Non vraiment ce n'est pas une bonne idée... Tu le sais non ? Tu le ressent au très fond de toi, cette sensation d'inutilité... Ce n'est pas un contrôle, c'est un besoin vital... Pourquoi tirer avec tant de force sur ta cigarette ? Tu as beau essayer de te rassurer, tu ne fais que t'enfoncer dans tes mensonges. Je sais ce qu'il te faut vraiment... La chaleur d'un corps contre le tien. La pâleur d'une peau, le souffle rare qui se niche au creux de ta nuque, cette sensation de plénitude totale, de silence et d'apaisement – Tais toi ! Tais toi ! Je peux y arriver, tu ne gagneras pas, pas cette fois ! – Laisse toi aller, juste cette fois, rien qu'une fois, tout ira mieux ensuite... Le silence se fait, mais il n'est pas question de calme. L'esprit de Nathanaël n'est jamais calme, et c'est bien cela le problème... Trop longtemps maintenant qu'il n'a pas entendu le silence. Son errance ne fait que commencer dans la nuit noire. Mais depuis combien de temps erre-t-il de la sorte ?

Tout commença ce matin là. Un réveil plutôt difficile, de ceux qui annonce une journée toute aussi tendue. Pourtant il se doit de faire comme si. Pas pour sa sœur, non elle elle est habituée à sa mauvaise humeur, mais c'est pour sa fille, arrivée depuis six mois, pour qui il fait attention. Prenant sur lui, il la réveilla en douceur, la pris entre ses bras pour l'amener déjeuner et l'installa. La journée s'écoula normalement, douche, habillage, école pour elle, boulot pour lui, petites annonces pour sa sœur. Sa journée passa donc « comme d'habitude » lentement, son regard s'était aventurée sur quelques femmes, il avait flirté avec certaines. Mais une sensation de malaise finit par le gagner, sauf que cette fois il ne resterait pas avec... En effet le soir même il se rendait chez sa psychiatre... Lui qui pensait ne faire que parler... Cette fois ce fut rater... Pire encore, elle lui proposa un « exercice » – C'est là que je commence à rire n'est-ce pas ? – il devait se rendre dans un lieu, peu importait lequel, et se lier d'amitié avec une femme. Il n'était pas pressé par le temps, seul le résultat comptait. Cette femme ne devait pas être une amante, une maîtresse d'une nuit, elle devait belle et bien être qu'une « simple » amie. Nathanaël se souvient avoir gardé le silence et avoir laissé ses doigts glisser le long de son visage, impassible, silencieux. Il repartit tout aussi silencieux, saluant simplement le Docteur Philipps.

Voilà où il en est. Cette idée en tête le hante, il ne s'en sent pas capable. Lier amitié avec une femme ? Créature désirable et désirée, drogue douce de ce cœur qui bat, drogue dure pour un esprit qui ne veut que le silence. A peine un pied dehors et le bruit l'agresse, ce mélange de voix l'use et envahi son esprit tel un flot qu'il est, ce soir là, incapable d'arrêter. Et puis il y a toujours cette voix en lui, qui le rappelle à l'ordre... Non vraiment tu ne peux pas... Tu n'y arriveras pas... Mauvaise volonté ? Probablement oui, mais le fait est là, Nathanaël a passé tant de temps avec ce passager noir, tant de temps à se confondre dans d'autres corps, à rechercher, seul, ces même sensation, qu'il a l'impression que ce simple « exercice » est plus un Everest à gravir que quelque chose de réalisable... Il erre alors, veut oublier cette séance, cette soirée, tout oublier...

Ses pas sont lents, lourds, les cigarettes s'enchaînent et défilent entre ses doigts. Il appelle chez lui, prévient sa sœur qu'il ne va pas rentrer tout de suite, lui demande de s'occuper de Salomée. Cette dernière veut lui parler, ils échangent quelques mots, caché par le téléphone, l'illusion est parfaite. Finalement il raccroche... Ses pas ? Ils se sont stoppé devant un endroit, le Pandora's Box – Tu vois ? Tu ne sais pas résister, je t'avais prévenu... Tu ne peux pas lutter, tu reviens toujours à ces mêmes endroits. Une parodie de famille ne changera rien... Et en effet il sait très bien ce qu'il se passera si il entre là. Pourtant... Pourtant il entre bel et bien, s'installe près du bar. Assis droit, calme, son regard balaye la salle du regard. Il ne sait plus vraiment quoi faire, quoi dire. Entre envie de lutter, et fatigue, son esprit lutte... Laisse toi aller, tu verras, tout ira bien....

Et sinon, il peut aussi éventuellement aller se faire foutre…

Les lèvres pincées en une moue désapprobatrice, le visage neutre soutenu par l’une de ses mains alors que les doigts de l’autre glissaient distraitement le long de l’accoudoir de son fauteuil en cuir rouge pompier, Sélène n’appréciait pas particulièrement ce qu’elle voyait. La tentation d’allumer une cigarette était grande, mais la jeune femme fit son possible pour ne pas évacuer son exaspération dans quelque chose qui au final n’avait jamais été plus qu’un accessoire pour elle mais qui avait tendance à lui permettre de se calmer en de rares circonstances. Mais fort heureusement, Sélène avait atteint un âge où il n’était plus question que prendre le premier objet venu pour le balancer à la tronche du premier fournisseur venu. Dans le cas contraire, elle aurait probablement fait un carnage…

Installé près d’elle dans un fauteuil similaire, John – son associé – laissait aller son regard de la jeune femme au fournisseur en essayant de déterminer lequel des deux craquerait avant l’autre. Ce fut la voix du fournisseur qui résonna en premier dans la salle déserte en pleine après-midi, et Sélène battit des cils avec nonchalance avant de cesser de soutenir sa tête, se redressant avec cet air impérial qu’elle affectait souvent, et parfois même s’en rendre compte :

Avez-vous eu le temps de réfléchir à ma proposition ? Je n’ai pas eu de retour de votre part, et…
Oui.

Sa réponse avait été nette, peut-être un peu cinglante dans l’intonation, mais il pouvait déjà s’estimer heureux que la jeune femme consente à lui adresser la parole ou à le recevoir en rendez-vous. John essaya de temporiser comme il le pouvait, mais Sélène coupa court à toute tentative de négociation à l’amiable :

Nous allons nous adresser à quelqu’un d’autre. Vous travaillez trop lentement, et cette lenteur se paie au détriment de la réputation de notre établissement… - L’homme essaya de reprendre la parole. – Nous avons déjà notre décision, vous perdriez votre temps en essayant de nous faire changer d'avis...

L’homme rapetissa dans son fauteuil, semblant ainsi oublier en quelques secondes toutes les techniques commerciales qu’il devait sans doute connaître par cœur. Le sourire de Sélène s’étira avec politesse avant qu’elle ne se lève, signifiant ainsi la fin de l’entretien tout en tendant sa main fine en direction de son interlocuteur :

Au revoir, M. Laurence.
Au… au revoir, mademoiselle Gallio…

Et sans demander son reste, il quitta le night-club à une vitesse telle qu’il sembla tout à coup monté sur roulettes. Le masque de froideur revêtu par Sélène disparu en une fraction de secondes, et elle se tourna vers John en agitant les mains avant de reprendre la liste des fournisseurs potentiels qui lui avaient été recommandés par d’autres professionnels.

Quatre heures plus tard, et sans avoir eu besoin de s’énerver, une livraison de Vodka rejoignait la réserve du Pandora’s Box bondé de monde. Si Sélène s’était montrée si intransigeante, c’était parce qu’il était inadmissible d’être à cours de vodka un vendredi soir parce qu’un fournisseur avait « oublié » de la livrer. Alors pour ce coup, elle avait commandé en dernière minute pour un prix exorbitant histoire d’assurer les consommations du week-end, mais pour la suite, elle comptait bien dégoter un fournisseur correct qui ne la prendrait pas pour une idiote. Installée au comptoir du bar avec quelques documents qui s’entassaient devant elle, Sélène semblait à ce point plongée dans la lecture d’une proposition de contrat tout juste reçue par fax qu’elle ne remarqua ni l’affluence, ni la personne qui s’installa au comptoir près d’elle. Enfin plus exactement, elle remarqua qu’un esprit lisible s’était approché, mais elle n’y prêta pas davantage attention, considérant que s’il lui fallait faire attention à chaque client, elle n’avancerait jamais dans sa paperasse.

Immobile et concentrée, Sélène avait tout de l’étudiante absorbée par ses cours. Ses longues boucles brunes dégageaient son visage et sa nuque et n’étaient retenues que par un crayon de papier positionné habilement. Une légère moue due à la concentration se lisait de temps à autre sur son visage peu avant qu’elle n’apporte quelques annotations sur les documents qu’elle étudiait en donnant l’impression de ne pas être gênée plus que ça par la musique. A plusieurs reprises, elle changea de position sur son tabouret haut et remercia les différentes serveuses qui remplissaient sa tasse de thé chaque fois qu’elle était vide, donnant clairement l’impression qu’elle était une habituée des lieux.

Quelques feuilles chutèrent au passage d’une serveuse à la démarche plus rapide que la normale, et ce fut John – qui en plus d’être son associé était également le barman du club – qui les ramassa pour les lui rendre. Sélène lui adressa un sourire radieux avant de laisser son regard errer autour d’elle… jusqu’à remarquer son voisin à l’air un peu contrit. Mais elle préféra s’abstenir d’engager la conversation pour ne pas perdre de temps, mais aussi pour peut-être éviter de tomber sur un lourdaud qui essaierait de lui faire du rentre-dedans. Son regard se posa de nouveau sur John, qui s’affairait à réaliser un cocktail pour une cliente installée un peu plus loin et qui ne mit guère longtemps à venir se placer devant Nathanael avec ce sourire immense, encourageant et commerçant au possible :

Je vous sers quelque chose ?

En attendant d’obtenir une réponse, il sourit à Sélène et désigna sa paperasse d’un mouvement de menton :

Ca marche ? Tu as trouvé quelque chose qui ferait l’affaire ?
Pas pour l’instant. Faudrait vraiment me dire avec qui je vais devoir coucher pour obtenir quelques malheureuses caisses de vodka !?

Le rire du barman fut étouffé par une volée de décibels en provenance de la sono. Avec le temps, il avait appris à ne pas afficher une mine choquée chaque fois que Sélène balançait ce genre de remarques sans se soucier de qui pourrait les entendre et s'en offusquer...

Regarde la, ses cheveux bruns, cette silhouette gracile, fine... Arrête son regard sur cette nuque, imagine un instant, tes lèvres sur sa nuque... Je suis sûr que tu peux percevoir le moindre battement... Y poser tes lèvres, sentir son souffle... Ne détourne pas ton regard... Laisse toi aller... Après tout, ce n'est qu'une « étudiante » que perdra-t-elle ? Que risque tu ? Tais toi à la fin! Non je ne me tairais pas alors qu'elle est là, qu'il suffit que tu ramasses ses feuilles... Trop tard, un homme s'est déjà penché, la jeune femme esquissa un large sourire, qui soudainement fit rayonner son visage. Le regard de Nathanaël se posa sur elle, tandis que ses doigts frôlaient son manteau, puis sa tempe comme pour faire passer une migraine. Il sentit un regard sur lui – c'est elle... Elle te regarde... Pourquoi t'entêter... – de nouveau ce geste, sa main finit même par glisser sur sa nuque. Un soupire échappa de ses lèvres, avant qu'il ne soit sorti de ses pensées par une voix. Son regard n'eût aucun mal à reconnaître le visage de l'homme qui avait, quelques secondes auparavant, ramassé les feuilles de la jeune femme. Un sourire faible s'esquissa sur les lèvres de Nathanaël qui souffla alors :

«_ Un Whisky si possible merci... »

Le temps d'une réponse que la voix de la jeune femme s'éleva. Elle n'est pas une élève... Probablement une associée, une responsable des stocks... La gérante ? Peu importe au fond non ? C'est encore mieux qu'une étudiante non... Juste elle et toi, rien de plus... Tais toi ! Quelques mots. Un sourire se dessine sur les lèvres de Nathanaël, avant qu'il ne détourne le regard vers l'ampli qui venait de « cracher » le son. Un bruit qui avait surpassé les paroles prononcées autour de lui, mais aussi la moindre pensées qui aurait pu traverser son esprit. Un vendeur de vodka, voilà ce qu'elle cherchait... Un coup du sort arrive parfois, ce genre de chose que l'on ne peut expliquer...
Expliquons les choses dans le bon ordre, calmement. Cela remonte à trois jours environ. Nathanaël reçu dans son bureau un homme, une cinquantaine d'années, légèrement dégarni. Il venait acheter une maison, expliqua qu'il avait de l'argent. Nathanaël lu dans son dossier de demande qu'il était fournisseur, et compris rapidement ce qu'il fournissait lorsqu'il reçu 2 jours après une bouteille de vodka en remerciement de la maison tout juste achetée.

Nathanaël fouilla un instant dans sa poche et ressorti la carte qui était agrafé au mot de remerciement. Voilà qui est une bonne approche... Glisse lui cette carte, parle avec elle, et laisse le reste aller tout seul.... Il fallut de longue minutes à Nathanaël pour se décider, son verre une fois posée devant lui il le fixa, fit de nouveau tourner la carte entre ses doigts avant de se décider à se relever. Après tout que risquait il ? Sa main gauche se serra sur son verre, tandis que la droite se refermait sur la carte. Là il pris la direction de la jeune et s'installa non loin d'elle. Son verre posé sur le bar une nouvelle fois il posa ensuite la carte et la glissa vers elle.

«_ Je ne sais pas combien il demande, mais je sais que sa vodka est excellente, et je... Je n'ai pas pu m'empêcher d'entendre ce que vous disiez... Si cela peut vous aider... »

Un fin sourire se dessina de nouveau sur les lèvres de Nathanaël, et son regard se fixa sur ceux de la jeune femme. Cette sensation tu te souviens ? Le silence absolu... Il n'y a rien, tu entends ? Le silence... Tu sais que tu n'entendras rien... Tu te souviens... Finalement il se tourna vers le bar repris son verre en soufflant.

«_ Je ne vous dérange pas plus longtemps, vous devez avoir du travail ^^ »
Inutile de passer pour un de ces hommes qui ne lâcherait pas la demoiselle avant d'avoir on ne sait quoi. Lorsque tu fais ça on dirait que tu joue au poker... Est-ce du bluff Nathanaël ?

Absolument rien dans la tenue de Sélène ne laissait entendre qu’elle était une chef d’entreprise redoutablement efficace dans deux secteurs d’activité bien différents. Rien, si ce n’était une malheureuse phrase lancée comme une plaisanterie, mais qui pourtant en disait long sur la place qu’elle occupait au Pandora’s Box… Et la plupart du temps ça lui convenait très bien ainsi parce qu’elle n’avait pas besoin de regarder ses employés de haut ou de porter un tailleur hors de prix pour se sentir réellement propriétaire des lieux. Bien au contraire, la jeune femme arpentait souvent l’endroit vêtue le plus normalement du monde, tantôt assise comme une simple cliente, tantôt à s’agiter derrière le bar pour remplacer une serveuse malade. Cette vie lui plaisait au moins autant que toutes les précédentes et Sélène se prouvait d’ailleurs à elle-même que sa tendance à prendre pas mal de choses par-dessus la jambe s’était suffisamment estompée pour qu’elle s’implique dans quelque chose qui soit à la fois durable et qui concerne également d’autres personnes… Et quoi de mieux qu’une entreprise pour cela ?

De son côté, John fut ravi d’entendre ce client commander poliment un whisky. Ce n’était pas spécialement qu’il craignait le contact de la clientèle, mais le jeune homme avait souvent du mal à supporter la manière peu appropriée dont se comportaient certaines personnes dès qu’elles avaient quitté leur boulot ou leur foyer, un peu comme si une fois sorties des lieux où l’observation de certains codes était obligatoire pour préserver toute forme de vie sociale, elles n’étaient plus que des bêtes guidées par leurs instincts. Et lorsqu’on était barman, il était assez courant de rencontrer ce genre de personnes qui, après avoir réfréné leurs instincts et fait preuve de politesse toute la sainte journée, en arrivaient à boire comme des trous et à mépriser l’insignifiant barman qui les servait.

John ne mit guère longtemps à attraper un verre propre et la bouteille de whisky dont il connaissait l’emplacement par cœur, et le verre fut rapidement servi et posé sur le comptoir à mi-chemin entre lui et Nathanael comme pour indiquer de manière subtile qu’un billet était attendu en règlement de la consommation fraîchement servie. Son regard clair se posa de nouveau sur Sélène, qui s’était replongée dans l’examen des divers devis reçus dans l’après-midi, et le jeune homme se surprit à la fixer avec une certaine insistance en se demandant si elle trouverait une solution pour les semaines à venir. Lui-même aurait sans doute pu l’aider un peu, mais le point fort de John ne résidait pas dans les relations avec les fournisseurs qui cherchaient souvent à profiter de sa trop grande gentillesse…

Le regard du barman s’attarda ensuite quelques secondes sur Nathanael, remarquant son sourire charmant bien que difficile à décrypter. L’instant d’après, le voilà qui fouillait dans une poche en ayant l’air d’y chercher quelque chose, et bien avant que John ne puisse déterminer ce dont il s’agissait, un client l’interpella pour commander une consommation pour lui et trois de ses amis.

Du mouvement tout près d’elle incita Sélène à prêter davantage attention à l’environnement, et assez rapidement une présence plus proche se fit sentir un tout petit peu avant que quelque chose de la taille d’une carte de visite n’apparaisse dans son champ de vision. La réaction de la jeune femme ne se fit guère attendre longtemps car la curiosité l’incita à tendre le bras jusqu’au petit rectangle cartonné pour l’attraper entre le pouce et l’index et y jeter un coup d’œil. Ce fournisseur ne figurait pas dans la liste de ceux qu’elle avait déjà contactés, ce qui – même en ignorant les tarifs qu’il pratiquait – était une bonne nouvelle. Le regard sombre de Sélène se posa ensuite avec tout autant de curiosité sur son bienfaiteur inconnu, et ses lèvres s’étirèrent en un sourire poli :

Je manquais justement de références valables pour remplacer un fournisseur indélicat. Merci beaucoup.

La sincérité de Sélène était une chose dont on ne pouvait douter même lorsqu’elle était en train de mentir dans les grandes largeurs, parce que le temps lui avait appris à manier les mots et la vérité selon son bon vouloir, la travestissant ou la bouleversant selon ses besoins ou selon les effets qu’elle désirait produire. A ce moment précis il en était de même, son visage ne laissait transparaître qu’un certain étonnement et de la gratitude. Quant à savoir si c’était réellement ce que cette action lui inspirait, c’était volontairement difficile à déterminer sans la connaître…

L’inconnu finit par préciser qu’il avait entendu ce qu’elle disait et qu’il espérait que cela pourrait l’aider. Et rapidement, il reprit sa position initiale face au comptoir du bar et à son verre, ce qui eût le don d’intriguer Sélène : l’Homme n’était-il pas amateur de remerciements suite à ce genre d’actions ? Etait-ce une nouvelle manière d’engager la conversation sans envoyer de signaux contradictoires à la personne abordée ? Quelques secondes passèrent avant qu’il ne reprenne la parole en même temps que son verre, précisant qu’il ne la dérangerait pas plus longtemps parce qu’il la devinait occupée… Comment pourrait-il en être autrement si on considérait les documents qui s’étalaient sur le comptoir devant elle ? Sélène rassembla quelques feuilles qui menacèrent de s’envoler une nouvelle fois lorsque son employée passa en vitesse avec un plateau chargé de pintes de bières, et un sourire malicieux s’inscrivit en bonne place sur ses traits avant qu’elle ne pivote sur son tabouret pour se tourner vers son interlocuteur tout en croisant ses jambes dans l’autre sens avec une certaine lenteur. Ses yeux sombres détaillèrent l’inconnu du regard, remarquant ses traits anguleux et cette allure assez particulière, toute en retenue et sans nulle trace de ce que Sélène méprisait au plus haut point chez un grand nombre d’hommes.

Donc vous êtes une sorte de génie, en fait. – Son regard pétilla d’amusement de manière bien perceptible. – Il ne me reste plus qu’à souhaiter autre chose, et avec un peu de chance, je serais exaucée…

Sélène n’en revenait toujours pas de l’apparition de cette carte professionnelle sur le comptoir quelques secondes à peine après qu’elle ait formulé son besoin d’un nouveau fournisseur.

Il n'avait pas fallut longtemps à Nathanaël pour voir un verre de whisky se poser dans son champs de vision – suffisamment près pour qu'il puisse le prendre, suffisamment loin pour que le message que voulait délivrer John soit compris du mutant – sa main gauche se glissa donc dans sa poche de veste et il en sorti un billet qu'il glissa discrètement vers le barman en soufflant :

«_ Gardez la monnaie »

Cela semblait naturel pour Nathanaël, après tout il devait en entendre et en baver suffisamment pour que ce geste ne soit pas déplacé, en tout cas cela semblait naturel pour le mutant... Mais son attention fut bien vite reporté sur une toute autre personne... Tu ne peux pas le nier, le destin fait parfois bien les choses n'est-ce pas ? Elle est là n'attend qu'un geste, qu'une chose... Et tu es là, tu passerais à côté d'elle ? L'esprit de Nathanaël avait lutté contre son esprit, refusant de se mêler de cette histoire, mais à croire que ce passager noir restait le plus fort... Il finit par se relever et s'installa près de la jeune femme glissant la carte vers elle. Regarde ce sourire, ces lèvres fines, ces yeux noirs qui t'observent... Prend le temps... Discrètement, imagine tes lèvres se poser sur les siennes, imagine ta main se glisser sur sa joue fine, vers sa nuque...
La jeune femme répondit avec politesse et Nathanaël esquissa à son tour un sourire poli, sans être engageant – complète contradiction avec le tumulte de son esprit – et comme pour combattre encore ce passager noir, il reprit simplement sa place. Mais involontairement, Sélène engagea de nouveau une véritable lutte dans l'esprit de Nathanaël. Elle ramassa ses feuilles et se tourna vers lui, et alors que ses jambes se croisaient avec grâce. La main gauche de Nathanaël se glissa le long de son visage, tentant au fond de mettre de l'ordre dans ses idées...

Combien de temps crois tu pouvoir résister Nathanaël ? Toi et moi on sait, on sait que ta lutte est vaine...Tu ne gagneras pas, pas cette fois! Allons arrête, tu ne sens pas... Ton cœur qui s'accélère, tes mains qui tremblent, tu en connais la cause n'est-ce pas... Ses jambes qui se croisent, regarde... La lenteur comme un appel, ne sens tu pas son souffle lent, ce regard si sûr... Elle est là, elle te fixe, te regarde, tente de te décrypter, elle essaye de savoir qui tu es.... Le regarde de Nathanaël croisa un instant celui de la jeune femme, sa voix raisonne enfin plus clairement aux oreilles de Nathanaël, douce. La lutte interne qui tend littéralement le corps de Nathanaël semble s'apaiser avec ces quelques mots, la mâchoire jusque là serrée du mutant se décrispe et son corps se tourne légèrement vers elle. Le combat est perdu Nathanaël, ton esprit a cédé.... Un sourire plus naturel, plus doux aussi, se dessine sur les lèvres de Nathanaël, tandis qu'un rire les franchit alors qu'elle lui demande si il est un génie. Sa main droite reste sur son verre, mais son corps se tourne davantage vers elle.

«_ Si tel est le cas vous avez encore deux vœux à exaucer... Vous pouvez essayer, mais je ne vous promet pas le résultat... »

Il est vrai que comme génie, Nathanaël tenait plus de la chance que du véritable pouvoir.Mais rien ne t'empêche d'essayer n'est-ce pas ? Qui sait ce qu'elle peut souhaiter au fond.... Le mutant avala une gorgée de whisky avant de souffler avec une sincérité quelque peu surprenante, mais aussi naturelle.

«_ Mais pour être honnête j'ai jeuste eu beaucoup de chance. Néanmoins... Quels auraient été vos vœux ? »

Il y avait cela d'étonnant au fond dans l'esprit de Nathanaël. Même si ce dernier avait céder à cette envie, à ce passager noir, il n'en était pas moins un homme courtois, poli, et patient. Comme si au fond cette phase de séduction était peut-être même plus important que le résultat lui même.

John conserva son regard posa sur Nathanael pendant que ce dernier sortait de l’une de ses poches pour en sortir un billet qui, rapidement, arriva dans sa direction accompagné d’un sourire. C’était le genre de chose toute bête que le barman appréciait, parce que les gens se contentaient généralement de formuler leur commande et d’abouler la monnaie avant de repartir directement à leur table ou sur la piste de danse. Les rapports avec la clientèle se résumaient à ceux-là dans la plupart des cas, et John apprécia ce simple sourire au moins autant que la phrase qui l’accompagna. Un sourire étira ses lèvres alors qu’il poussait davantage le verre d’alcool vers Nathanael :

Merci.

On ne pouvait pas dire que John était malheureux à son poste de barman, et bien au contraire il adorait cette facette du métier. Être co-gérant avec Sélène était déjà un travail à temps plein, ne serait-ce que parce que le Pandora’s Box rencontrait un succès auquel John ne s’était pas du tout attendu. Servir les clients, c’était un peu un moyen de décompresser et de se dire que ce qu’il faisait – servir un verre ou une pinte – n’était pas susceptible de faire couler l’entreprise. Un gérant se répétait le contraire avant chaque prise de décision capitale, et même si Sélène avait autant l’habitude que lui de gérer les choses importantes, John était incapable de ne pas stresser ou de ne pas devenir insupportable dans ses périodes de doute… Alors servir les clients, c’était aussi à sa convenance et c’était sans conséquences, aussi bien sur la santé financière de l’établissement que sur son ulcère.

Un sourire poli avait étiré les lèvres de ce mystérieux bienfaiteur après que Sélène l’ait remercié pour la carte déposée sur le comptoir. La faisant tourner distraitement entre ses doigts agiles de voleuse, la mutante continuait de l’observer avec une curiosité assez perceptible, ne comprenant pas pourquoi son interlocuteur avait l’air si tendu et passait à intervalles réguliers une main sur son visage… Sans doute avait-il un métier prenant, du genre de ceux que l’on allait exercer à reculons le matin, et dont on s’en allait en courant le soir. Ou peut-être était-ce autre chose encore. Quelque chose que Sélène ne pouvait imaginer sans une incursion préalable dans son esprit… Mais elle avait passé l’âge de ce genre de facilités, et avait pris goût au fait d’obtenir les réponses à ses questions en étudiant la physionomie des gens et en les faisant parler subtilement plutôt qu’en lisant quelques pensées dans une tête bien trop accessible.

Lorsque Sélène reprit la parole, elle s’était tournée vers lui et avait croisé autrement ses jambes. Son regard sombre croisa celui de Nathanael, et la mutante risqua un demi-sourire traduisant son amusement vis-à-vis de la situation. Ce qu’elle ne comprenait pas et lui échappait au sujet de Nathanael était une chose à laquelle elle n’avait encore jamais été confrontée, ce qui expliquait qu’elle ait de la difficulté à le cerner rapidement. Il aurait pu être un homme timide et lui tendre la carte avant de s’enfuir en courant, ou un dragueur invétéré, qui lui aurait tendu la carte en lui faisant du rentre-dedans de manière parfaitement évidente… mais là, rien dans son attitude ne faisait référence à quelque chose de déjà vu.

L’inconnu finit par sourire de manière un peu moins crispée avant de finalement rire suite à la remarque de Sélène concernant l’éventualité qu’il soit un génie capable d’exaucer des vœux. Se tournant cette fois davantage vers la mutante, il expliqua que si c’était vraiment ce qu’il était, il lui restait encore trois vœux à formuler mais qu’il ne garantissait pas pour autant le résultat final. Le sourire de Sélène s’élargit et sa main gauche délaissa la carte qu’elle déposa sur le comptoir devant elle avant que ses doigts ne pianotent brièvement sur le comptoir.

Si vous n’avez rien d’un génie, pourquoi alors exposer les règles inhérentes à la formulation de vœux ?

Sélène s’amusait clairement de la situation, et cela devait probablement se voir. C’était un peu comme si entretenir la conversation avec son mystérieux bienfaiteur était également le moyen de l’observer à la dérobée et de comprendre ce qui rendait cet homme si particulier. Après une gorgée de whisky, il poursuivit en expliquant qu’il avait « juste » eu de la chance. Sélène haussa un sourcil avant de reprendre la parole :

Beaucoup de chance… Laissez-moi deviner : vous avez croisé un type sympathique dans la rue qui vous a donné sa carte ?

Il lui demanda finalement quels auraient été ses vœux, et Sélène prit quelques secondes pour réfléchir. Qu’est-ce qui était à régler en urgence et qui monopoliserait tout son temps si elle s’en occupait elle-même ? Le problème du fournisseur de vodka était déjà partiellement résolu, alors que restait-il de véritablement urgent ? Posant son regard perçant sur Nathanael, Sélène reprit la parole avec toujours cet amusement caractéristique :

Je vais prendre le parti de les conserver pour l’instant. Qui sait, ils pourraient peut-être me servir dans quelques heures… - Un sourire ponctua son discours. – Si les rôles avaient été inversés, à quoi auriez-vous employé ces vœux ? Qui sait, ça pourrait peut-être me donner quelques idées…

Comme s’il lui fallait une inspiration extérieure pour trouver des idées ! Sélène se redressa légèrement sur son tabouret, posant un coude sur le comptoir pour se pencher très légèrement vers Nathanael :

Sinon, vous distribuez souvent des cartes de visite dans le coin ? - La tournure de la phrase était volontairement étrange mais traduisait en même temps une envie d’en apprendre davantage. Sélène tendit finalement sa main droite vers Nathanael, affichant un sourire moins taquin. – Sélène.