ai fait un clin d'oeil, sans quitter mon sourire et j'ai démarré la voiture. Encore une fois, je n'aurais pas dû sourire à ma situation, je n'aurais pas dû me croire à l'abris du danger, je n'aurais pas dû faire le malin mais hey, que voulez-vous, j'étais comme ça, un point c'est tout. Mais en tout cas, maintenant que je n'avais plus l'odeur d'Ethan dans les narines, je me sentais plus guilleret, plus ouvert, plus… Oui c'est ça : moi-même.

– Tu sais, de loin je trouvais que tu étais une jolie plante qui avait bien poussée ! Mais de près, je regretterais presque être ton frère. La vache, tu dois t'en faire des copains ! Avec ce sourire, c'est obligé. Et même, je vais te dire, si c'est pas encore le cas, je vais aller botter le train de tous ceux qui ont pu croire que tu les méritais pas. Une bande de goujats, je parie.

Une fois à un feu, j'ai penché la tête pour voir à travers le pare-brise. je me suis passé une main dans les cheveux pour les ramener en arrière avant de croiser mes poignets sur le volant. Et puis j'ai inspiré profondément avant de tourner la tête vers elle. Je l'ai dévisagée à nouveau en souriant plus faiblement. Je n'étais pas triste, je n'étais pas désolé, j'étais juste submergé par un tas de sentiments. Et ma soeur en était l'épicentre.

– Ethan parti, j'espérais bien pouvoir enfin passer du temps avec toi. Ca fait un moment qu'il y a plein de choses dont je voudrais te parler. Juste toi et moi, tu vois ? Sans Ethan, sans Lisa… Juste la plus belle fille du monde et le meilleur étalon de la ville ! Entre beaux gosses, on se comprend.

Je me suis montré du pouce avec un sourire très engageant. Non, je ne doutais pas de moi. Ca, non. Celle que je voyais parfois non plus. Si j'avais su que ma soeur me croyait parfait, je crois que j'aurais éclaté de rire. Moi, parfait ? Dans le monde des grands méchants loups, peut-être. Dans celui de Twilight, ASSURÉMENT ! Maintenant que j'y pense, j'aurais adoré être dans ce film. Twilight ou comment être considéré le plus beau mec de la terre en étant le plus moche ! Tout un art, je suis fan, j'ai vu tous les films. En reprenant la route, j'ai passé mon pouce sur mes lèvres et j'ai reniflé brièvement avant de reprendre.

– Alors, tu me racontes ce qui s'est passé avec Lisa ou je dois te cuisiner ?

Elle ne sait pas l’expliquer mais elle trouve ça étrange. Agréablement étrange. La main qu’il a dans son dos, la façon dont il lui pointe les clés sous le nez, le rire qu’elle a en secouant la tête amusé. Elle a l’impression qu’il ne s’est rien passé, que tout est normal depuis le début, que ce sont seulement deux gamins contents de quitter la maison pour une virée à deux. Ca a un goût de banal, d’agréable alors que, jusqu’à présent, elle n’a jamais vécu tout ça. C’est… En fait, c’est naturel. Ca la perturbe, ça lui donne envie de sourire, de sauter sur place, elle a juste envie que ça ne s’arrête pas. Elle pose son regard sur lui, bras croisé, songeuse et amusé à la fois en faisant semblant de réfléchir à sa proposition.

_ Fait gaffe à ce que tu dis. Nous, les gosses de riches avec nos goûts de luxe, on n’aime pas les plats à moins de 50$ la coquillette. Elle hausse les épaules, prenant un air faussement hautain. Cela me convient très bien, très cher. J’accepte.

Elle hoche la tête à la manière de ces miss à qui on a placé un balai dans un endroit fort fâcheux et se tourne pour suivre le mouvement en direction de la voiture. Elle adore cette voiture qui ne colle pas avec le paysage autour, ça lui donne l’impression de partir pour l’aventure. Elle entre dedans, ne peux pas s’empêcher de regarder partout autour d’elle, avant de boucler sa ceinture. Il faut toujours attacher sa ceinture ! Elle ouvre la fenêtre, essaye de l’ouvrir, ça résiste alors elle s’aide de ses deux mains et réussi sa mission. La tête proche de la fenêtre, elle détache ses cheveux qui sont en peu trop enfermés à son goût. D’une main elle les secoue un peu, juste pour casser un peu avec l’image que donne sa tenue. C’est pas encore ça mais, au moins, y a un peu plus d’elle dans son apparence.

_ Le quel celui-là ? Elle lui sert son plus beau sourire avant de rire un peu en s’adossant à son siège, la tête penchée vers l’extérieur. Tu risques d’être au chômage avec moi, tu sais ? Elle lui lance un regard amusé. Je suis une étudiante des plus sérieuses !

Une bonne excuse pour ne pas dire qu’Ethan a laissé une empreinte sur elle, qu’elle n’est pas capable de faire confiance sur un plan sentimental et que, par conséquent, elle préfère rester avec ses bouquins dans sa chambre universitaire. Cette réalité n’arrive même pas à lui faire perdre son sourire. Ethan, aujourd’hui, n’a pas la moindre importance sur sa vie. C’est une illusion de ne pas vouloir faire référence à ce père. Au premier feu rouge, c’est Alex qui prononce son nom.

Maddison pose son regard sur son frère, une mine un peu contrarié. Elle n’a pas envie de parler d’un passé qu’elle veut enterrer aujourd’hui. Alors, oui, il l’amuse avec sa façon de présenter les choses mais, elle ne sourit plus comme quelques secondes avant. Quand il demande ce qui se passer avec sa mère, elle soupire, regarde dehors en replaçant une mèche de cheveux qui cherche à s’échapper par la fenêtre. Elle reste comme ça, plusieurs secondes avant de tourner la tête vers lui.

_ On peut, juste pour aujourd’hui, éviter de parler d’eux, des problèmes qu’il peut y avoir ou qu’il y a eut. J’ai pas besoin d’un médiateur entre elle et moi, les choses sont comme ça, c’est tout. J’ai encore moins envie que tu lui cherches des excuses alors… Elle secoue un peu la tête. Juste, on met ce sujet de côté.

Ce n’est même pas une question, c’est un fait. Elle n’a pas envie de gâcher ce moment, elle se pose bien assez de question comme ça une fois toute seule sans avoir besoin de quelqu’un qui cherche à comprendre. Jusqu’à présent, elle n’avait pas parlé de ses problèmes avec sa mère ou avec son père, elle avait appris à prendre sur elle, à garder pour elle. Elle ne veut pas changer ça maintenant. Ce qu’elle ressent, ça la regarde, frère ou pas frère. Elle hausse les épaules dans une expression bien plus légère.

_ De toute façon, personne ne peut me cuisiner !

Elle est à deux doigts de tirer la langue avant de sourire pour mettre le sujet de sa mère loin derrière elle. Dire que personne ne peut la cuisiner c’est un peu poussé à l’extrême mais, quand même, elle ne se débrouille pas trop mal quand elle ne veut pas dire quelque chose. Dans un de leur cours, c’est même un jeu, créer de faux interrogatoire pour analyser les réactions de la personne interrogée, ça aide. Sans parlé du fait que Maddison à développer une capacité à ne pas dire les choses sans avoir à mentir. Forcément, elle est sûre d’elle parce qu’elle ne sait pas ce que fait son frère pour les damnés. Alex a sûrement mener bien plus d’interrogatoire qu’elle, et d’une manière bien différente en plus d’être réels. Ils ne jouent pas dans la même cours.

_ Alors pourquoi le plu bel étalon de la ville se retrouve sans femme ? Une petite-amie, peut-être ? Elle ouvre grand les yeux dans un sourire. Plusieurs petites-amies ? Oh, oh, attend, elle agite les mains, Un petit-ami ?

Cette idée l’amuse, sans la déranger du moins du monde. Il peut bien avoir une préférence pour qui il veut qu’il reste son frère. Elle ne sait même pas pourquoi elle songe à cette éventualité. Peut-être ses deux rencontres récentes avec Adam.

– Ouais, ce sourire-là exactement.

J'ai souri, amusé, avant de reporter mon regard sur la route. J'avais du mal à croire que ma chère soeur n'avait personne dans sa vie. C'était triste, en un sens. Tous les deux, on aurait pensé avoir quelqu'un dans nos vies et finalement… On était là, l'un pour l'autre, finalement, après toutes ces années, comme si rien ne s'était passé. Juste un frère et une soeur. Mais j'ai poussé cette chance un peu trop et déjà, Maddison repartait se "cacher". Quand elle a tourné la tête vers moi, je l'ai interrogée du regard et puis j'ai soupiré en pinçant les lèvres. J'aurais bien eu envie de savoir mais ce n'était visiblement pas le moment. J'acceptais, après tout elle avait peut-être raison. J'ai acquiescé et j'ai même souri au fait de ne pas pouvoir la cuisiner. Elle non. Mais d'autres, oui, assurément. Je n'avais pas de raison de la forcer à parler, j'y reviendrai plus tard.

Du coup, je l'ai laissée changer de sujet. Elle voulait qu'on ne reste qu'entre nous alors d'accord, juste nous. Ca m'allait tout aussi bien. J'avais envie de me sentir un peu normal, pour changer, je voulais profiter de ce moment, de ma soeur. Alors quand elle se remet à demander pourquoi je n'ai personne, j'ai ri. Tout simplement, j'ai ri. Et d'un coup, j'ai sursauté en la montrant d'un index.

– Ah ! Plusieurs ! Ca, ça me plaît, tu vois que tu me connais ! Et non, je n'ai jamais changé de bord, jeune fille, les femmes y a que ça de vrai. Ah, plusieurs… Si seulement. Mais en ce moment, non ! On peut pas vraiment appeler ça une petite amie non plus. Bah, de temps en temps quand on s'ennuie, je la croise. Je suis pas très famille, c'est pas trop mon truc, je cherche pas à me caser. Et tu sais qu'on ne dit plus "petite amie". Je veux dire, c'est démodé… On dit ça quand on est gosse.

J'aurais aimé lui dire que j'avais une femme. Que je ne voyais plus, certes, mais que j'en avais une. Mais c'aurait été lui dire pourquoi je ne la voyais plus, pourquoi je les avais abandonnées. Lui dire que c'était parce que je commençais à ressembler à Ethan l'aurait effrayée peut-être ? Elle ne voulait pas en parler, de toute façon. Si jamais Maddison revenait sur le sujet, je crois que je lui dirais cash que je ne voulais pas répondre, que je ne voulais pas lui mentir. Bon sang, ce qu'elle me manquait, en plus. C'était terrible de savoir où était ma soeur à chaque fois mais de ne pas avoir réussi à trouver ma femme et ma fille un jour de nostalgie. Je crois qu'elles se sont… Volatilisées. Elles sont parties loin de moi et c'était pas plus mal, là où je ne pourrais pas les retrouver et jamais leur faire de mal. Une autre chose que j'ignorais : que ma mère avait fait envoyer des trucs à moi à ma mère et donc à Maddison. Si je le savais, je ferais sûrement moins le malin.

Finalement, je l'ai carrément amenée à mon bar. Ca, c'était sûrement une connerie, aussi. Mais elle m'avait cherché partout et mal. Autant lui donner ce qu'elle chercher mais sans lui dire que je vivais juste au-dessus. Non, ça, ça viendrait plus tard. Je ne voulais pas qu'elle veuille monter, j'y avais des trucs… Euh… disons que je ne voulais pas qu'elle voit. J'entreposais plein de merdes pour les Damnés et des fois, je n'avais pas le temps de m'en occuper. J'ai garé la voiture dans la ruelle, à ma place et je suis descendu en faisant tourner les clés entre mes doigts avant de claquer la portière.

– Alors comme ça, tu m'as cherché, hein ? T'as pas dû chercher bien loin, je suis toujours là.

J'ai longé la rue et tourné au coin. Je me suis arrêté, une main à la taille et je lui ai montré l'enseigne encore éteinte. On n'ouvrait jamais avant la fin de la journée, ce qui me laissait plein de temps pour les Damnés dans la journée. J'ai entouré les épaules de Maddison de mon bras pour contempler la façade de l'endroit et j'ai souri. Ouaip, c'était chez moi. J'ai baissé la tête pour la regarder et je lui ai fait un clin d'oeil avant de la dégager de moi pour aller ouvrir la porte.

– Je sers au bar, je fais à manger, je fais le ménage, une véritable fée du logis, tu vas adorer.

J'ai ouvert la porte et je l'ai laissée passer. Tout était propre, sombre mais propre, le temps que j'aille allumer. De toute façon, même si je commençais en avance, il allait falloir que je me mette un peu à travailler pour préparer la salle. J'étais de repos la veille, d'où ma visite à Lisa

Il passe volontiers à un autre sujet et, intérieurement, elle le remercie bien plus qu’il ne peut l’imaginer. Elle n’a pas envie de tenir ce moment, encore moins en parlant du reste de la famille. Ca a toujours bien fonctionné de cette manière pour elle, pas de raison qu’elle cherche à changer ce point. Juste… Elle a juste besoin de lui, c’est tout ce qu’elle demande, le reste elle s’en fout pas mal. Alors quand il la désigne et annoncer qu’elle le connait, elle hoche la tête dans un grand sourire qui voulait dire : Ah, je le savais ! Rien de sérieux dans sa façon de faire, seulement un ton léger.

Elle écoute, parce que ça reste des informations. Y a une régulière alors ?! Intéressant, elle se demande si elle a le droit de donner son avis sur les fréquentations de son frère, celles dont elle peut être mise au courant. Tout d’un coup, elle croise les bras, s’enfonce franchement dans son dossier, la mine boudeuse.

_ Ouais, bin je dis ce que je veux d’abord. Puis si t’es content, c’est pareil !

Voilà, au moins, il a une bonne raison de l’accuser de parler comme une gamine. Elle aime bien le terme de petite amie en plus, elle trouve ça mignon. D’accord, elle n’a pas tellement l’occasion d’évoluer sur ce plan-là. Les relations, les sentiments, ce sont des zones obscures pour elle. Maddison n’y comprend rien et, très honnêtement, elle ne s’en porte pas plus mal. Elle referme la fenêtre de sa portière et sort de la voiture à son tour en regardant le quartier. Alex lui apprend que c’est ici qu’il travaille. Une main autour de ses épaules, elle lève les yeux sur l’enseigne dans un air faussement sceptique. Juste histoire de l’ennuyer un peu.

_ Moi et mes goûts de luxe, on a connu plus agréable

Elle le bouscule un peu de l’épaule dans un léger rire avant de rentrer à l’intérieur du bar. Elle attend qu’il allume la lumière pour mieux voir l’intérieur et, même si l’endroit avait été un véritable taudis, elle aurait trouvé le moyen de trouver ça sympa. Objectivité, quand il s’agit de son frère, n’est pas la qualité première de Maddison. Mais on est loin du taudis, au contraire, elle trouve l’endroit chouette. Un sifflement passe entre ses lèvres quand elle regarde autour d’elle.

_ J’connaissais pas ici. New York à encore plein de chose à m’apprendre.

Des bars, des boîtes de nuit, elle en a fait beaucoup. Trop. L’étudiante modèle ne l’est peut-être pas tant que cela finalement. Elle chasse cette pensée de son esprit, pas la peine de s’ennuyer avec ça. d’un pas joyeux, elle va au comptoir, se perche sur un tabouret haut, un genoux dessus, les coudes sur le bar en se penchant en avant pour voir ce qui se trouve derrière.

_ C’est carrément trop classe comme endroit. Quand j’ai pris ma chambre d’étudiante, j’voulais bosser dans un bar et, finalement, je me suis retrouver à la cafet ‘ du campus. Elle se tourne vers son frère en haussant les épaules. Ca à durer 3 mois. Mes horaires ont changés, plus de correspondances avec mes cours.

Un comble que celui qui soit préposé aux horaires de la cafeteria ait été incapable de composer avec les horaires d’une étudiante. Elle descend du tabouret, les yeux en l’air en regardant autour d’elle avant de revenir sur son frère en percutant un truc.

_ Attends, ça veut dire que les pâtes à la pistache c’est pas une lubie d’un restaurant bizarre caché au fin fond d’une ruelle. C’est toi qui va les faire ? Elle est étonnée mais elle affiche un air faussement sceptique et horrifié. T’sais y a des manières beaucoup plus simple pour se débarrasser de quelqu’un.

C’est presque déplacé de lui dire ça quand on sait ce qu’il fait pour les damnés. Mais, elle ne le sait pas, elle a juste envie de le taquiner un peu. Elle pointe son index dans sa direction.

_ Ça change rien au terme du contrat, c’est pas parce que t’es mon frère que je vais faire semblant d’aimer, je te préviens.

Le pire c’est que ça peut jouer. Elle est partie avec l’idée qu’elle n’allait pas aimé ça. Mais si c’est son frère qui prépare le plat, elle a forcément moins d’aprioris. C’qu’on peut être con quand la famille entre en ligne de compte.

Maddison avait du chemin à faire avant de me vexer, c'était certain. Mais quoi qu'il arrive, j'aimais cette petite vie dans ce bar. Je l'ai regardée s'installer avec un léger sourire en passant derrière le comptoir. Je me suis servi un verre d'eau rapidement avant de le reposer et puis j'ai croisé mes bras face à elle en posant mon menton sur mes poignets.

– J'attends pas de toi que tu fasses semblant.

A dire vrai, quand elle avait parlé de se débarrasser de quelqu'un, je n'avais même pas réagi, pas même pensé aux Damnés et à ce qu'ils me faisaient faire des fois. Non, avec ma soeur, je pensais à tout sauf à mes activités extra barman. Et je prenais bien le temps d'en profiter. J'avais parlé de ce repas comme j'aurais pu parler d'un tout autre. Mais j'y avais pensé ce matin, j'ignore pourquoi et dans mon souvenir, j'avais bien aimé. Mais je n'avais sûrement pas ce qu'il fallait en cuisine. En tout état de cause, j'étais mort de faim alors j'aurais mangé n'importe quoi.

Si seulement j'avais su, ne serait-ce qu'un quart des pensées de Maddison, je crois que j'aurais rougi. Bon, peut-être pas rougi mais ça m'aurait vraiment fait de l'effet. J'avais déjà du mal à croire qu'elle m'avait cherché, chose qu'elle n'avait dû faire que lorsque Ethan avait révélé son véritable visage. Je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça, c'était certain mais… Quelque part, j'aurais aimé que ce soit avant. Peut-être que les choses auraient été différentes. J'aurais pu demander à ce que Ethan n'entre jamais dans ma vie mais je n'aurais pas eu ma soeur. Et j'aimais ma soeur. Elle n'était peut-être pas la femme de ma vie mais elle avait sa propre importance qu'aucune autre personne ne pourrait jamais remplacer.

Je me suis redressé et l'ai invitée à me suivre derrière le bar pour rejoindre la cuisine. J'ai allumé les lumières et ouvert la porte de derrière pour faire de l'air et je suis revenu sur mes pas pour fourrer ma tête dans le frigo des employés.

– Et oui, il m'arrive de faire la cuisine ! Quoi, ça t'étonne, gosse de riche ? Et je la fais très bien, en plus.

Et finalement, devinez quoi… J'ai sorti une pizza. Hey oui. Je n'étais pas à l'abri de la flemme et puis je n'avais plus de pistache. J'ai ouvert le four pour y engouffrer la pizza et je me suis relevé dans un soupir. Je me faisais pas vieux, je crois que j'étais naturellement las et blasé.

– J'ai oublié de recommander des pistaches. La prochaine fois, je te rate pas. Bon d'accord, j'ai aussi un peu la flemme parce que quand j'ai faim, je vais au plus simple. Je t'apprendrai plein de trucs sur New York, si tu veux. Mais d'abord, commence à m'apprendre des trucs sur toi !

Je me suis retourné pour faire dos au comptoir en alu, les mains accrochées au bord. J'ai souri à ma soeur, j'avais beau l'avoir à l'oeil, je ne savais pas tout d'elle. Ni trop ce qu'elle aimait ou aimait faire. Et j'avais envie de savoir tout ça, justement ! Elle était là, rien que pour mes yeux et je pouvais en profiter, moi tout seul !

– Tu sais qu'au lieu de bosser en cadet, je peux peut-être te trouver un truc un peu plus fun. Si tu veux bosser dans un bar, je peux peut-être m'arranger. Bon, je pense pas ici parce que si on doit travailler ensemble, je voudrais pas que ça pose de problèmes, quoique je peux toujours demander. Je suis pas propriétaire hein. Alors dis-moi. Comme ça, t'aimes pas la pistache ? Tu penses quoi de la vanille, allez sois pas timide, vends-moi ton CV. Pourquoi la psychologie ? Ou la sociologie, je sais plus… Je suis pas un frère très digne, j'admets.

Son CV ou n'importe quoi qui pouvait m'apprendre ce qu'elle faisait dans la vie.

Un grand sourire passe sur les lèvres de Maddison. Il n’attend pas qu’elle fasse semblant, tant mieux… pas la peine de rappeler son incapacité à mentir ouvertement. L’avantage c’est qu’il demande de ne pas faire semblant mais il ne demande pas d’être objectif. Heureusement parce que, pour Maddison, ce dernier point va être beaucoup plus difficile à mettre en place. Sans se faire prier, elle le suis jusque dans les cuisine où, là encore, elle lève la tête, regarde tout autour d’elle jusqu’à aller à la porte de derrière pour voir sur quelle ruelle ça donne.

La tête dehors, les pieds à l’intérieur, elle entend Alex la traité de gosse de riche. Si ce genre de réplique a tendance à le faire hurler, venant d’Alex ça passe sans le moindre problème. Ils viennent du même endroit après tout. Enfin, du même endroit mais sans les même droits non plus. Un séjour chez les Perterson, quelques années en arrière et tout le monde pouvaient voir qu’il existait des différences flagrantes d’éducation et de droit chez ces deux enfants de la famille. Rentrant la tête dans la cuisine, elle se retourne pour lui répondre quand elle le voit avec une pizza dans les mains. Un énorme sourire s’affiche clairement sur ses lèvres.

_ Ah oui, je vois ça !

Se vanter de bien faire la cuisine et sortir une pizza. Sérieusement ?! Ca la fait rire et elle affiche volontaire un faux air septique sur son visage quand il explique que c’est parce qu’il n’a pas pensé à acheter de pistache. Elle croise les bras et hoche la tête.

_ Mais bien sûr, avoues que c’est parce que tu sais que je ne vais pas aimer et ça va t’éviter d’avoir un balancer un truc sur toi.

C’est les termes du contrat qu’il a passé avec elle avant de venir ici, non ? En réalité, elle ne se vexe pas, ne le prend pas mal, au contraire ça la fait rire plus qu’autre chose. Pizza, pâtes, elle s’en fou. Elle va manger avec son frère, le menu c’est bien le cadet de ses préoccupations. Maddison reste à côté de la porte, l’air qui y entre à quelque chose d’agréable. Mais très vite Maddison secoue la tête.

_ Tu sais, c’était pas un appel du pied pour travailler ici ou ailleurs.

Elle vient à peine de le retrouver, ce n’est pas pour se servir de lui pour ses propres intérêts. Et puis, sans ce que ce soit méchant, elle compose sans lui depuis pas mal d’année, elle peut réussir à continuer de cette manière encore un peu de temps.

_ Et si, j’aime bien la pistache, juste que mélangé avec des pâtes ça semble très étrange. Et la vanille, c’est bien mais ça ne vaudra jamais le caramel au beurre salé, si tu veux tout savoir.

Elle hoche la tête d’un air convaincu. Le caramel au beurre salé, rien ne peut vaincre ça, même les meilleures pâtes à la pistache du monde. Ah oui, il est aussi question de ses études. Elle sourit en s’appuyant contre le mur derrière elle, les bras croisés, un pied contre le mur.

_ Mais la psychologie c’est super intéressant.

Argument minable, elle en convient très bien toute seule sans qu’on lui dise. Sûrement pour cette raison qu’elle affiche un air un peu plus sérieux avant de reprendre.

_ Honnêtement, je crois que ça vient d’un besoin de comprendre les gens et ce qui les poussent dans une voix plus que dans une autre.

A aucun moment elle ne parle de son père, de ses activités et ses envies de frapper tout le monde. Comme elle ne parle pas de sa mère qui s’est contenté de regarder les choses se faire sans jamais intervenir. Pas besoin de faire de longues études pour savoir que son vécu est, en grande partie, responsable de ses choix.

_ Après je me spécialise plus dans le comportement, la sociologie en fait partie, et aussi le fait de pouvoir étudier les expressions des gens. L’idée c’est de pouvoir établir des profils types pour prévoir ce que compte faire les gens, ou déterminer, je sais pas, s’ils mentent ou pas. Ce genre de chose.

Elle ne risque pas de finir psychologue. C’est surtout ça qu’il faut retenir dans son discours, Maddison ne se voit pas dans un bureau à écouter les problèmes des gens. Évidemment, son pouvoir est pour beaucoup dans son choix d’orientation mais, elle ne se voit pas dire qu’elle est déjà une sorte de détecteur de mensonge sur pattes.

Elle prétendait que je changeais le menu pour elle ? C'était mal me connaître. Je me suis redressé en levant un index, les yeux mis clos. Non, il ne fallait pas que ma soeur puisse penser un instant que je faisais ma vie en fonction d'elle. Pas plus que je ne voulais qu'elle fasse sa vie en fonction de moi. J'étais quelqu'un d'assez indépendant et j'osais croire qu'elle l'était aussi. Quelque chose dans son attitude, dans ses yeux… Elle me faisait penser à moi, un peu plus jeune quand j'ai commencé à déconner. Je ne sais pas d'ailleurs si on peut appeler ça déconner. J'ai simplement… Suivi la voix qu'on s'attendait à ce que j'emprunte. Et je ne regrette pas. Je vis ma vie, comme je l'entends, au rythme que j'entends. je ne supporte pas l'idée que quelqu'un puisse me dire quoi faire et comment le faire. Et tout autant que j'aime ma soeur, elle ne possède pas plus cet avantage qu'un autre. Elle aurait sûrement beaucoup à dire de ma psychologie mais je doute que ce soit ce qui l'intéresse autant. Quelque chose l'intéresse, oui. Quoi ? Je ne sais pas encore mais on ne me cherche jamais par hasard. Et on ne me trouve que si j'ai envie qu'on me trouve. Est-ce que ça voulait dire que tout ce temps je n'avais pas voulu que ma soeur me trouve ? C'était une possibilité.

– Oh mais ne t'en fais pas, un jour je te ferai goûter ! J'ai juste la flemme d'aller acheter des pistaches, voilà tout. Cela dit, je te rejoins sur le caramel au beurre salé, tu es bien ma soeur, mais. Parce qu'il y a un mais… Ca dépend pour quoi.

"La psychologie c'est super intéressant". Oui, alors de vous à moi, la psychologie, c'est chiant. C'est tenter de trouver des réponses dans des questions parfaitement futiles. En fait, sa définition est la raison même qui me pousse à dire que c'est pas quelque chose pour moi. Je n'ai pas besoin de comprendre, je n'ai pas besoin de tout savoir, il y a tellement de choses que je ne veux pas savoir, tellement de choses dont je me fiche, c'est pas ça qui va m'aider à réparer mes erreurs, si toutefois c'était ce que je voulais. Ce n'est pas ça non plus qui va m'aider à manger et encore moins ça qui va m'aider à passer les épreuves que je connais jour après jour chez les Damnés. Si ma soeur voulait chercher à comprendre… C'était quelque chose que je pouvais accepter mais pas comprendre moi-même. Pourquoi ? Ca l'avancerait à quoi ? Ce complexe de l'anthropologue, je ne savais jamais comment y réagir. Je sais qu'un jour, quelqu'un a tenté de m'analyser et a terminé avec un nez cassé à l'hôpital. Personne ne peut m'analyser et personne ne peut me comprendre. Je n'ai pas envie qu'on cherche à me comprendre, je n'ai pas envie qu'on m'analyse. Je n'ai pas envie qu'on me trouve des excuses.

_ Oui, c'est chiant, donc.

Pourquoi je mentirais à ma soeur sur ce que je pensais ? Encore une fois, j'étais incapable de mentir. Si j'avais été éveillé à son pouvoir, j'aurais dit que notre fraternité jouait. Mais ici, tout ce que je pouvais me dire, c'était que j'avais abandonné ma soeur une fois et que je refusais de la perdre une seconde fois. Alors mon but n'était pas de lui mentir, ni nécessairement de lui dire la vérité crue telle qu'elle était. Je ne voulais juste pas être celui qui "faisait semblant" pour lui rendre la vie plus belle. Je voulais être avec elle comme je voulais qu'elle soit avec moi : naturelle. Normale. Elle-même. Les faux semblants, les parodies, les comédies, c'était mon quotidien. Ma soeur, n'était pas mon quotidien et je n'entendais pas à ce qu'elle le devienne. Elle devait être ma bouée, il fallait qu'elle soit celle que ma grand mère avait été pendant des années : ma raison de vivre, celle pour qui j'acceptais encore d'avancer et pourquoi. J'avais beau être qui j'étais et ce que j'étais, je n'avançais pas par hasard et je n'étais peut-être pas aussi fort ni costaud que je voulais bien le laisser dire. Non, sans chercher à comprendre pourquoi, il me fallait seulement… une raison.

J'ai haussé les épaules et je me suis penché pour vérifier le four avant de reprendre quand elle a eu fini d'expliquer sa vocation.

– Tu sais… Parfois, les gens mentent pour de bonnes raisons. Parfois, ils disent la vérité pour faire du mal. Ce que je veux dire, c'est que la psychologie, c'est bien, je ne sais pas ce que tu veux en faire plus tard, sûrement quelque chose de mieux que bien… Mais si je devais te mentir un jour… Tu ne devras jamais avoir à l'esprit que je le fais parce que ça m'amuse.

Je me suis relevé et j'ai fais quelque pas pour aller récupérer quelques couverts, verres et assiettes. J'ai allié gestes et paroles en parlant un peu plus fort pour qu'elle m'entende même de loin.

– Je ne comprends jamais ce que les gens cherchent à obtenir avec la vérité parce que pour moi ? C'est juste une fouteuse de merde et ça ne sert à rien. Il n'y a pas de vérité. Si on veut faire un peu de psychologie alors je te dirais que si je te mens, c'est pour te protéger.

J'ai tourné la tête pour la désigner avec un couteau, les sourcils hauts.

– Et je connais plusieurs personnes qui mentiraient pour protéger leurs proches. C'est dans la nature. Cette obsession de la vérité, je… Je ne saisis pas ! Je ne réponds pas forcément à ce que tu dis, c'est une pensée générale. Mais tu vois ? Une nana comme toi ? Profiler ?

J'ai pouffé de rire en penchant la tête à l'évidence.

– Si t'étais pas ma soeur, je ferais tout pour te garder le plus loin possible. Telle que je te vois, tu es certainement douée et il y a des choses qu'un mec comme moi ne veut pas qu'on sache. Donc pars du postulat que… Oui. Je te cache des choses. Oui, je t'en cacherais un paquet même si je t'aime de tout mon coeur, Maddison. Et que… Oui ! Je te mentirai.

J'ai agité le couteau en haussant les sourcils pour la mettre en garde, en guise de sabre laser.

– Mais attention, Luke. Tu aurais tort de vouloir trop chercher à me profiler.

Non, elle ne prétend pas qu’il change le menu pour elle, elle le taquine seulement sur l’enjeu qu’il y autour de ce plat de pâtes à la pistache. Maddison n’est pas d’une grande prétention, encore moins quand il s’agit de son frère. Elle ne le voit pas changer toutes ses habitudes, seulement pour ses beaux yeux. Elle est déjà bien heureuse d’être là, de le voir mettre sa pizza au four pour exiger plus venant de lui. Elle est encore moins pour le juger, sans parler du fait qu’elle ne connait rien de lui. Un chemin s’ouvre devant eux avec tout à y faire. Alors, quand Alex affirme qu’il finira par lui faire gouter son plat, elle hoche la tête dans un sourire amusé.

_ J’espère bien !

C’est un peu comme une promesse d’un autre repas à partager, sous certaine condition. Après tout, rien ne les empêche de finir celui-là en se tapant dessus parce qu’ils sont incapable de s’entendre. Elle en doute mais, il ne la connaît pas tellement, la réciproque est tellement vrai aussi. Mais qu’il trouve la psychologie chiante n’est, à son goût, pas une raison suffisante pour le détester. Il n’est pas le premier à lui dire et, honnêtement, il ne sera pas le dernier non plus. Elle s’en fiche, elle ne va pas changer son orientation, qui lui plait, parce qu’Alex trouve ça chiant. En fait, ça lui arrache même un sourire parce qu’au moins, il n’essaye pas de la brosser dans le sens du poil, il ne fait pas semblant de s’y intéresser juste pour lui faire plaisir. Il trouva ça chiant, voilà, c’est dit.

Et, ils ont une conception bien différente du mensonge. Il n’y a pas de bon mensonge pour elle. Sa mère pensait la protéger ? Non, elle avait juste cherché à se protéger elle. Au final tout ce que ça avait apporté, c’était des problèmes. Les gens pensent que mentir peut aider quelqu’un, en réalité ça ne fera que créer une situation qui peut être évités si les gens faisaient preuve de plus d’honnêteté. Un point de vue, le sien, elle le conçoit tout à fait. Maddison, écoutant les explications d’Alex le suit dans l’autre salle, attrapant au passage une bouteille d’huile piquante pour les pizzas.

Elle sait déjà ce qu’elle va lui répondre mais, il prend son couteau, prononce le nom de Luke et, la fan inconditionnelle qu’elle est ne peut pas s’empêcher de rire à cette référence. Elle lève les mains, dans ce sourire amusé, en signe de défaite alors qu’elle secoue la tête. Puis elle laisse ses bras retombés pour le croiser contre son torse.

_ Je crois que chacun voit les choses comme ils veulent. Sérieux, je trouve que c’est le mensonge qui est plus une source d’emmerdes qu’autre chose. les choses finissent par se savoir et, à ce moment-là, c’est la loose.

En plus du sentiment de trahison qui s’en accompagne. Leur mère est d’ailleurs assez bien placée pour parler des effets que ça peut avoir, surtout quand il s’agit de Maddison. L’étudiante prend une inspiration avant de lever les yeux vers son frère.

_ J’suis douée pour savoir quand les gens mentent. Elle hausse légèrement les épaules. C’est comme ça. Cela dit, tout le monde a le droit à sa vie. Tu sais, en fait, si je détourne toujours le regard ce n’est pas anodin, ça évite de tomber sur ces petits signes inconscients qu’une personne peut faire quand elle ment.

À moins d’être particulièrement aveugle, le fait qu’elle détourne souvent le regard ne passe pas inaperçu, surtout au moment où la personne qui lui fait face décide de lui répondre. Ce qu’elle dit, c’est la vérité, elle apprend à reconnaitre ce genre de signe, c’est un exercice pour elle. Elle ne s’emploie pas à le faire sur son entourage à moins que cela soit décidé de cette manière. Un entourage, ce n’est pas un ensemble de rats de laboratoire. Elle ne ment pas, elle ne dit pas non plus que ça évite à son pouvoir de faire des siennes. Maddison ne dénigre pas vraiment le mensonge par omission, elle le pratique assez pour ne pas pouvoir le critiquer.

_ Chercher à tout savoir, absolument tout, ce n’est vraiment pas ce dont j’ai envie.

Non, mais elle trouve ça utile dans certaine situation comme celle qu’Adam lui a fait découvrir quelques jours en arrière en se rendant dans cette entreprise pour savoir qui détournait de l’argent. Là, ça prend un sens pour elle. Alex, elle a envie de le connaître mais elle veut le faire comme peut le faire n’importe qui. Elle sourit en haussant juste une épaule.

_ Et puis, tu n’as rien à craindre. Tu es doué pour mentir, non ?

C’est ce qu’il avait dit quand il s’était proposé de jouer les cobayes alors, pas d’inquiétude. De toute façon, c’est dit sur le ton de l’humour. Elle ne veut pas avoir à utiliser ses connaissances, ni son pouvoir, sur lui. Les choses doivent seulement se faire normalement.

– Être doué pour mentir ne veut pas dire que j'aime ça ou que j'en ai forcément envie.

J'ai haussé les sourcils en la regardant un instant. J'étais sérieux. Mentir, c'était amusant pour la plupart des personnes et j'adorais faire mon show de cette manière. Mais ça ne voulait pas dire que c'était toujours une partie de plaisir. Je faisais partie de ces gens qui usaient du mensonge pour se protéger autant que pour protéger les autres. C'est comme ça, c'est un mécanisme. Quant à sa façon de détourner le regard qu'est-ce que je pouvais dire ? Ca m'arrivait de le faire aussi. A mes yeux, Maddison n'était pas plus différente qu'une autre personne. Malgré tout, j'avais beaucoup de choses à apprendre d'elle, encore. On avait beaucoup d'années à rattraper et c'était un peu comme partir de rien. Elle était si jeune quand je suis parti, tout ce que je savais était à refaire aujourd'hui.

Elle pensait comme bon lui semblait vis à vis du mensonge et j'avais ma propre vision. J'aimais penser librement alors ce n'était pas moi qui irait la contredire. J'ai sorti des verres pour les mettre sur le comptoir et je l'ai laissée me donner un coup de main avant de contourner le bar pour revenir vers elle, de l'autre côté. Une main sur le bord, j'ai haussé à nouveau une épaule en la dévisageant.

– Assez parlé de mensonge. J'ai bien compris que c'était quelque chose que tu détestais. Ce n'est pas forcément quelque chose que j'apprécie plus que ça, non plus. Disons plutôt que c'est… Une très mauvaise habitude qui m'a souvent sauvé la vie !

Je lui ai souri et j'ai croisé les doigts en m'accoudant au bar.

– En tout cas, sache que j'essayerai de ne pas te décevoir mais qu'un jour ou l'autre… ça arrivera ! Je veux dire… C'est toujours comme ça que ça marche. Je crois que les gens aiment à croire qu'ils peuvent m'amener là ils pensent que c'est mieux que je sois. Et comme je ne suis pas du genre à, comment dire, me laisser dire qui je dois être et ce que je dois faire et bien, ils abandonnent. Alors que j'ai plutôt une belle vie !

J'ai ouvert le bras pour désigner le bar autour de nous. En tout cas, j'avais bien l'impression d'avoir une belle vie. Un toit sur la tête, un travail que j'aimais, j'avais même des amis ! Je servais une cause en laquelle je croyais et chaque fois que quelqu'un tentait de m'approcher, comme ma mère, il fallait essayer de faire en sorte que je sois… "digne de mes capacités". Que je valais mieux que ce bar, mieux que ce travail, mieux qu'un studio au-dessus d'un bar. Après tout, qui disait que je valais mieux que ça ? Pas moi. J'avais une vie tranquille - en apparence. Je me fichais pas mal de ce que pouvaient penser les autres, ce n'était même pas mon problème.

On avait encore une petite dizaine de minutes le temps que le pizza soit prête alors j'ai posé mon menton dans ma main et je l'ai dévisagée en souriant, curieux.

– Est-ce que tu vas tenter de me convaincre que je vaux mieux que ce bar ? Je te préviens, je suis dur en affaires.

J'ai haussé un sourcil. Si elle n'était pas stupide, elle saurait que ça ne servirait à rien, que même elle ne me ferait pas changer de direction. Mais c'était aussi ma façon de la prévenir. Soeur ou pas, il y avait des règles à respecter et je voulais qu'elle comprenne que si aujourd'hui, nous étions là, c'était pour nous… Pas pour moi. Pas pour elle. Pas pour notre père ni notre mère. Juste elle et moi, tels que nous étions.