Confortablement installée dans l’un des fauteuils de sa nouvelle suite, Sélène était plongée dans l’un des dossiers qui occupait le plus ses nuits depuis quelques mois… La jeune femme ne comptait plus le nombre de fois où elle avait relu les rapports d’enquête, re-regardé les photos des scènes de crime et recommencé ses investigations depuis le début pour découvrir le fin mot de l’histoire. Cependant, elle avait acquis depuis quelques semaines la certitude qu’Arnold Bluhm avait bel et bien été assassiné par un groupe armé engagé et généreusement payé par un mystérieux commanditaire répondant toutefois au nom de Erwann… Cette piste très maigre avait le don d’agacer Sélène et l’avait à plusieurs reprises irritée au point de fracasser quelques objets situés à proximité juste pour se défouler, ou de harceler continuellement Logan pour reprendre les entraînements au combat… Ce dernier point n’avait pas vraiment porté ses fruits, mais le fait de se fissurer quelques os en frappant comme une brute sur son professeur ou sur un sac de frappe lui avait permis de se calmer et d’orienter ses recherches de méthodes de défoulement vers d’autres trucs moins violents…

Le dressing de la jeune femme s’était donc rempli à une vitesse impressionnante, tout comme la boîte vocale de son homme actuellement coincé à Cardiff pour raisons professionnelles. Plusieurs fois, Sélène tenta d’aborder le sujet de son état – mieux valait ne pas crier sur tous les toits qu’elle était enceinte – en conversant seule avec le répondeur, mais à chaque fois, quelque chose d’assez indescriptible l’avait retenue… Il s’agissait probablement de son instinct, mais aussi et surtout de ses souvenirs relatifs aux grandes réticences de Mathias concernant une éventuelle paternité et tout ce qui allait avec. L’espace de quelques secondes, la mutante envisagea de laisser son enquête et un paquet de choses en plan pour sauter dans le premier avion en partance pour l’Ecosse, mais là encore, quelque chose l’en dissuada, et c’est avec un soupir un peu las que Sélène posa l’épais dossier sur la table basse et alluma le téléviseur…

S’ensuivit un zapping assez mou, parce que visiblement rien ne semblait l’intéresser suffisamment pour qu’elle consente à accorder plus de 3 secondes d’attention à un programme précis, et Sélène déserta bien vite son fauteuil pour s’aérer l’esprit et se dégourdir les jambes… Ses pas la menèrent dans le couloir du troisième étage où elle ne croisa pas âme qui vive mais détecta l’empreinte mentale de Friedrich, qui devait encore une fois trainer dans le coin pour voir si elle ne manquait de rien. Loin de s’en formaliser, Sélène appréciait un peu plus cette présence chaque jour qui passait simplement parce que savoir que quelqu’un veillait efficacement sur elle lui permettait de ne pas penser à l’absence de son britannique de petit-ami l’espace de quelques minutes disséminées ça et là dans le temps… Et puis après tout, si Friedrich souhaitait veiller à sa sécurité, à quoi bon l’en dissuader ?

Décidant finalement de descendre se prendre un thé à la cuisine – pour peut-être croiser quelqu’un avec qui parler et ainsi se changer les idées – Sélène avait fait un rapide arrêt à la bibliothèque pour prendre un gros livre à la couverture reliée de cuir regroupant la plupart des pièces de Shakespeare qui occuperait parfaitement ses journées et ses nuits à venir…
Sa tasse de thé servie, Sélène emprunta de nouveau l’ascenseur menant aux étages et regagna sa suite, refermant la porte derrière elle avant de se caler entre les coussins du fauteuil qu’elle occupait un peu plus tôt. Posant le recueil sur la petite table basse, Sélène monta un peu le son de la télévision avant de replier ses jambes contre elle, portant la tasse encore fumante à ses lèvres…

La télévision n’était vraiment pas son moyen d’information de prédilection, Sélène peina à focaliser son attention sur la série stupide qui était diffusée et n’y parvint que moyennement lorsque le jingle du flash-infos annonça la survenue de quelque chose de suffisamment grave pour que la chaîne interrompe ses programmes… Avalant une autre gorgée de thé, Sélène interrompit tout mouvement lorsque la présentatrice annonça ce dont il était précisément question : des mutants d’un genre nouveau s’étaient faits remarquer en ville, et avaient été capables de dissimuler toute trace de mutation lorsque les autorités les avaient interrogés. Un froncement de sourcils accompagna cette nouvelle, et Sélène posa sa tasse sur la table basse, se calant un peu mieux entre les coussins en maudissant ces humains stupides qui ne comprenaient décidément rien à rien…

Lorsque la vidéo de la scène – récupérée parmi les bandes vidéo de l’épicerie située juste en face du lieu de l’altercation, Sélène se redressa avec intérêt lorsqu’elle remarqua l’étrange scène qui se jouait sous ses yeux : un homme – travaillant pour le Gouvernement, ça ne faisait aucun doute – maintenait en respect un être cornu, et une jeune fille s’approchait sans que pour le moment Sélène ne comprenne le lien entre l’accroche de la présentatrice et cette vidéo de surveillance. Les choses s’enchaînèrent ensuite à une vitesse folle, et Sélène remarqua l’étrange agitation de trois passants situés en arrière plan. Se levant de son fauteuil pour s’approcher de l’écran, Sélène s’agenouilla sur le tapis et fixa son attention sur la jeune fille qui était restée stoïque et avait simplement pointé du doigt les trois « mutants » avant que ceux-ci ne développent des capacités dont ils n’avaient pas semblé être dotés quelques minutes plus tôt… Parce qu’assurément, n’importe quel mutant un minimum sain d’esprit aurait déserté les lieux lorsque les fédéraux avaient surgi…

Un sourire amusé étira les lèvres de Sélène, qui laissa glisser son index le long de la télécommande, coupant de nouveau le son de la télévision parce qu’elle avait obtenu une histoire croustillante sur laquelle elle pourrait travailler… Les bla-bla inutiles des représentants des forces de l’ordre tout comme les plans sur les civières emportant les Fédéraux jusqu’à l’hôpital le plus proche ne l’intéressaient guère plus, parce qu’elle avait déjà griffonné sur son petit calepin les détails qui pourraient lui servir…
Une onde mentale plus tard, la porte finit par s’ouvrir sur Friedrich qui affichait un air un peu étonné…

Je vais avoir besoin de toi pour remonter une piste… faire le planton devant ma porte est bien indigne de toi, et je viens de te trouver beaucoup mieux à faire…

Avec ça, qui oserait dire que Sélène était trop impatiente pour ménager ses effets...

Trop de temps passé enfermé dans l’ancien QG juste après avoir passé un petit mois enfermé à Alcatraz avait décuplé l’amour de Friedrich pour les grands espaces de manière étrangement démesurée, si bien qu’il était à présent difficilement envisageable pour lui de remettre les pieds dans le QG souterrain. Aussi était-il parfaitement satisfait du choix de Sélène en ce qui concernait le nouveau QG… enfin, seulement si l’on mettait de côté le fait que sa chambre était située un peu trop en hauteur à son goût…

Allant beaucoup plus librement depuis que tout avait été déménagé, Friedrich avait croisé bon nombre d’ouvriers et pris le temps de se remettre à l’exercice autant que de changer d’apparence, mettant à profit les quelques jours qui venaient de passer pour se reconstruire physiquement… Mentalement, il n’y avait presque aucun problème, si ce n’était cette propension à renifler plus ou moins discrètement chaque jeune femme qui croisait son chemin, et au nombre desquelles figuraient Alexa (juste parce qu’il adorait la faire enrager depuis la première minute où il l’avait vue ^^) et Sélène, qu’il ne faisait que vénérer davantage à chaque jour qui passait… Mais en dehors de ce léger problème de testostérone autant que d’instinct, Friedrich se portait comme un charme.

Le mutant avait donc pu choisir sa chambre avant tout le monde et avait joyeusement balancé dans la pièce les affaires qu’il possédaient encore malgré la fouille de son ancien appartement et la saisie de la plupart de ses affaires ; soit à peu près pas grand-chose, du moins tant qu’il n’aurait pas été réhabilité légalement et lavé de cette accusation de meurtre complètement absurde…

Les autres Damnés avaient fini par envahir le QG, de même que certains autres mutants que Friedrich n’avait encore jamais vu… les membres du « Réseau », d’après ce qu’avait pu lui expliquer le Crapaud… Bien vite, tout le monde avait pris ses marques, et Friedrich avait pu de nouveau se livrer à l’une de ses occupations favorites qui consistait à pister Sélène pour respirer cet arôme unique qu’elle seule dégageait ; une activité qui avait eu le don d’agacer la jeune femme quelques années plus tôt, mais dont le mutant ne se lasserait probablement jamais.

La suivant comme son ombre pendant les premiers jours, le mutant s’était fait remettre à sa place une seule et unique fois, alors qu’il avait suivi la jeune femme à travers les rues de la ville jusqu’à l’hôpital. A ce jour, le mutant ne comprenait toujours pas ce qui avait incité sa « déesse » à lui jouer un aussi vilain tour, en le mettant hors d’état de nuire avec une onde mentale dans une ruelle sombre. Vautré dans son inconscience, Friedrich avait laissé tout le loisir aux clodos du coin de le dépouiller de son argent et de quelques autres effets personnels indispensables, comme notamment sa fausse carte d’identité destinée à lui sauver la mise en cas de contrôle de police… Maudissant son indiscrétion tout autant que les capacités de Sélène en matière de télépathie, le mutant avait regagné le QG à pieds, ne possédant même plus de quoi se payer un ticket de métro…

Depuis cette mésaventure, le mutant prenait soin de ne pas approcher trop près de Sélène lorsqu’il la filait, ou qu’il « veillait sur elle », comme il se plaisait à le dire. Une distance suffisamment importante permettait de ne pas être à portée d’un pseudopode mental, et donc d’échapper à une onde mentale surprise, mais non moins désagréable.

Ce matin-là justement, Friedrich s’était levé aux aurores pour courir dans Central Park, ne regagnant le QG que sur les coups de 10 heures, heure à laquelle certains occupants du QG se réveillaient à peine. Après une bonne douche, un café noir et quelques tartines de pain, le mutant avait sentit l’odeur si particulière de Sélène chatouiller ses narines, signe indiquant qu’elle venait d’arriver, et c’est une tartine à moitié glissée dans sa bouche que le mutant lui avait emboîté le pas jusqu’à finalement la voir entrer dans sa chambre, refermant la porte derrière elle… Aucune importance, de toute manière il trouverait le moyen de la renifler d’ici la fin de journée…

Prenant le chemin de sa propre chambre pour y remettre de l’ordre, Friedrich s’allongea sur son lit avec l’édition du jour du NY Times, parcourant ensuite de manière assez distraite les pages consacrées au sport avant d’étudier attentivement ce qui concernait la bourse et les placements financiers…

Deux petites heures plus tard, l’arôme de Sélène se fit de nouveau sentir de manière plus prononcée, signe indiquant qu’elle venait de sortir dans le couloir. Friedrich attrapa un bloc et un stylo bille et entreprit de se concentrer sur les arguments et fondements juridiques qui lui serviraient à établir son innocence pour le crime dont on l’accusait sans trop posséder de preuves. Quelques employés de Mars Investigations avaient accepté de l’aider et lui faisaient parvenir les éléments qu’ils parvenaient à recueillir par diverses conversations avec les gens en charge du dossier au bureau du procureur ou directement à la NSA (mais là, c’était plus compliqué).

Une sensation un peu bizarre le tira de ses griffonnements frénétiques de numéros d’articles de Lois, de précédents jurisprudentiels et autres références incompréhensibles au commun des mortels – du moins pour ceux qui n’avaient jamais étudié le droit ^^ - et devant la persistance de cette sensation, le mutant n’eût pas d’autre choix que de lui prêter attention, constatant dans la foulée que cela ressemblait étrangement aux ondes mentales de Sélène mais en moins corrosif pour l’esprit que lorsqu’elle était contrariée… Cédant à la curiosité, le mutant sortit dans le couloir et parcourut les quelques pas qui le séparaient de la porte de la chambre de Sélène, la poussant en silence…

Friedrich devant sans doute afficher un air particulièrement ahuri, parce que Sélène esquissa un sourire malicieux qu’il adorait plus que tout voir animer son visage, et elle finit par conclure qu’il était trop doué pour que ses activités se limitent à faire le planton devant sa porte… en même temps, ce n’était pas complètement faux ^^
La jeune femme avait donc exposé son plan de manière claire, et avait indiqué à Friedrich la manière dont il devrait procéder pour la satisfaire… Acquiesçant d’abord avec perplexité, le mutant avait fini par accepter avec entrain avant de quitter la chambre et le QG, un morceau de papier sur lequel étaient griffonnés les noms de ceux qui l’aideraient à en apprendre davantage sur l’incident qui avait eu lieu le matin…

Une petite visite à l’agent fédéral hospitalisé à l’hôpital du centre-ville avait permis à Friedrich d’obtenir une description plus précise de la jeune fille qui avait fait mine de vouloir le protéger. L’agent était à présent presque entièrement convaincu que cette jeune fille était elle-même une mutante, et ne tarissait pas d’ « éloges » à son égard, mentionnant avec moult exagérations comment elle lui avait fait perdre connaissance. Friedrich avait ensuite emprunté une blouse de médecin afin de pouvoir pénétrer plus facilement dans la pièce de l’hôpital où étaient stockés les effets personnels des patients, et avait trouvé le traditionnel costume des fédéraux à l’emplacement correspondant à son nom et son numéro de chambre…

Ouvrant la boîte en carton en plus grand afin de jeter un œil au fond, le mutant finit par sortir la veste de costume de l’agent, la reniflant avec application jusqu’à finir par distinguer plusieurs odeurs. Le point positif avec les agents fédéraux était que le costume règlementaire n’était jamais porté plus d’une journée, ce qui simplifiait grandement la tâche de Friedrich dans la mesure où cet agent ayant été « agressé » le midi même, il n’avait pas encore eu le temps de crapahuter partout en ville… L’odeur du café, des beignets se dégagea la première, suivie de près par l’infect aftershave du bonhomme qui arracha un juron au mutant, qui comprenait décidément très mal comment les gens pouvaient porter des puanteurs pareilles.

Une odeur plus féminine finit par attirer l’attention du mutant, quasi simultanément à l’entrée dans le local d’un employé qui s’étonnait que la porte soit restée ouverte. Jetant un œil vers la porte à travers les étagères qui le séparaient de l’intrus, Friedrich renifla une nouvelle fois cette odeur avant de tout remettre dans le carton et de le ranger de nouveau à sa place…

Je cherchais la montre de M. Paxton… je suis là ! Il me tanne depuis ce matin pour que j'aille la lui chercher...

Arrivant assez rapidement devant l’employé, Friedrich se félicita de ne pas avoir allumé la lumière entrant parce qu’il conservait ainsi son anonymat. Le jeune médecin qui se tenait devant lui esquissa un sourire d’excuse et quitta la pièce le premier, suivi de près par Friedrich, qui disparut dans la foule qui déambulait dans le couloir, rejoignant la rue pour commencer ses recherches.
Empruntant le métro pour gagner du temps, Friedrich refit surface près du café où l’altercation avait eue lieu, et huma l’air ambiant, à la recherche de cette odeur qui – il en était quasiment certain – était celle de cette jeune mutante…

Les choses s’accélérèrent lorsque le mutant repéra l’odeur de sa proie, et un rictus étira ses lèvres peu avant qu’il ne parte au pas de course dans la direction empruntée quelques heures plus tôt par la demoiselle… Une chance qu’il soit un homme des plus sportifs, parce que n’importe quel humain de base aurait perdu haleine après quelques mètres : Friedrich accéléra une nouvelle fois le pas et tourna dans plusieurs ruelles de manière désordonnée, comprenant ce que sa proie avait tenté de faire pour semer ses éventuels poursuivants, parce qu’en effet emprunter un chemin trop direct pour atteindre un but précis était se condamner d’avance en risquant de se faire prendre.

Friedrich finit par s’arrêter quelques secondes, car à force de tourner en rond dans les ruelles, la tête avait fini par lui tourner légèrement, presque proportionnellement à l’augmentation de son degré d’agacement. Un grognement lui échappa et la traque repris, le menant dans un premier temps en bordure du quartier de Hell’s Kitchen que la jeune fille avait visiblement voulu faire passer pour sa destination, avant de simplement rebrousser chemin… La piste olfactive devint plus précise, parce qu’en repartant vers Central Park, elle marchait à une allure normale, de manière à ne pas attirer l’attention sur elle, comme si elle n’avait été qu’une passante comme tant d’autres. Friedrich, lui, ne ralentit pas l’allure au cas où les Fédéraux soient parvenus à la pister aussi efficacement que lui, et pénétra dans le vaste parc de Central Park quelques minutes plus tard…

La tâche se compliqua légèrement lorsque les odeurs de hot dog, de barbapapa et d’autres jeunes femmes vinrent assaillir son odorat surdéveloppé, et le mutant s’immobilisa une nouvelle fois, prenant quelques goulées d’air afin de déceler de nouveau l’arôme de la jeune fille…
Aux yeux des passants, ce n’était ni plus ni moins qu’un joggeur qui avait voulu trop forcer et qui à présent faisait une pause… bref, rien qui était susceptible d’inquiéter sa proie, si elle était suffisamment proche pour l’apercevoir…

Le long des allées gravillonées du parc déambulait lentement, sans but, Karine, ignorante de l'interêt que son esbrouffe avait suscité chez de si augustes personnes. Ses pensées presque exclusivement tournée vers son sombre et froid univers intérieur, elle n'accordait à son environnement immédiat que l'attention nécessaire à sa marche, et au ressenti de l'énergie vitale des vivants qu'elle croisait. Les humains autour d'elle, en majorité des familles venus profiter d'un peu de verdure entre deux embouteillages, les végétaux, plus faible et lancinante, ou encore les multiples petites étincelles d'animaux minuscules dans le sol...

Sous ses lunettes noires, ses iris noirs étaient peuplés de multiples étincelles vertes, petites flammèches prouvant que depuis sa partie remportée haut la main, Nécropole avait satisfait sa vorace soif de vie. Le plaisir de son echauffourée avait disparu depuis longtemps, et la mutante dérivait dans ses brumes monotones et apathiques, vide d'émotions un tant soit peu violentes. Sa démarche était impregnée de nonchalance, si glaciale qu'elle en devenait un mépris cinglant de tout ce qui l'entourait. Celui qui la traquait aurait tout aussi bien pu se balader avec un écriteau où serait inscrit le motif de sa présence à Central Park, elle ne l'aurait sans doute pas remarqué. Patiente, Karine attendait la nuit, et donc de plus grandes chances de divertissements. Les défis susceptibles de colorer momentanément et faiblement la grisaille de son monde restaient la seule source de motivation de cet esprit torturé, dans ce jeu dérisoire et absurde qu'était l'existence.

Bref, l'idée d'être recherchée activement était à cent lieues des préoccupations de Karine. Elle heurta accidentellement un jeune homme qui se retourna pour l'invectiver, pour la forme en quelque sorte, et dont les récriminations s'épuisèrent d'elles-même devant la totale absence de réaction de la mutante. Le temps s'égrenait, dépourvu de signification pour elle qui n'avait même plus besoin de dormir, ou de manger de manière régulière. Elle dépassa un vendeur de hot-dogs, puis un autre de barbapapa.

Ce dernier lui arracha un regard fugace et un fremissement des lèvres, mais ce n'était pas par gout pour sa marchandise. Une fillette tirait sur la manche de son père qui se laissait entrainer vers la confiserie rose. La force de vie de cette gamine rayonnait d'une...saveur exceptionelle. Karine fit un geste vers elle qu'elle abandonna presque aussitôt. La lassitude des heures d'ennui précédentes ne se laisseraient pas dissiper avec cette simple gâterie deséspérément aisée à obtenir... Lors de ce sursaut d'attention, Nécropole s'aperçut qu'elle était revenue non loin de l'issue par laquelle elle avait pénétré dans le parc. Un cycle. Un cercle qu'elle avait bouclé et qui aurait tout aussi bien pu ne pas exister... Il y avait suffisamment d'ironie pour qu'elle stoppe quelques instants, comme si elel mettait au défi l'univers de lui prouver qu'il possédait un certain ordre universel, de se manifester à l'occasion de cette illusion d'agencement pour réfuter la définition de chaos sans sens ni but que lui accolait la jeune femme. Les secondes passèrent. Peine perdue.

Elle n'en avait pas espéré, aussi n'en ressentit-elle pas la moindre deception lorsqu'elle reprit ses pérégrinations, depassant un joggeur qui, de l'autre côté du chemin, semblait avoir de grandes peines à retrouver son souffle.

*Petite nature...* se dit-elle avant de replonger dans sa torpeur mentale.

Continuant d’avaler de longues goulées d’air, Friedrich tendait de déceler de nouveau l’odeur de cette jeune fille qu’il pistait depuis à présent près de 2 heures… On ne pouvait pas dire qu’il était fatigué ou même fourbu, mais la démultiplication d’odeurs de nourriture, de jeunes femmes ou d’autres gens rendait la tâche un peu plus compliquée que dans une ruelle déserte où s’entassent quelques poubelles…

Une légère brise souffla, emportant avec elle l’odeur entêtante de la jeune femme blonde qui était passée à à peu près 3 mètres du mutant, mais dont l’odeur était ressentie avec presque autant d’intensité que si elle s’était pendue à son cou. Friedrich se battit ensuite olfactivement parlant avec l’odeur plus qu’alléchante des hot-dogs, des autres jeunes femmes pour ne plus avoir les narines occupées que par deux odeurs bien distinctes : la barbapapa et la piste qu’il remontait depuis un certain temps déjà… D’un regard assez inexpressif, il balaya les environs du regard et finit par identifier deux cibles potentielles…

Quelle pitié que cette odeur habituellement agréable me pourrisse autant la vie…

Une pensée assez édulcorée – du moins pas autant que cette maudite barbapapa ^^ - qui reflétait plutôt clairement la gêne éprouvée par le mutant à cause de toutes les odeurs qui parasitaient son odorat surdéveloppé… Si cette jeune fille avait pu savoir que c’était un loup qui se mettrait à sa recherche, elle n’aurait pas pu trouver meilleure cachette pour tenter de lui échapper…
Une sensation bien connue envahit ensuite Friedrich, et la sensation d’un regard s’appesantissant sur lui l’incita à promener une nouvelle fois son regard autour de lui jusqu’à ce que finalement une silhouette féminine n’attire son attention… Elle portait à peu près les mêmes vêtements que la jeune fille sur la vidéo, et en plus, elle l’observait… La voyant détourner le regard, Friedrich attendit encore quelques secondes avant de bouger, et détala aussi rapide qu’un animal jusque dans les fourrés bordant le chemin de gravillons un peu plus loin… Grimpant avec efficacité dans un arbre, le mutant s’installa confortablement sur une branche qui dominait presque le petit chemin et s’adossa confortablement au tronc, attendant que sa proie – à présent il en était certain – passe en dessous… A cet endroit du parc, il n’y avait pas d’autre possibilité pour elle que de passer sous Friedrich et sa branche ou de rebrousser chemin, sauf si traverser des fourrés et des ronces la tentait (chacun son truc, après tout).

Déballant une barre de céréales qui avait connu de meilleurs jours, le mutant mordit dedans avec délice sans pour autant quitter sa proie des yeux, qui à présent trainait du côté d’un stand de confiseries. Lorsqu’il la vit se remettre en route vers l’endroit où lui se trouvait déjà, la barre de céréales fut de nouveau glissée dans son emballage et posée sur l’épaisse branche ; le mutant aurait bien le temps de la terminer plus tard… Pour l’heure, il avait plus important à régler…

Préférant signaler sa présence et engager la conversation normalement plutôt que de lui tomber dessus comme une grosse brute, Friedrich anticipa sur l’arrivée prochaine de sa proie et prit la parole, d’un air assez détaché…

Une bien belle démonstration de ruse, ce matin… vraiment…

Restait juste à espérer qu'elle serait assez observatrice pour voir qu'il ne s'agissait pas d'un agent fédéral...

Perché sur sa branche en ayant l’air d’être aussi à l’aise dessus que sur un canapé, Friedrich observait la jeune fille s’approcher avec les yeux du prédateur chevronné qu’il était… La proie, justement, s’immobilisa un peu avant de passer sous la branche et le mutant se demanda si une partie du don de cette jeune fille ne consistait pas en la capacité à pouvoir se changer en statue : hormis sa respiration et l’odeur qu’elle dégageait, plus aucun muscle ne semblait s’animer sous sa peau et elle ne bougeait pas d’un pouce, semblant réellement figée sur l’instant… Le sourire du lycanthrope devint plus amusé, et il croisa finalement son regard – enfin, ses lunettes noires - lorsqu’elle leva le nez vers lui, un sourire somme toute assez pensif sur le visage qui contrastait quelque peu avec la situation : en temps normalement, toute jeune femme sensée abordée par un inconnu dans une situation aussi bizarre que celle-ci aurait passé son chemin, mais visiblement, elle semblait bien décidée à savoir ce que Friedrich fabriquait là – ce qui dans le fond arrangeait bien le mutant…

La jeune fille finit par ôter ses lunettes noires avec une lenteur assez déconcertante, et Friedrich ne tarda pas à apercevoir ses yeux aux éclats verts assez remarquables qui parsemaient ses pupilles noires… Les rangeant dans la poche de son manteau, elle finit par lui répondre d’une voix au moins aussi étonnante que l’éclat de ses yeux qu’elle était « ravie » que le petit spectacle du matin l’air amusé, avant de lui demander si cela ne l’embête pas qu’elle s’installe plus confortablement pour qu’ils puissent papoter…

Absolument aucun problème…

Egal à lui-même, comme habituellement : à croire qu’il en faudrait beaucoup plus que ça pour que le lycanthrope ne soit choqué de l’attitude de la jeune fille…
Observant autour d’elle un peu à la manière d’un fugitif souhaitant assurer ses arrières, la jeune fille finit par bondir avec efficacité jusqu’à atterrir sur la branche occupée par Friedrich. S’installant elle aussi de manière à ne pas faire de mauvaise chute, elle laissa glisser son regard sur lui sans doute pour éventuellement déceler la présence d’une arme ou d’un quelconque objet susceptible de lui faire du mal, et Friedrich lui adressa un léger sourire avant d’écarter ses bras de son corps, plaçant ses mains doigts écartés de part et d’autre de son visage, indiquant ainsi qu’il n’était pas armé et qu’il ne lui voulait pas de mal… Le mutant ne bougea pas, se contentant également de l’observer pendant quelques secondes, la détaillant rapidement en remarquant la légère teinte bleuâtre de sa peau, avant de plonger son regard de chien fou dans celui iridescent de la jeune fille…
Son examen terminé, il reprit la barre de céréales déposée sur la branche en prévision d’une éventuelle course-poursuite pour rattraper sa proie, et la re-déballa avant de mordre dedans, observant la jeune fille s’allumer une cigarette. Ne souhaitant pas s’attirer les mauvaises grâces de la demoiselle, Friedrich tâcha d’ignorer la puanteur qui s’échappait à quelques centimètres à peine de ses narines… Plissant le nez après quelques minutes pour peut-être échapper à cette odeur infâme, le mutant concentra son attention sur les paroles de la jeune fille, qui avoua être intriguée par la manière dont il l’avait retrouvée… Ah, justement !

Rien de bien compliqué, demoiselle… Tout comme toi, je suis doté de certaines capacités…

Son regard loucha de manière assez inquiétante sur la cigarette qui demeurait entre les doigts de Nécropole. Le mutant se reprit et fixa de nouveau son interlocutrice dans les yeux sans se montrer spécialement gêné par les éclats verts un peu éteints qui y dansaient…

… et il se trouve que certains détails m’ont aidé à remonter ta piste… Si tu souhaites connaître la suite de l’histoire en revanche, je crains qu’il ne faille… que tu sois obligée de… balancer ce truc puant !

La fin de phrase s’était imposée à son esprit de manière assez chaotique, et le mutant finit par esquisser un sourire assez amusé, parce qu’il s’amusait lui-même de ce que son instinct pouvait le pousser à dire ou à faire dans certaines circonstances… Mordant une nouvelle fois dans sa barre de céréales, le mutant en inspira l’odeur de cacahuète mêlé de chocolat pour occulter l’espace de quelques microsecondes l’odeur infâme de tabac, de goudrons et d’autres trucs toxiques du même acabit…

La jeune fille enchaîna ensuite en déclarant qu’elle souhaitait également savoir ce qui avait pu pousser Friedrich à la pister de la sorte à travers toute la ville, et le mutant haussa un sourcil lorsqu’elle expliqua qu’il aurait pu tirer davantage d’elle en la dénonçant aux fédéraux pour une bonne somme…

L’argent ne m’intéresse pas… enfin si, mais pas contre une vie… Mauvaise pioche pour mes motivations, donc…

Son évasion d’Alcatraz étant plutôt récente, de nombreuses démarches restaient encore à effectuer pour d’une part le réhabiliter – parce qu’il n’avait pas commis le meurtre dont on l’avait accusé – et d’autre part remettre la main sur son appartement de la 5ème avenue et son argent durement gagné en tant qu’avocat du barreau de New York…
Friedrich tiqua sur la fin de la phrase de son interlocutrice, et plus particulièrement sur l’expression « partenaires de jeu »…

Tes partenaires de jeu ne m’ont pas l’air d’avoir été d’une compétence exceptionnelle si tu te tiens aujourd’hui devant moi et sans – il la détailla une nouvelle fois du regard – accroc…

En effet, elle ne semblait ni être blessée, ni être diminuée de quelque manière que ce soit. Le regard du mutant plongea de nouveau dans celui de lui jeune fille lorsqu’il la vit passer sa langue sur ses lèvres de manière assez familière pour le loup qu’il était… L’instinct du mutant l’avertit de se méfier, de même que l’impression désagréable qui lui parcourait l’échine alors qu’il demeurait adossé contre le gros tronc de l’arbre centenaire…