Il m'en avait fallu du temps. Plus de six mois d'intenses recherches depuis que j'avais compris que Hella, la fille de mon frère, n'avait pas été adoptée comme il le pensait. D'après toutes les informations que j'avais finies par récupérer, c'était même la pire adoption que je puisse connaître. Ce qui m'avait d'autant plus motivé pour la retrouver. J'avais parcouru la moitié du pays, je ne pouvais plus reculer, maintenant. Même s'il pleuvait des cordes, que j'étais mort de froid et trempé sous mon t-shirt et que mes doigts tremblaient sur cette photo que je tenais dans mes mains. Très sincèrement, c'était possible d'en arriver là ?

Inspirant profondément, Ian se décida enfin à gravir les quelques marches de l'immeuble. Une fois à l'abris, il vérifia le nom sur la boîte aux lettres et, le coeur battant, il gravit les escaliers d'un pas lent. Il pouvait encore faire demi tour, il pouvait encore renoncer. Il déglutit une fois à l'étage alors qu'il posait son pied sur le tapis de couloir. Il avait tant de mal à détacher ses yeux de cette photo. Il l'avait obtenue par un ami policier, en souvenir du bon vieux temps. Il lui était très difficile d'imaginer que la jeune fille sur cette photo avait déjà vécu presque autant que lui, avec le double de son âge. Il avait de l'affection pour cette fille, pour ce qu'elle avait vécu, pour le courage qu'elle avait montré afin de vivre jusque là. Elle s'était battue, comme son père s'était battu, même s'il ne l'avait pas fait pour elle. Aujourd'hui, il était là, à quelques pas de sa porte et si ce n'était pas elle, alors il renoncerait, c'en serait fini. Cette histoire avait commencé à l'obséder depuis qu'il avait pris la route depuis le Dakota pour rentrer.

Il se passa une main dans les cheveux pour les écarter et les sécher quelque peu. Il secoua brièvement la photo et le morceau de papier qui allait avec l'adresse et il leva la main devant la porte. Il serra fortement ses doigts dans son poing, hésitant encore. Tout ce temps passé, Ian était resté éloigné des mutants à cause de leurs agissements et des actions qu'il ne cautionnait pas. Baissant la main et secouant le bras pour faire quelques pas, il se remit à réfléchir à grande vitesse. Cette fille était humaine et probablement de sa famille, elle était de son sang et il ignorait de quoi elle était capable. Elle était forcément dangereuse, comment aurait-elle pu en arriver là sinon ?

Il renifla bruyamment, la main sur la hanche et regarda la fenêtre à l'autre bout du couloir comme s'il pouvait s'en échapper par là. Ian pensait que la guerre l'avait transformé, que l'armée avait fait de lui ce qu'il était. En tant que Capitaine, oui. Mais son frère avait changé tout le reste. Ce qu'il était en train devenir, c'était à cause de son frère. Ian se frotta le front en cherchant du courage. Comment pouvait-on se battre contre des centaines de terroristes qui ne prennent même pas le temps de vous regarder avant de vous descendre, et être terrifié face à une porte close ? Il devait en finir. Secrètement, Ian espérait que cette fille ne soit pas la bonne, qu'il puisse rentrer auprès de sa mère pour lui dire que non, il ne l'avait pas trouvée. Et en même temps... Une légère lueur au fond de lui se demandait...

Doucement, Ian expira pour retrouver son calme et lentement, il revint vers la porte. Il leva la main et d'un coup de poignet, il toqua avant de reculer d'un pas. Un dernier regard sur la photo tremblée... A quelle point était-elle exceptionnelle, douée d'une telle survie, elle forçait l'admiration. Elle le fascinait déjà.

Les choses étaient compliquées ses derniers temps et elle n’avait pas l’impression d’être totalement elle-même mais, ça s’arrangeait. Elle faisait vraiment des efforts pour revenir à ce qu’elle était, pour passer outre les derniers évènements de sa petite vie pas si tranquille que ça. Elle savait qu’elle n’avait pas réussie à reconstruire toutes les barrières qu’elle avait pu monter autour d’elle depuis son enfance mais, elle gardait bon espoir, elle s’en sortirait. Elle avait déjà commencé à reprendre sa vie en main, en retournant suivre ses cours à l’institut, en retournant bosser au commissariat. Elle s’était remise à bouger et avait enfin quitté se canapé qu’elle n’avait pas su abandonner pendant une semaine entière.

Et comme pour prouver cette nouvelle volonté, elle avait passé pas mal de temps, depuis qu’elle était rentrée de l’institut, à faire de ménage dans cet appartement. Un endroit que tout le monde pourrait considérer comme délabré et pas vraiment adapté pour y vivre. Mais c’était chez elle. Enfin, chez eux, avec Phen. Eux, ils trouvaient que c’était un palace. Ok, la plus part des choses présentes étaient de la récup, ce n’était pas rare de trouver des accrochages dans le canapé ou les fauteuils mais, ils y étaient bien. De toute façon, ils n’auraient pas pu se payer autre chose, manque de moyen. Et même changer quelques récipients régulièrement par temps de pluie n’était pas une corvée. Enfin, elle se serait bien passé des fuites qu’elle avait au niveau du toit mais, non, elle s’en foutait, au moins elle en avait un de toit. C’était le plus important.

Elle avait une bassine dans les mains, pour un échange à faire sous une des fuites d’eau, quand on frappa à la porte. Se redressant, elle haussa les sourcils en se demandant qui pouvait bien venir ici. Il fallait rappeler que la dernière personne à être venu, hormis Phen, était Logan qui l’avait enfermée chez elle pour qu’elle réponde à ses questions. Alors, forcément, elle n’aimait pas trop entendre quelqu’un frapper à la porte. C’est une goutte d’eau lui tombant sur le visage qui la fit se secouer. Elle posa sa nouvelle bassine au sol, laissa la pleine à côté et se dirigea vers la porte en essuyant ses mains mouillées sur son jean.

En se dirigeant vers la porte, Hella avait attrapé le balai – sortit un peu plus tôt pour son ménage -, ça n’était pas l’arme la plus menaçante que l’on pouvait avoir mais, c’était mieux que rien, non ? Son balai en main – la brosse vers le haut -, elle ouvrit la porte de l’autre. La porte fut ouverte en grand, histoire de pouvoir se donner une marge de manœuvre si elle devait frapper quelqu’un à coup de balai. Vu de l’extérieur, ça donnait une adolescente, les cheveux attachés trop rapidement avec un tas de mèches rebelles s’échappant de sa coiffure sommaire, dans un jean délavé, un débardeur blanc sous un sweet à fermeture éclair à moitié ouvert et trop grand – d’ailleurs, un côté était assez retombé pour laisser apparaitre une épaule. Et sur le visage de cette adolescente qu’on ne pouvait pas faire plus naturelle, un regard interrogateur.

« Euh… »

Elle s’était attendue à un tas de personne mais sûrement pas à une personne qu’elle n’avait jamais vu de sa vie. Le truc c’est que, du coup, elle ne savait pas si elle devait lui mettre un coup de balai, refermer la porte sans plus tarder ou… Bin, il était trempé alors, peut-être qu’il cherchait quelqu’un et qu’il s’était simplement trompé d’appartement. D’un air interrogateur, elle était maintenant passée à un air septique.

« Vous cherchez quelqu’un ? »

Il y avait peu de chance que ce soit elle qu’il cherche, sinon elle le connaitrait, non ? Enfin, ça lui paraissait plutôt logique. Elle pencha la tête en dehors de l’appartement, pour s’assurer qu’il n’y avait personne d’autre parce que ça lui semblait suspect quand même. Il y avait écrit son nom à côté de sa porte, du coup, il devait bien savoir qu’il n’était pas chez la personne recherchée. Oui, parce que ça lui paraissait toujours inconcevable que c’était elle la personne recherchée.

Quand la porte s'ouvrit, Ian sursauta légèrement et fixa la jeune femme. Il fut frappé par son regard, chose qu'il n'aurait pas pu imaginer avant avec une simple photo. Il y vit une lueur qui appartenait à son frère. Ou bien était-ce ce qu'il avait voulu y voir ? A bien y regarder, elle avait sensiblement les mêmes lèvres. Ian ne se souvenait plus de la petite amie de son frère à cette époque mais sa mère lui avait donné une photo qu'elle avait gardée, cachée dans une boîte à bijoux. Etrange, comme mère, non ? Ian songea qu'elle avait dû s'opposer à cette adoption, elle qui voulait tellement avoir une fille. Il sursauta à nouveau quand elle parla et il ouvrit la bouche.

– Vous êtes Hella ? Hella Healt, c'est ça ?

Il s'humecta à nouveau les lèvres en essayant de ne pas bégayer alors qu'il cherchait une bonne réplique à dire. Il renifla pour évacuer l'eau qui le gênait dans les narines et il reprit sans l'avoir un instant quittée des yeux.

– Est-ce que vous avez été adoptée dans le Dakota, il y a 18 ans, par hasard ?

Par hasard ?! On n'était pas adoptés par hasard mais Ian était resté sans voix. Elle était là, devant lui, et il était incapable de détacher son regard du sien. Elle semblait si jolie, si innocente, comment était-ce possible que cette fille soit la même qu'on lui avait décrite ? Ian était assez maladroit pour ne pas dire catastrophique. Si on lui demandait, plus tard, comment il avait retrouvé sa nièce, il dirait "Je lui ai demandé si elle avait été adoptée". En soi, il valait mieux être sûr, non ? Pourtant, il secoua vivement la tête pour retrouver ses esprits et eut même un sourire.

– Je ne vous sers pas la main, je suis trempé, je voudrais pas... Mon nom est Ian Marshall et si c'est bien vous alors... Je crois que j'ai remué le pays tout entier pour vous retrouver.

De mieux en mieux. Ian se sentit profondément stupide mais cette situation, il ne savait pas comment la gérer. Il se racla la gorge pour dissimuler ses joues qui s'empourpraient. Comment se passaient ce genre de rencontre, en temps normal ? Un gros câlin ? Des aveux ? On discutait jusqu'à pas d'heures pour retrouver le temps perdu ? Ian était en apnée depuis qu'elle avait ouvert la porte et il avait cette désagréable impression d'être face à un animal sauvage avec son balais. Les mutants, c'était pas vraiment son truc. Disons le franchement, il avait toujours peur d'un choc électrique ou quelque chose de ce genre, alors mouillé comme il était, il n'allait pas tenter le diable.

Ok… Là, elle était en train de le regarder comme si c’était un extraterrestre. Qu’est-ce qu’elle était censé répondre ? Oui, c’était bien elle. Elle connaissait encore son nom mais, enfin, s’il était là pour lui annoncer qu’elle avait gagné au loto, elle voulait bien lui dire que c’était elle. S’il était là pour se la jouer Terminator avec ce fameux « Sarah Connor » et, ploc ploc, je te fou un coup de silencieux dans la tronche alors, non, elle n’avait pas vraiment envie de lui dire que c’était bien elle. Elle n’avait pas répondu mais quand il parla d’une adoption, vu la tête qu’elle faisait, il était clair qu’il s’agissait bien d’elle. Hella ne le regardait pas d’un air interrogateur genre « qu’est-ce que tu racontes » mais plutôt d’un air de lui demander comment il pouvait savoir ça.

Comme à chaque fois qu’elle était nerveuse, Hella se servit de sa main de libre pour remettre une mèche de cheveux derrière son oreille. Et, dans ce même mouvement, elle avait baissé la tête dans un sourire nerveux, tout en réussissant à mordre doucement sa lèvre inférieure. Elle essaya de rassembler ses idées et releva la tête après l’avoir légèrement secoué.

« Vous savez. Et là, elle l’avait désigné d’un mouvement de main. En général, ce genre d’accroche est plutôt flippante. On ne frappe pas à la porte d’une fille, pour lui dire qu’on sait d’où elle vient et encore moins la prévenir qu’on l’a cherché dans tout le pays. Et bienvenue dans le monde d’Hella où la tendance était de sortir les choses un peu comme elle les pensait. Ca a un côté... Euh… Un peu psycho quand même. »

Alors pourquoi ne pas l’attaquer à coup de balai, ou même de refermer la porte brusquement ? Elle n’en savait rien, il avait cette façon de la regarder qu’elle ne comprenait pas. Limite, il avait l’air aussi surpris qu’elle par la situation, ça faisait pas très psychopathe qui avait prévu son coup depuis longtemps. En fait, elle avait une sorte de boule à l’estomac à cause de quelque chose qu’elle refusait d’admettre. Des recherches sur elle, elle en avait faite sans que ça ne donne jamais rien. Difficile d’arriver à quelque chose quand on n’a aucun point de départ. Alors, un type qui débarque, qui sait d’où elle vient… Non, ça devait être autre chose, genre service sociaux ou quelque chose dans ce goût-là. Elle secoua la main, comme pour effacer tout ce qui venait de se passer avant de poser un regard interrogateur sur lui.

« Ok, Ian Marshall… Vous êtes qui ? »

Savoir son nom et son prénom ne lui apportait aucune précision sur qui il était et encore moins ce qu’il venait foutre ici. Du coup, elle ne pensa même pas à le faire entrer, à lui proposer quelque chose de chaud pour se remettre de l’eau qu’il avait sur lui, ou même des vêtements secs.

« Et pourquoi vous me cherchez ? »

Et là, comme une grande fille, Hella venait de prendre son balai des deux mains parce que, il était clair qu’elle était la personne recherchée, qu’elle lui en donnait la confirmation alors il fallait bien qu’elle se prépare à toute tentative de sa part. Après tout, la dernière personne à lui avoir demandé si elle était bien Hella Healt, c’était par Daken qui avait fini par lui passer le pire moment de sa vie avant de l’accrocher inconsciente à l’institut. Tout ça pour passer un message. Sérieux, il y avait vraiment des gens tordus dans ce monde et, elle, bin elle était assez stupide pour croire qu’elle pouvait se défendre avec un balai, face à un type qui faisait limite le double de sa taille.

D’ailleurs, histoire de bien se faire comprendre elle avait regardé l’homme, puis avait désigné son balai d’un regard rapide, avant de hocher la tête. Pfff, trop impressionnante la gamine !

Sa première réaction, Ian en rit. Elle était plutôt amusante dans son genre. Restait à déterminer ce dont elle était capable. Gonflé d'une certaine culture cinématographique, il garda un sourire et leva une main pour signifier qu'il avait la réponse à sa question.

– Je ne suis pas votre père.

Ian était donc maladroit, flippant et carrément à côté de ses pompes. Alors quand elle prit son balais de façon plus menaçante, il recula d'un pas en levant les deux mains devant lui, l'une d'elle contenant la photo et le papier avec l'adresse. Dieu seul savait ce qu'elle pourrait faire avec ! Il secoua la tête ne la dévisageant, lui indiquant de ne pas tirer, qu'il n'était pas armé. Doucement, comme si son balais était radioactif, il se pencha, une main toujours en l'air en guise de défense et posa ses petites affaires au sol. A croire qu'il avait fait ça toute sa vie, se défendre des armes massives comme... des balais à brosse. Puis, il se redressa, sa main dorénavant libre se portant devant lui.

– Je ne suis pas ton père...

Est-ce que c'était le moment où Ian devait lui dire qui il était ? Avait-il seulement des preuves en dehors de ce que son frère lui avait confié avant de mourir ? Vu sa réaction, est-ce qu'elle le croirait ? Il acquiesça brièvement et désigna l'intérieur du menton.

– Est-ce que je peux entrer ? Je suis assez gelé, je dois dire et... Et j'aimerais beaucoup te parler. Je ne suis pas armé. C'est promis. Tu peux me fouiller, si tu veux.

Il leva alors les mains en guise de reddition et lui sourit comme il put pour ne pas montrer de trouble, se monter un peu confiant. C'était comme se retrouver face à quelque chose de totalement inconnu. Son frère, mais en inconnu. Dans un instant hors sujet, il se prit à imaginer sa vie avec une fille. Une fille comme nièce et petite soeur, car dans son esprit, elle incarnerait les trois. Pour la première fois depuis cette maison en ruines de l'Afghanistan, Ian se retrouva face à la réalité. Cette histoire de bébé n'avait jamais été aussi réel. Et si c'était vraiment elle, pour de bon et qu'elle ne le tuait pas sur place avec ses yeux lasers, il n'avait aucune idée de comment cela pourrait finir. Il déglutit en la laissant prendre la décision. Il ne pouvait s'imposer et en même temps, il ne voulait pas lui parler de tout ça comme ça, dans le couloir.

– Je peux t'inviter à boire un café, si tu veux. Ou un chocolat chaud... ce que tu préfères. Je ne te veux aucun mal, c'est promis.

Pas son père… Hella prit appuie sur son balai, et vu ce qui venait de se passer dans son petit crâne, elle était certaine d’avoir virée livide pendant un instant. Ok, il n’était pas son père, jusque-là tout va bien mais, ce que ça signifiait surtout c’est qu’il était bien question de ses origines. Et là, c’est tout son petit monde qui se mit à tanguer dangereusement, ses doigts se crispant sur son balai jusqu’à s’en faire blanchir les jointures. Ne pas faillir. Elle resterait debout, quoiqu’il arrive. Elle posa son regard sur lui, sans savoir si elle devait répondre quelque chose quand son regard tomba sur ce qu’il avait dans les mains. Putain, ce type avait une photo d’elle avec son adresse. Ok… Ok… Ok… respirer, tout allait bien se passer.

Elle ne savait pas s’il était particulière docile pour montrer une si bonne volonté, en s’écartant, levant les mains. Ou si, elle était vraiment effrayante avec son balai. D’ailleurs, elle posa un regard interrogatif à cet objet avant d’en conclure que, honnêtement, c’était la première solution qui était à envisager. Encore, elle aurait eu l’idée de prendre une casserole, elle aurait pu se sentir plus menaçante mais, un balai… Elle regarda le moindre de ses mouvements, son balai en main, quand il se pencha pour poser ce qu’il avait. Et, voilà, ils en étaient à se tutoyer. Ce n’était pas juste, ce type avait une longueur d’avance sur elle. Il devait bien savoir qui il était, elle tout ce qu’elle savait c’est ce qu’il n’était pas. Les choses n’étaient très équilibrées.

Elle secoua une nouvelle fois la tête quand il reprit la parole, passant son regard de l’homme à l’intérieur de son appartement et vice versa. Un coin de son cerveau était en train de lui dire que c’était une très mauvaise idée, pendant que l’autre côté, bien plus curieux, lui demandait de le faire rentrer. Franchement, il était impressionnant par sa carrure mais il n’avait pas l’air méchant. Et à l’idée de le fouiller, elle le détailla, il se peut même que l’idée en même venait de la choquer parce qu’elle retrouva des couleurs un peu écarlate avant de secouer la tête vivement.

« Non, c’est bon… »

Elle restait septique mais, elle devait bien avouer que la curiosité était en train de prendre le dessus. Elle savait que si elle lui demandait de partir, elle se poserait un tas de question et qu’elle finirait par le regretter. Ça doit être pour cette raison qu’elle avait fini par s’écarter de l’entrée pour le laisser passer. Elle attendit qu’il fasse un pas en avant pour désigner ses chaussures du bout des doigts.

« Pas de chaussures dans l’appartement ! »

En fait elle s’en foutait, mais elle avait un besoin de se donner une certaine consistance, comme pour se prouver à elle-même qu’elle avait le contrôle de la situation. Qui, en réalité, lui échappait complètement. Elle lui demanda même de fermer la porte derrière lui, pendant qu’elle entrait dans l’appartement en gardant son balai avec elle. Il aurait à peine passé l’entrée qu’il se retrouverait déjà dans un salon qui avait un coin cuisine, même pas fermer, et ne possédant même pas un bar à l’américaine pour séparer les deux. La cuisine était juste dans un petit renforcement. Fallait juste qu’il évite quelques sceaux d’eau sous les quelques fuites que possédait le salon, alors que, de son côté elle s’était dirigée dans le coin cuisine pour faire chauffer de l’eau.

L’eau mise en route, le balai posé contre l’évier, elle se retourna prenant appui sur ce dernier pour regarder l’homme qui était dans son appartement, en se disant que c’était une bonne chose que ce ne soit pas son père. Si ça avait été le cas, en y réfléchissant bien, elle l’aurait assommé à coup de balai pour lui dire qu’il avait 18 ans de retard. D’un mouvement de menton, elle avait désigné un torchon propre qui trainait sur le dossier du canapé, qu’il pouvait prendre pour s’essuyer s’il voulait. Puis rapidement, son regard fit le tour de la pièce pour voir ce qu’elle laissait en exposition à un illustre inconnu. Rien de particulier, quelques photos d’elle et de Phen ensemble, des dessins accrochés aux murs fait par les soins de son colocataire et ami. Du coup, elle revint poser son regard sur ce fameux Ian.

« Vous… Tu es entré, je fais partir le café, est-ce que je peux savoir pourquoi tu es là ? Elle secoua la tête. Non attend, en fait, je ne suis pas certaine de vouloir savoir. Punaise, tout était en train de s’embrouiller dans sa tête et elle passa les mains sur son visage avant de relever les yeux vers lui et de prendre une inspiration. Je t’écoute »

Le fait qu'elle le juge comme inoffensif sans le fouiller lui alla très bien. Conserver une distance entre elle et lui, pour le moment, c'était parfait. Même si elle lui avait demandé de partir, il aurait insisté. Il était impensable de se dire qu'on avait fait tout ce chemin pour abandonner si rapidement. Quand elle accepta enfin de le laisser entrer, il baissa doucement les mains et ramassa la photo pour la faufiler dans sa poche avant de faire un pas. Il freina sec à son avertissement puis il hocha brièvement la tête en se confondant en excuses. Se déchaussant, il rangea bien méthodiquement ses baskets contre le mur de l'entrée et il s'essuya même les chaussettes en passant la porte. Un bref regard autour de lui et il se posa bon nombre de questions. Qui était elle, quelle avait été sa vie, qu'avait-elle fait pour mériter ça. Et pourquoi il n'avait pas été là pour elle pendant toutes ces années. Parce que oui, s'il avait su qu'il avait une nièce, réfractaire à l'idée d'avoir des gosses ou non, Ian se serait dévoué pour elle.

Il la remercia pour le torchon en interceptant son signe mais il le garda entre ses mains sans se sécher. Il n'osait pas. Il se sentait si intrus, ici ! L'idée de lui dire de venir habiter chez lui traversa son esprit mais quelque chose lui dit que c'était trop tôt. Quand elle reprit la parole, il tourna la tête vers elle, haussant les sourcils pour s'intéresser à elle puis il acquiesça. Il allait s'installer sur le canapé mais il se releva aussitôt. Il ne se sentait pas du tout à l'aise et faire les sous marins pour mieux l'approcher lui sembla non seulement une mauvaise idée mais aussi une tactique impossible.

Alors il cligna des yeux en la dévisageant et prenant son courage à deux mains, il porta lentement ses mains à son cou pour en retirer une longue chaîne avec deux plaques nominatives inscrites. Ian déglutit à nouveau et s'approcha d'elle lentement, jouant avec les tag entre ses doigts.

– Je ne sais pas vraiment... Comment on annonce ce genre de choses alors... Je vais juste le dire, d'accord ?

Il se racla la gorge, semblant avoir du mal à déglutir et au bout d'un long moment, il lui tendit les plaques emmêlées dans la chaîne et releva les yeux sur elle. Il ne faisait pas le fier, même pour dire qu'il n'en menait pas large. Serrant la mâchoire, il s'efforça de garder son regard dans le sien.

– Ton père... M'a demandé de te donner ça. Il m'a dit que... Qu'il était désolé mais qu'il n'avait pas eu le temps de te retrouver pour implorer ton pardon, avant. Alors... Il m'a envoyé, moi. J'ai dû retrouver ta trace et ça n'a pas été facile mais... J'avais fait une promesse. Tiens.. C'est pour toi.

Comment pouvait-il avouer à cette fille qu'il était son oncle ? Et si elle réagissait mal ? Il restait protégé. Peut-être qu'il lui avouerait quand lui même se sentirait prêt à le devenir. On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. Si Hella ne voulait pas de famille, il le saurait très vite et elle ne saurait jamais qui il était pour elle. Ce serait aussi simple pour l'un que pour l'autre, pas vrai ?

Quelle drôle d’idée de prendre un torchon pour ne pas s’en servir ! Cela dit, c’était bien le cadet de ses soucis de savoir pourquoi il l’avait pris pour ne pas l’utiliser. Si Hella n’était pas de plus à l’aise, elle trouva un certain réconfort en comprenant qu’elle n’était pas la seule à être dans ce cas. Il ne savait même pas où se mettre et, elle aurait bien essayé de le mettre plus à l’aise mais elle ne savait pas comment s’y prendre. En plus de ça, elle avait besoin de réponse parce qu’elle avait l’impression de ne plus pouvoir respirer tellement en redoutait ce qu’elle allait entendre.

Elle le regarda approcher, appuyant un peu plus ses mains sur le rebord de l’évier pendant qu’elle se demandait ce qu’il comptait trouver autour de son cou. Des plaques militaires. Elle les détestait pour un tas de raison mais elle n’en avait rien dit, comprenant que, réellement, elle ne respirait plus. Il essayait de lui dire quoi ? Est-ce qu’il avait une idée de toutes les choses qu’elle était en train de s’imaginer ? Un tas de chose qu’elle avait essayé d’oublier parce que ses recherches n’avaient jamais rien donné, qu’elle avait voulu oublier parce que finalement c’était plus douloureux qu’autre chose.

Son père… Putain heureusement qu’elle était accroché à son évier parce que sinon elle en serait tombée. Gardant un appui avec une main, elle tendit l’autre vers lui pour avoir les plaques en main, n’osant même pas jeter un œil dessus pendant qu’il continuait de parler. Elle avait un père. Enfin, tout le monde en avait un mais, le sien était juste… Rien, une simple idée. Il avait fini de parler et Hella détourna ses yeux de lui pour venir se poser sur les plaques. En réalité, elle ne les regardait pas vraiment, son cerveau était juste en train de partir en live.

Elle avait un père – parce que, dans la tournure des choses, elle n’avait pas compris, qu’elle n’en avait plus – qui, en plus d’être désolée – et là, désolée mais ça ne suffisait pas vraiment comme explication – envoyait quelqu’un d’autre pour lui donner des plaques militaires. Sérieusement ?! Elle était partagé entre l’envie de sauter de joie parce qu’elle avait une famille, parce qu’on l’avait cherché. Chose d’assez nouveau pour elle. Et l’envie de hurler, de tout casser en rappelant qu’il s’était passé 18 putains d’année depuis sa naissance et, qu’en plus de ça, il n’était même pas capable de se déplacer lui-même. Elle regarda les plaques, envie d’avoir un nom et là, c’est yeux venaient de s’ouvrir comme des soucoupes en relevant la tête vers l’homme.

« Reese Marshal ? »

Il pensait qu’elle ne ferait pas le lien avec son nom à lui ? il était quoi, un frère, un oncle, autre chose ? Et finalement, elle commença à reprendre en élevant un peu trop la voix. Pas qu’elle avait quelque chose contre lui mais, c’est juste que là, elle ne savait pas comment elle devait réagir et, qu’en fait, elle ne savait même plus qui elle était.

« Il n’a pas eu le temps ? C’est quoi qui entre, dans l’ordre de priorité, avant le fait de retrouver son propre enfant qu’on à laisser au bon vouloir de notre cher institution ? Parce que là, j’ai un peu de mal à saisir. Et puis, pendant qu’on y est, pourquoi il n’est pas venu les donner lui-même ses plaques ? je suis censée en faire quoi ? Les encadrer, me coucher avec le sourire en me disant : Enfin, j’ai une famille ?! »

Ce qui était, en quelque sorte, une vraie question parce qu’elle ne savait vraiment pas ce qu’elle devait faire et comment elle devait réagir. Puis ça l’énervait de sentir ses yeux commencer à la piquer sévèrement parce qu’elle avait envie de hurler jusqu’à en vider toutes l’eau qu’elle avait à l’intérieur de son corps. Elle avait envie de lui hurler dessus et en même temps elle voulait qu’il lui explique. Elle savait bien qu’il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise façon de faire mais, elle savait aussi qu’elle était incapable de savoir comment réagir. Et merde ! Elle ne voulait pas pleurer, elle ne voulait pas être faible, elle ne voulait pas… Et surtout, ne pas perdre l'appui qu'elle avait sur l'évier parce qu'elle savait qu'elle s'écroulerait dans la seconde suivante.

– Personnellement, j'aime les garder autour du cou, c'est...

C'est tout ce que Ian trouva en désignant les plaques d'un index qu'il tournait comme pour désigner le mouvement des chaînes qu'on passe autour de son cou. Mais il n'avait même pas terminé sa phrase. Hella s'était mise à réagir vivement et il ne pouvait que comprendre. Il baissa les yeux sans trop savoir quoi dire et quoi faire. Il laissa passer de longues secondes mais il avait finalement autant besoin de réponses qu'elle. Si les yeux d'Hella piquaient, les siens aussi. Il soupira et se passa une main sur la nuque en regardant autour de lui. Il devait faire preuve de plus de retenue que lui mais en plus de la mort de son frère, cette journée, il la revivait fréquemment la nuit. Il s'en portait pour responsable. Il aurait dû être plus méfiant et son unité n'aurait pas été descendue comme on tire des oies en plein ciel.

Ian se gratta la lèvre du pouce. Il n'avait rien pour se retenir lui. Jusque là, il avait eu les plaques de son frère, mais maintenant... Il avait fait la moitié du chemin et à présent, il avait envie de reculer. Ce n'était pas sa vie et il sentait que tout allait changer sans qu'il n'en ait vraiment le contrôle, ni profondément envie.

– Les choses ne sont pas aussi simples...

Pour faire un enfant et l'abandonner, il fallait être deux, n'est-ce pas ?

– Je crois que... Si les circonstances avaient été différentes, il te les aurait données lui-même sauf qu'on ne fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie.

Ian releva les yeux sur elle en pinçant les lèvres. Il inspira profondément en cherchant tout le courage qu'il pouvait trouver en lui. Pour faire bonne figure, il se racla la gorge et enfourna ses mains dans ses poches.

– Il est mort il y a trois ans, maintenant. Te retrouver, c'était... Ce qu'il voulait sauf que... Tu n'es pas obligée de faire ce qu'il demande, je t'ai un peu retrouvée grâce à ton parcours et tout ce qui t'est arrivé, ce n'est pas juste. Ca n'aurait pas dû. C'était quelqu'un de bien et s'il avait pu se douter un instant que l'adoption ne se passerait pas comme il le pensait, alors il aurait tout fait pour te garder. Il m'a confié que pas un jour il n'avait pas pensé à toi, que pas un jour il n'avait pas imploré ton pardon.

Il acquiesça doucement et baissa à nouveau les yeux et tourna un bibelot pour qu'il soit parallèle au bord de la table. Hella avait parfaitement le droit d'être en colère. En fait, si elle ne l'était pas, il trouverait ça bizarre et Ian quitterait l'appartement car pour lui, cela signifiait alors qu'elle ne voulait pas de lui ici. C'était logique, non ? Si elle était vraiment sa fille, elle devait avoir hérité de son caractère, c'était obligé.

– Je sais que tout ça... Ca ne sert pas à grand chose et que ça ne changera pas ta vie, c'est trop tard. Mais j'aurais au moins tenu ma promesse et puis... Enfin voilà, c'est tout.

Maladroit et mal à l'aise, Ian cumulait. Il ne savait pas s'il devait rester, si elle voulait qu'il reste, que devait-il dire ?

Les choses n’étaient pas aussi simples ? Hella balança une main avec l’air de dire : Bin vas-y bonhomme, explique moi. Parce que là, elle avait forcément loupé un épisode quelque part. Un air qui disparut bien trop vite de son visage pour laisser apparaitre un côté livide. Deuxième fois en peu de temps, obligé, il cherchait à la tuer. Mort… Elle avait ouvert la bouche, retirer toute expression de son visage. Mort… Elle ferma les yeux, engrangeant l’information, fallait qu’elle la digère. Est-ce qu’elle devait être triste ? Pourquoi est-ce que l’était un peu ? Elle n’était pas censé être triste, elle était censé lui en vouloir pour l’avoir abandonné, elle était censé le retrouver et lui hurler dessus et lui mettre dans la figure tout ce qu’elle avait vécu par sa faute à lui. Et, lui, ce père qu’elle n’avait jamais connu, trouvait le moyen d’être mort ?! Elle avait tellement de chose à lui reprocher, tellement de chose qu’elle avait rejetée sur lui parce que ça lui permettait d’avancer de cette manière et… Mort… Ce monde en plus d’être pourri était injuste.

Hella avait un sourire sur le visage mais, ça n’avait rien d’une bonne chose. Elle était en colère et ce sourire c’était juste parce qu’elle trouvait que la vie avait un putain sens de l’humour qu’elle ne comprenait pas. Et là, elle avait en face d’elle, un type qui commençait à dire que ce n’était pas juste ce qui lui était arrivé, que si quelqu’un l’avait su, son père aurait fait quelque chose. Elle s’en décrocha la mâchoire tellement elle trouvait ça déplacé. On ne venait pas chez les gens pour foutre un bordel monstre dans leur vie avant de leur dire que les choses auraient pu être différentes. En fait, elle n’était pas en colère, elle était carrément hors d’elle. Et quand il annonça que ça ne changeait pas sa vie, elle décrocha complet, quitta son appui parcouru les quelques pas qui les séparait et, sans même réfléchir, c’est sa main qui vola sur la joue de ce type qui pouvait pourtant l’envoyer voler juste en éternuant.

« Venir me dire que tout aurait pu être différent, si quelqu’un s’était bougé et renseigné. Si, ça change TOUTE ma vie ! »

Parce qu’elle n’avait pas envisagé que ça puisse être différent, parce qu’elle s’était fait une raison et que c’est comme ça qu’elle avançait. Et puis merde, si ça ne changeait rien à sa vie, alors ce bibelot pouvait rester de travers. Elle l’attrapa et le rebougea pour qu’il soit complètement en travers par rapport au meuble. C’est là qu’elle prit conscience de ce qu’elle venait de faire. A quel point est-ce qu’elle avait le droit de l’incriminer lui ? Elle ne savait même pas qui il était pour elle. Elle porta les mains à sa bouche, retrouva une capacité à respirer en sentant une larme couler le long de sa joue. Elle s’était pourtant promis de ne pas le faire. Elle ne relava pas les yeux vers lui, elle se contenta de pointer une main derrière elle.

« Le café est dans le placard au-dessus de l’évier. Je reviens. »

Elle disparut dans une pièce, la salle de bain ou elle ouvrit la bouche en hurlant tout ce qu’elle pouvait de manière parfaitement silencieuse, le visage enfoui dans une serviette qu’elle venait d’attraper. A défaut de tout vouloir casser, c’était sa tête qu’elle avait envie de frapper contre un meuble mais, au prix d’un effort impressionnant elle avait réussi à se retenir. Elle avait tourné en rond, s’était assise contre un meuble, s’était penché dans le lavabo, avait évité son reflet dans le miroir, ouverte des meubles, les avait refermé. Et tout ça pendant que son cerveau cherchait à faire le point. Qu’est-ce qu’elle voulait ? Connaître ses origines avait toujours été son but, elle avait travaillé dans ce sens. L’homme qui était chez elle pouvait lui apprendre tout ça. Il fallait qu’elle se concentre sur ça. Finalement, elle alluma l’eau, frappa sur le robinet parce qu’il refusait de fonctionner au premier essai, puis, elle effaça toute trace de larme.

Puis elle fouilla dans un des placards pour trouver un-t-shirt. Un délire avec Phen où ils avaient acheté la plus grande taille qu’ils avaient trouvé pour pouvoir rentrer largement tous les deux dedans. C’est en se regardant une fois dans son miroir, en se disant mentalement que les choses allaient bien se passer, qu’elle sortit de la salle de bain sans savoir combien de temps elle était restée dedans. Le visage baissé, le t-shirt et une serviette entre ses mains elle s’approcha de l’homme.

« Je suis désolée, j’aurais pas dû. Elle tendit les bras pour lui donner ce qu’elle avait. Signe de paix ? Elle n’allait pas non plus avoir le fait qu’il tombe malade sur la conscience. Je… elle releva un regard désolé vers lui dans un haussement d’épaule. C’est juste que je ne sais pas… Je lui en veut, qui qu’il soit, ou qu’il a pu être, je lui en veut. C’est contre lui que je suis énervée… Enfin, je crois. Elle avait tellement de question à lui poser, tellement de chose qu’elle voulait comprendre que la seule chose qu’elle trouva à dire. Tu vas attraper froid »

La gifle était méritée, Ian en était conscient. Il la prenait même volontiers à la place de son frère. Hella était donc normale, ce qui le rassurait. A sa place, il aurait même fait pire. Il bougea à peine la mâchoire sous la baffe mais il ferma les yeux sans réagir plus que ça. Le fait qu'elle crie ne sembla pas non plus changer quoi que ce soit à son expression. Il serra seulement un peu plus la mâchoire. Pas qu'elle éprouva sa patience mais il devait lui-même faire face à de nombreux sentiments et il ignorait encore quelle expression adopter. Il secoua doucement la tête quand elle se plaqua la main sur la bouche. La dernière chose que Ian souhaitait, c'était qu'elle demande, elle, pardon. Il leva une main pour l'empêcher de fuir mais elle était déjà partie.

Ian ferma à nouveau les yeux et baissa la tête en soupirant. Ce fut son tour de venir s'appuyer sur le rebord du lavabo. Se penchant en avant, il laissa sa tête tomber entre ses coudes. Plus les minutes passaient, plus tout lui semblait réel. Cette situation n'aurait jamais dû exister et il ne savait toujours pas comment la gérer. Mais c'était un grand garçon, qui ne pleurait pas ! Il serait fort autant pour elle que pour lui. Entendant la porte de la salle de bain se fermer derrière lui, il se redressa pour lui faire face à nouveau. Elle était tout ce qu'il restait de son frère, elle était de sa chair et de son sang, même presque ! Il secoua la main pour l'empêcher de parler mais c'était trop tard, elle s'était déjà excusée. En soi, il ne comprenait pas pourquoi mais il lui prit le t-shirt pour le poser à côté, sur l'évier puis il lui prit la main.

– J'ai vécu des années en plein soleil, le froid me fait du bien.

Il l'attira avec lui pour la faire asseoir sur le canapé avec lui. Déjà, il se sentait mieux ainsi. Il lui rendit sa main, toujours pas plus à l'aise avec l'idée de la mutante et il finit par relever les yeux sur elle. Il chercha ses mots, qui ne venaient pas et il se frotta la tête d'une main. Il s'éclaircit la gorge et tenta de dire des choses simples pour ne pas proférer d'âneries, cette fois.

– Que tu sois en colère, c'est normal. Je le suis aussi. Je ne savais pas avant, je l'ai appris quand il s'est confessé, comme si c'était à moi d'obtenir son pardon. Je ne sais strictement rien de ta mère, j'ai bien son nom mais ma priorité c'était toi alors je t'ai cherchée d'abord. De toute façon, je ne pense pas qu'elle chercherait à te retrouver, elle.

Ian secoua la tête en roulant des yeux, conscient de recommencer à dire des conneries puis il inspira profondément en fixant le plafond. Il expira alors pour retrouver ses esprits, puis il reprit en portant son regard sur elle. Il la dévisagea, cherchant chaque ressemblance avec son père, ou même lui-même mais c'était surtout dans la forme de ses yeux et de son visage.

– Je sais que... Ce que je te dis va te sembler déplacé, incorrect ou je sais pas quoi mais, pour ce que ça vaut, lui n'est plus là. Mais moi si. Et je ne suis pas prêt de repartir.

La voix de Ian s'était légèrement éteinte. En fait, c'était presque un murmure. C'était son tour de se retrouver le gros sentimental. Il était grand et imposant mais visiblement, il avait tout du bisounours ! Tous ses muscles étaient contractés parce qu'il se refusait à perdre la face devant elle. Un soldat ne pleurait pas ses compagnons. Il les honorait. C'était ce qu'il devait faire ici, et maintenant. En secouant légèrement la tête, il eut un sourire étrange. Sincère et presque au goût d'une trêve.

– Ma mère a toujours regretté de ne pas avoir eu de fille. Elle disait que ça aurait probablement adoucit le caractère difficile de ses fils. Et... Quand je lui ai parlé de toi, elle m'a donné tout ce qu'elle savait sur toi. Et elle m'a dit de te retrouver et de te ramener. Nous avions passé un pacte, si tu avais une belle vie, je ne te dérangeais pas. Dans le cas contraire et bien... Me voilà. Je suis pas... un exemple de perfection, je me lave pas les dents trois fois par jour, il m'arrive de pas faire ma vaisselle et de pas me raser pendant plus d'un mois. Je sais que j'écoute des trucs qui sont démodés, que j'ai un sens vestimentaire un peu bizarre. Je sais qu'il m'arrive de boire beaucoup, de finir avec une fille et de pas la rappeler le lendemain, mais... Personne n'est parfait, pas vrai ? Alors cette fois, c'est moi qui te demande pardon. Pour ne pas t'avoir cherchée plus tôt. Pour avoir mis autant de temps à honorer la promesse faite à mon frère. Mais tu es ma nièce et par conséquent... s'il y a quelqu'un contre qui tu dois être en colère, que tu dois cogner pour te faire entendre, ce sera moi.

Il baissa la tête et se racla la gorge en se frottant le nez.

– Enfin, c'est si tu veux, bien sûr.

Hella avait une fâcheuse tendance à faire ce qu’elle avait décidé alors, on pouvait chercher à la retenir, agiter des mains pour lui demander de se taire, c’était peine perdue. Par contre, elle avait porté un regard étrange sur sa main dans celle de l’homme. Qu’on la touche ce n’était vraiment pas son truc encore moins quand elle n’était pas dans son état et qu’elle n’avait pas eu le temps de construire de véritable forteresse autour d’elle. Mais, ça l’avait tellement surprise qu’elle n’avait même pas pensé à retirer sa main rapidement, au lieu de ça, elle s’était laissé trainer jusqu’au canapé. Elle était assise, elle avait récupérer sa main maintenant, il ne restait plus qu’à Hella de se récupérer elle-même.

Sa mère ne cherchait pas à la retrouver ? Ca ne l’étonnait pas, c’était l’histoire de sa vie, une succession d’abandon en commençant par sa naissance. Et, à bien y réfléchir, elle trouvait même normal que sa mère ne cherche pas à la retrouver, ce qu’elle trouvait étrange, en revanche, c’était que lui soit là. Ca ne collait pas avec le reste de sa vie. Elle ne savait pas comment l’expliquer mais il devait y avoir une personne, là-haut, qui avait simplement décidé qu’elle ne resterait jamais avec personnes, que tout le monde finirait par l’abandonner d’une manière ou d’une autre. C’est pas qu’elle voulait être défaitiste, c’est juste que ça avait toujours été comme ça, qu’elle s’était faite une raison et qu’elle ne croyait plus à un renversement de situation. Sa seule entorse à son propre règlement était cet aménagement avec Phen, le seul qu’elle avait réussi à laisser entrer dans sa vie, tout en sachant qu’elle ne le relèverait pas le jour où il ferait comme tous les autres avant lui.

Alors elle avait doucement envie de rire quand il en venait à lui dire que lui n’était pas prêt de repartir. Elle lui servit un demi-sourire, tout ce qu’on fait de plus ironique. Sa famille l’avait laissé tomber, et d’autres familles avaient fait la même chose après alors, on ne pouvait pas lui demander de croire que la vie lui offrait quelqu’un comme ça. Elle recommençait doucement à se mettre des barrières parce qu’elle savait que si elle se mettait à le croire, elle en souffrirait d’autant plus quand tout prendrait fin. Ce n’est pas qu’elle ne voulait pas le croire, c’est qu’elle ne devait pas le faire. Se protéger était ce qu’elle devait songer à faire en premier.

Elle écoutait, tout en fronçant un peu les sourcils pour essayer d’encaisser tout ce qu’il était en train de dire. Le fait que quelqu’un avait eu des infos à lui filer, le fait qu’il savait qu’elle existait. Elle avait même relevé un regard perplexe et interrogateur quand il parla de sa mère qui lui avait demandé de la ramener. Hein ? Comment ça ? Elle n’était pas certaine de comprendre, encore moins certaine de vouloir comprendre. Et puis quoi ? Il estimait qu’elle avait une vie pourrie pour s’être décidé à venir la voir ? Cela dit elle n’avait pas réussi à s’empêcher de laisser échapper un bref et discret petit rire quand il énuméra ce qui était censé être ses défauts. Mais elle avait très vite retrouvé son air d’incompréhension.

« Euh… Elle se gratta le front, avant de s’installer un peu vieux dans le canapé et relever un regard vers lui. Pour être franche, je ne sais pas trop comment je suis censée le prendre. Tout le monde à l’air de savoir que j’existe et… 18 ans… Et, tu te pointe, tu me dis tout ça et je devrais te pardonner… Elle secoua la tête dans un haussement d’épaule. J’peux pas. Elle en était presque désolée mais ça ne pouvait pas être aussi simple. Trop d’info à digérer en même temps. »

Elle ne s’énervait pas parce qu’elle n’avait pas envie de craquer une nouvelle fois, encore moins en sachant qu’elle a un oncle qui estime sa vie assez pourrie pour venir la retrouver maintenant. Si elle craquait encore une fois, peut-être qu’il aurait encore plus l’impression qu’elle n’était pas heureuse dans sa vie. Putain, est-ce qu’elle l’était ? Ce n’était pas la question, tout ce qu’elle devait faire c’était, comme d’habitude. Sourire et dire que tout va bien. Oui voilà, elle afficha un sourire sur son visage, l’air de ne pas comprendre… Expression qui, à bien y regarder n’était pas tellement crédible.

« Et puis, enfin, je veux dire. Ok, notre appartement est un peu pourri et on a des fuites dans le toit mais, a part ça, les choses se passent plutôt bien. »

Il faut savoir qu’Hella ne parlait de sa vie à personne, qu’elle la gardait précieusement dans un tiroir alors, non, elle ne comprenait pas trop. En réalité, elle n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait savoir sur elle et encore la manière dont il s’y était pris pour la retrouver. Et, là, gros doute : qu’est-ce qu’il savait ? C’est là qu’elle se rappela la photo qu’il avait d’elle. Elle bossait au commissariat, par obligation alors elle savait la photo qu’il y avait dans son dossier. Son visage ce décomposa.

« Tu sais quoi, exactement ? »

En fait elle était plutôt flippé maintenant parce qu’elle faisait tellement d’effort pour cacher un tas de truc, pour qu’on ne la comprenne pas, qu’on la laisse dans son coin, que l’idée que quelqu’un est un aperçu de sa vie était la chose la plus flippante qui puisse exister pour elle.

Ian s'était à nouveau mal exprimé. Il parlait plus vite qu'il pensait. "Repartir", chez lui, c'était un verbe qui signifiait : "repartir à la guerre". Mais il lui arrivait facilement d'oublier que face à lui, il avait bon nombre de personnes qui n'utilisaient pas le même vocabulaire que lui. De la même façon qu'elle "s'offensait" qu'il veuille la sortir de son appartement, il agita à nouveau une main mais qui finit finalement sur son visage pour se le frotter. Voilà que la migraine lui montait. Le fait qu'elle soit en colère, même contre lui, était parfaitement compréhensible, aussi, il ne s'en sentit pas plus vexé qu'autre chose. En fait, il lui passait tout. Elle était reine. Non pas que Ian perdait patience mais il avait ouvert une vanne et maintenant que Hella engageait des réactions, il pouvait y répondre, plus confiant.

– Quand je parle de te ramener, je veux dire, parmi nous ! Au sein de la famille. On est plus très nombreux mais... J'habite ici, mes parents sont de Pennsylvanie. Je te demande pas de me pardonner dans la seconde, je sais que c'est trop demandé mais... Comprends-moi, j'ai mon frère dans les bras qui m'annonce que je dois retrouver sa fille qui doit avoir l'âge d'environ 15 ans, qu'il a abandonnée à la naissance. J'étais désemparé, je venais de perdre toute mon unité, mon frère et je me retrouvais tout seul, comme un idiot avec cette info sur les bras, j'étais même pas sûr que ce soit vrai ! Et j'apprends en prime que ma mère, elle, elle savait. C'est juste que...

Ian sursauta légèrement et leva les mains pour se lever et faire quelques pas. Voilà qu'il se mettait à réagir enfin à son tour. Il avait déjà crié sur sa mère une fois à son retour de la clinique mais plus rien depuis. Et il ne pouvait infliger ça à Hella, c'était injuste et ça ne la regardait pas. Qu'est-ce qu'elle pouvait y trouver d'intéressant, après tout ! C'était elle la victime, dans l'histoire, non ? Quand elle posa sa question, il se retourna face à elle et secoua la tête.

– Ne me force pas à aller dans les détails. Ca n'a pas d'intérêt, c'est fait, c'est fait, revenir dessus ne fera qu'aggraver des plaies déjà béantes. Si je suis là, c'est parce que j'essaye d'arranger les choses. Alors d'accord, je suis maladroit, je m'y prends pas bien, je suis pas doué ! Mais j'ai jamais eu à faire à une nièce sortie de nulle part, déjà toute grande et indépendante, que personne m'a autorisé à voir grandir, encore moins mutante. C'est... Un peu beaucoup pour moi aussi. J'essaye de faire au mieux, d'accord ?

Ian parlait bien sûr des conditions de sa naissance et de son adoption, il ne faisait pas référence à son casier judiciaire. Pour lui, c'était... Insignifiant à côté du reste. Il ne s'attendait pas à ce que tout aille bien, qu'elle l'embrasse et qu'ils tombent dans les bras l'un de l'autre. Mais il avait espéré, oui, que ça puisse se passer comme ça. La désignant d'une main, il reprit.

– Toi, dis-moi ce que je dois faire ! Aide-moi à faire ce qu'il faut, dans ce cas. Est-ce que je dois partir ? Te laisser tranquille ? Est-ce que... Tu as besoin de quelque chose et est-ce que je peux t'aider ? Est-ce que tu as besoin d'un travail, ils cherchent une secrétaire d'accueil là où je bosse maintenant, de nouvelles fringues, peut-être ! Les filles de ton âge adorent les fringues. Un téléphone super sophistiqué ? Je reçois une pension indécente, s'il faut, je t'achète même une voiture. Je crois qu'à ce point, je pourrais... Faire n'importe quoi. Je sais qu'on achète pas une confiance ou un pardon avec une voiture ou une console de jeux ou encore une robe de bal... J'essaye, je sais pas comment, de réparer les erreurs d'un couple d'adolescents qui a commis l'irréparable. Alors je sais que je suis à la bourre, je sais que j'ai 20 ans de retard ou presque mais je te propose de me prendre à l'essai. Si je te conviens pas, tu me renvoies dans ma campagne ! Qui sait, je suis peut-être le pire oncle que la terre ait connu. Dis-moi juste ce que je dois faire...

C'était pas un dangereux de dire à une gamine de 18 ans qu'elle pouvait tout demander ? Même une voiture ?

Pas très nombreux ? Est-ce qu’il se rendait compte qu’il disait ça à une orpheline qui, jusqu’à présent n’avait zéro personne à dénombrer dans sa famille. Alors, une personne, trois – avec ses parents – c’était déjà presque trop. Fallait quand même essayer de se mettre à sa place, elle avait des grands parents en Pennsylvanie. Il disait ça d’une manière tellement naturelle, comme si c’était normal alors qu’elle, elle était simplement en train d’halluciner. Enfin, biologiquement, génétiquement, elle avait une histoire. Mais elle ne pouvait pas vraiment lui demander de comprendre comment elle voyait les choses, au même titre qu’elle ne savait pas ce que c’était que de perdre un frère. Elle était bien fille unique, hein ? Putain ce type venait de débarquer et toutes les questions qu’elle s’était juré d’enfouir quelque part ressortaient en une poignée de minutes.

Le fait qu’il se lèvre soudainement lui avait fait faire un mouvement de recul parce qu’elle ne s’était pas attendu à cette réaction. Ca n’avait rien à voir avec lui mais elle gardait quand même des séquelles des derniers évènements de sa vie. Chose qu’elle chassa très vite de son esprit en secouant la tête et en reportant son attention sur cet homme, cet oncle, qui ne semblait pas vouloir tenir en place. Finalement, heureusement qu’il ne s’était pas servi de café. Elle s’étonna encore plus de sa réponse. Ne pas le forcer à lui répondre. Non, non, non, elle ne voulait pas surtout pas le forcer à quoique ce soit. D’ailleurs, elle avait secoué la tête un peu trop frénétiquement quand il avait dit ça. On l’avait déjà forcé à dire quelque chose et elle ne voulait pas infliger ça à qui que ce soit. Rien que cette idée avait tendance à l’horrifier. Elle réagissait peut-être même un peu trop vivement mais, elle ne l’avait pas fait exprès.

Elle n’avait aucune idée de ce qu’il était en train de lui parler. Si, pour Ian, c’était évident qu’il parlait de la manière dont elle était née. Pour elle, c’était évident qu’il parlait de sa vie. Ce qu’il disait pouvait s’accorder dans les deux cas alors, dans un réflexe qu’elle n’avait pas prévu, elle ramena ses bras contre elle, comme une forme de protection à l’évocation d’un tas de chose qui se sont produites dans sa vie. Alors, pour reprendre contenance, quand il avait expliqué s’y prendre mal, elle l’avait regardé, un sourcil légèrement relevé l’air dire « Nooon, tu crois ? ». Cela dit, il n’y avait pas de réelle critique dedans parce qu’avec ce qui lui disait, elle voulait bien admettre que ce n’était pas facile pour lui non plus. Elle était incapable de se mettre à sa place mais elle pouvait essayer de comprendre. Elle en avait même hoché la tête, une fois. Ok, tu essayes de faire de ton mieux.

Elle avait fini par se désigner, d’un air étonné. Putain mais elle n’en savait rien elle de ce qu’il devait faire. Enfin, elle n’avait pas prévu de papier avec des instructions noir sur blanc pour le jour où son oncle se pointerait. Alors, pendant qu’elle essayait de trouver quelque chose à répondre, qu’elle cherchait à identifier ce qu’elle voulait, elle l’écoutait donner un tas de proposition. Et, finalement, c’est là qu’elle comprit qu’il ne la connaissait vraiment pas. En même temps, c’était logique, il ne l’avait jamais vu, c’est juste qu’elle n’avait pas encore percuté cette évidence. Et c’est le fait qu’elle n’ait pas réfléchi à ça qui lui comprendre qu’une partie d’elle avait eu envie qu’il sache qui elle était. Ça lui semblait complètement fou parce que… Bin parce qu’elle ne voulait pas que les gens la connaisse mais, elle avait presque été déçu qu’il puisse proposer des choses dont elle se foutait royalement. Et merde, elle avait souri quand il avait demandé à être prit à l’essai parce qu’elle trouvait ça… attendrissant ? Elle effaça son sourire rapido, comment se protéger si en une phrase, elle se laissait avoir !

« Si tu finis pas par t’asseoir, c’est d’un médecin pour torticolis dont je vais avoir besoin. »

Sérieusement, vous avez vu la taille de ce type, si elle voulait le regarder en lui parlant – en sachant qu’elle était assise – c’était un truc à se deviser la tête. Cela dit elle comptait lui répondre plus sérieusement et elle devait même avouer que, pendant une seconde ou deux, elle envisagea de se servir de lui pour ce qu’il pouvait lui apporter sur un plan matériel. Une idée qui était vite repartie parce qu’elle n’était pas comme ça. Combien même, elle lui en voulait – et à toute cette famille qui avait attendu un moment étrange pour la retrouver – elle ne pouvait pas faire ce genre de chose.

« Écoute j’ai pas besoin de voiture. J’aime ma caisse pourrie sur laquelle je peux taper dessus quand elle refuse de démarrer – et volée accessoirement. J’ai le nécessaire vital en fringue et ça me convient très bien comme ça. J’ai un téléphone qui se contente d’appeler les gens, ce qui va bien aussi. Et, un boulot, encore moins parce qu’il semblerait que je ne sois pas très libre dans le choix de mon emploi du temps. Tout ça pour dire que… »

Tout ça pour lui donner des infos par un moyen détourner parce qu’elle aurait très bien pu en venir au fait tout de suite mais, elle n’aurait su l’expliquer, elle avait juste besoin qu’il comprenne ce qu’elle était. Si tout le monde – en tout cas les deux frangins – avaient été militaires, c’est un truc qui, apparemment, ne se transmettait pas par les gènes. Elle était différente, elle ne collait pas un modèle qu’on croisait à tous les coins de rues.

« Qu’on est d’accord sur un point : Y a des choses qui ne s’achètent pas. Et, si dans l’hypothèse qu’éventuellement, il se pourrait que j’essaye de voir ce que ça peut donner. Je ne veux pas que ce soit basé sur un échange matériel ou je serais la seule à en profiter. »

Hella ne s’achetait pas, peut-être qu’elle était une sorte d’électron libre au finale. Elle n’en savait rien. Mais quoiqu’il en soit si elle décidait d’avoir un oncle, même à l’essai, elle ne voulait pas qu’il se demande si elle le faisait juste pour le côté matériel qu’il pouvait lui apporter. Elle se mise en tailleurs sur le canapé, en s’appuyant sur le dossier, ressentant un des ressort à l’intérieur lui appuyer sur le dos. Elle leva les yeux sur lui, en secouant la tête.

« Je ne sais pas comment tu peux t’y prendre mais, une chose est sûre, ce n’est pas en donnant l’impression de m’être redevable de quelque chose que je vais tenter de pardonner quoique ce soit. Elle avait balancé les mains comme une évidence. J’ai toujours composer sans famille alors, j’ai pas besoin qu’on me prenne pour la laisser pour compte. Ma situation me convient… »

En tout cas dans les grandes lignes. Les choses auraient pu être pires. Et oui, elle avait l’impression que, sous un sentiment de culpabilité, on était prêt à tout lui accorder. Finalement, c’était un peu de l’achat de pardon, ou une manière de se sentir moins coupable. Ca n’avait rien de sain, ce n’est pas ce qu’elle voulait. Elle n’avait pas dit si elle préférait qu’il la laisse tranquille, ou si elle préférait le voir rester. Dans le fond, elle n’en savait rien. Elle affichait un air un peu désolé pour la question qu’elle allait poser mais, elle avait besoin de savoir.

« Pourquoi venir maintenant. Enfin, d’accord c’est une promesse mais, sérieusement qu’est-ce que ça peut t’apporter ? »

Lui, eux, enfin tout le monde avait fait la politique de l’autruche, pourquoi ne pas continuer au moins ça n’aurait rien changé à leur petit train-train quotidien. En plus de chambouler sa vie à elle, il foutait la merde dans la sienne aussi. Pourquoi ?

Si Ian était en train de s'emporter, la phrase d'Hella le calma, lui arrachant un léger sourire. S'asseoir, ce n'était pas une mauvaise idée mais comme elle le remarquait si bien, il ne tenait pas en place. C'était même une plaie. Il tournait, virevoltait, allait et venait. Mais il n'en fit rien. Il porta son pouce entre ses dents pour se le ronger, faisant quelques pas lents. Bien sûr qu'il avait pensé avant tout à l'avantage matériel qu'il pouvait lui apporter. Il ne savait pas trop ce qu'elle pouvait attendre de lui en dehors de ça. Ni petite soeur, ni nièce avant elle, il n'avait jamais eu à contenter qui que ce soit d'autre que son ex fiancée. Et cette dernière n'avait pas eu besoin de lui pour craquer son portefeuille, alors...

Et puis Hella a parlé d'un autre avantage que matériel. Juste quand il se posait la question de ce qu'il pourrait faire pour elle. Pourquoi obligatoirement un échange, après tout ? Selon lui, tout fonctionnait par échange, c'était obligé, comment pouvait-on faire autrement ? Après tout, elle était en droit de demander tout ce qu'elle voulait, non ? Ian ne s'offusqua aucunement de ce qu'elle disait mais il devenait curieux. Il leva une main. Elle ne voulait pas de matériel, ni rien en échange de la sorte ? Très bien, il ne ferait rien qu'elle ne veuille pas, ça c'était une chose certaine.

Hella sembla s'emporter aussi. Elle n'avait pas autant parlé depuis qu'il était arrivé alors il l'écouta attentivement, tournant la tête vers elle alors qu'il jouait avec un élastique en caoutchou qu'il avait trouvé dans sa poche. Il le faisait tourner entre ses doigts comme un diablo. Signe de nervosité ? Presque deux ans qu'il avait arrêté de fumer maintenant, c'était comme s'il s'était arrêté la veille. Il voyait la fenêtre et avait envie de s'y asseoir pour savourer ces instants de réflexions intenses en fumant une cigarette, seul avec soi-même. Il se contenta de s'y adosser, les mains sur le rebord et il se gratta la tête avant de relever les yeux à sa question.

Il rencontra alors son air désolé. Pourquoi ? Voilà une question qu'il avait mis trois ans ou presque pour obtenir une réponse suffisante. Peut-être avait-il deviné qu'elle lui poserait cette question et qu'il s'était préparé à l'éventuelle réponse qu'il pourrait lui donner. Une vraie, quelque chose de sincère qui ne ferait pas "acheté" ni "film à pleurer", juste, une réponse qui soit la bonne, la sienne, tout simplement. Cependant, il haussa les épaules car il se pourrait qu'il ait peur de parler.

– Qu'est-ce que ça change pourquoi maintenant ? Le principal, c'est pas d'être venu finalement ?

Encore une fois, Ian avait affronté la guerre et se sentait plus impuissant que jamais face à une gamine de 18 ans qui lui demandait, finalement, de se mettre à nu devant elle sans crier gare. Il leva les yeux au plafond et inspira profondément. Il se tapota les cuisses et se redressa avant de se rapprocher dans un "D'accord..." et il vint lentement s'asseoir face à elle, sur la petite table, ses coudes sur les genoux et ses doigts mêlés. Il se frotta le front brièvement avant de reprendre. Il était temps d'affronter les choses en face et de se faire une raison. Oui, ça chamboulait son monde mais peut-être avait-il simplement l'impression de ne pas le mériter. Mais alors, par quoi commencer ? Ses mains avaient une volonté propre, il lui était incapable de les contrôler. Il cacha son visage dans ses mains et l'une d'elle se mêla à ses cheveux pour les ramener en arrière. Il s'éclaircit la gorge puis il ouvrit finalement la bouche. Il était si nerveux que c'en était palpable.

– Tu es ma nièce.

Il ouvrit les mains comme si c'était une évidence et pinça les lèvres mais très vite, il reprit.

– On ne tourne pas le dos à la famille, même quand elle le fait. Toi et moi on partage le même sang et plus que ça, tu...

Il pencha la tête et s'humecta les lèvres pour recommencer sa phrase.

– Mon frère avait une gueule de con, pour pas dire un parpaing dans la tronche tous les matins au café. Dans le genre, si une femme avait un jour voulu de lui, tout le monde se foutait de lui ouvertement. Gentil bonhomme, brave gaillard mais une tête d'antipathique sociopathe. Alors quand on m'a montré cette photo de toi, j'ai pas eu l'air tellement surpris, ça me semblait assez logique. Mon frère était un rebelle, un véritable baroudeur, le genre à foncer tête baissée avec un coeur gros comme toi plus moi. Mais... Tu as ouvert la porte et j'ai vu ton vrai visage, en chair et en os. Pendant toutes ces années, je me suis demandé à quoi tu pouvais ressembler. Est-ce que tu aurais la couleur de ses yeux, de ses cheveux, ce même front pas très... large.

Il désigna d'un index son visage à elle sans vraiment s'approcher plus qu'il ne l'était déjà. Il eut un sourire comme s'il découvrait un bébé qui venait de naître.

– Tu lui ressembles, c'est certain mais tu es tellement plus ! Tu es jolie, à n'en point douter et ton sourire doit en faire chavirer plus d'un, je parie. Alors, ce que ça m'apporte, c'est... Toi. Ca m'apporte toi. Une fille, une soeur, une nièce, peu importe. Je me dis souvent que ce qui arrive, c'est le destin. Quoi qu'on fasse, on est là où on doit être. Si mon frère a décidé de renoncer à toi à la naissance, c'était peut-être pour que aujourd'hui vienne. Ca a peut être une signification dans ta vie, tu en auras sûrement une dans la mienne.

Il acquiesça doucement, lui souriant à un nouveau.

– J'ai envie que tu aies une signification dans ma vie. Rien n'est un hasard, Hella. Toi et moi, c'est sûrement pas un hasard non plus. Le hasard, je connais pas, c'est pas dans mon langage. Si j'ai eu des doutes pendant très longtemps, ce n'est plus le cas maintenant. Parce que maintenant que je suis là, je suis pas près de renoncer à toi, ça non.

Ok. En plus de chambouler toute sa vie, il avait réellement décidé de lui vriller le cou. Super. Vous avez déjà essayé d’avoir une conversation – importante, en plus – avec quelqu’un qui ne tient pas en place ? C’est rageant et un poil irritant. Vraiment, elle s’était imaginée en train de ligoter à une chaise pour lui dire que, maintenant, il ne pouvait plus bouger et que c’était une bonne chose ! Un truc qui ne pouvait que rester dans son imagination parce qu’elle n’avait aucune idée de comment si prendre. Si elle lui demandait, peut-être qu’il se laisserait faire en fait, non ?

Qu’est-ce que ça changeait ? Les épaules d’Hella venaient de s’affaisser dans un soupir. Elle leva un regard à la fois blasé et interrogateur vers lui. Il voulait vraiment qu’elle lui fasse une liste parce qu’elle était certaine de pouvoir trouver un tas de chose qui allaient changer après cette rencontre. C’était un peu flippant cette facilité qu’il avait de la désigner comme ça nièce. Mentalement, elle essaya de se dire que c’était son oncle mais, même si elle le savait, si elle comprenait, son cerveau refusait d’enregistrer cette information. Ce qui pour lui était une évidence ne l’était absolument dans son cas. Que ce soit clair, il avait eu le temps de se préparer à cette idée et, en plus, il avait déjà une famille pour savoir ce que c’était que cette connerie d’ « esprit de famille », deux choses qu’elle n’avait pas.

Alors quand il lui avait dit qu’on ne tournait pas le dos à sa famille, elle avait souri. Ce genre de sourire dans lequel on pouvait lire un « Tu paris combien sur ce coup là » parce que c’était très facile pour elle de le faire, elle ne les connaissait pas, ne les avait jamais. Elle ne se sentait redevable de rien du tout. RIEN. Tout ce qu’elle voulait s’était de savoir d’où elle venait, le reste elle n’en avait pas besoin. Elle avait ce besoin de savoir parce qu’elle ne savait pas qui elle était, pourquoi elle réagissait d’une manière ou d’une autre. Partout autour d’elle, elle entendait des « Ça c’est bien le caractère de son père… » « Elle réagit comme sa mère ». Et elle, dans tout ça, elle tenait de qui, d’où elle venait ? Savoir d’où elle venait, c’était juste une façon pour elle de se comprendre et de trouver son identité en quelque sorte. Mais, une famille, elle n’en voulait pas. Il l’avait laissé dans un hôpital à sa naissance, qu’ils fassent avec, ce n’était plus son problème.

Et là, elle gardait tout ça précieusement en elle parce qu’il était en train de parler du type qui avait fait en sorte qu’elle vienne au monde et, elle ne pouvait pas faire taire cette curiosité qu’elle avait sur le sujet. Son visage était passé par toutes les nuances. Vexé : est-ce qu’elle avait une tronche de parpaing ? Intrigué : comment tout le monde pouvait se foutre d’une personne. Contente : il avait un côté rebelle. Interrogative : et alors, elle avait quoi de lui ? Et alors qu’il se mettait à répondre à cette question, elle commençait à se dire qu’elle n’avait pas envie de savoir. Elle n’avait rien de joli, enfin, elle ne faisait rien dans ce sens-là. Franchement, il avait vu dans quelle tenue elle lui avait ouvert ? Et, finalement, tout chavira quand il annonça que ce qu’elle lui apportait, c’était elle.

C’était trop facile, trop égoïste. Elle avait eu besoin d’une famille il y a bien longtemps, elle avait vraiment voulu les avoir avec elle. Aucun d’eux ne s’était bouger et maintenant, parce qu’il l’avait décidé, il fallait qu’elle puisse apporter quelque chose. Hella n’aurait jamais pu être militaire, elle avait un caractère de contradiction poussé à l’extrême. Quand on lui demandait de faire quelque chose, elle faisait le contraire. Même si elle n’en avait pas envie mais c’était plus fort qu’elle. Il avait envie qu’elle est une signification dans sa vie. Bien. Il ne l’aurait pas. Et là, ce n’était pas qu’un esprit de contradiction mais aussi une amertume parce qu’il était où, lui, quand elle avait besoin de ça dans sa vie ? C’est elle qui avait fini par sourire en secouant un peu la tête comme si elle trouvait tout ça complètement improbable. C’est en s’arrêtant qu’elle posa à nouveau le regard sur lui.

« Je vais te dire pourquoi ça fait une différence que ce soit maintenant ou à un autre moment. Elle le regardait comme si c’était pourtant une évidence. Je n’ai plus besoin d’une famille, quelques temps en arrière, peut-être mais plus aujourd’hui. »

Elle savait qu’elle ne le pensait pas réellement mais c’était sa façon à elle de se protéger de ne pas prendre le risque de le voir entrer dans sa vie pour, ensuite le voir repartir. Elle avait tendance à croire que la vie lui enlevait un tas de personne et, maintenant, c’était elle qui cherchait à les faire fuir avant que ça n’arrive.

« Si rien n’est n’arrive au hasard, on a encore le choix d’accepter les choses ou non et, là, franchement, je dis non. Elle s’efforçait de le regarder pour garder toute sa contenance mais, elle avait l’impression de se faire au moins autant de mal qu’elle pouvait lui en faire. Je crois qu’en fait, tout ce que j’ai voulu savoir c’était d’où je venais mais, pas d’avoir la famille qui va avec. Tu ne peux pas, juste débarquer et vouloir que je rentre dans ta vie. Tu as fermé les yeux pendant un moment, continues seulement à les garder fermés. Dans un soupire, elle balança un peu les mains. La seule chose qu’on a en commun c’est des gènes et, tu sais quoi ? Dans la vie que ton frère m’a laissée – elle n’arrivait même pas à parler de père -, les gènes, l’esprit de famille, toutes ses conneries, ça n’a aucun sens pour moi. J’ai appris à faire sans famille et, les choses me conviennent très bien comme ça. »

Comment voulez-vous que Ian lui en veuille ? Ok, lui n'y était pour rien dans toute cette histoire, s'il avait su, il aurait probablement cogné son frère jusqu'à ce qu'il la retrouve et la ramène à la maison. Dans son esprit, ce qu'il avait fait était cruel et irresponsable, tellement loin de l'image qu'il se faisait de son père. Mais il prenait les coups pour lui, si c'était quelque chose qu'il pouvait faire pour lui, encaisser, alors il le ferait. C'était bien la moindre des choses. Mais Hella était robuste et ne se laisserait pas faire si simplement. Ian aurait adoré avoir un gros câlin et un dimanche après midi au barbecue des parents pour fêter l'heureux événement, avec 20 ans de retard. Mais c'était une vision utopique que la guerre ne lui avait pas arraché, bien au contraire. Si elle ne voulait pas de lui dans sa vie, il ne pourrait la forcer. Il baissa la tête en se frottant le front du poignet. Mine de rien, elle lui demandait de faire appel à un peu de patience et de réflexion. Il avait envie de hurler une bonne fois pour toute que maintenant qu'il était là, ou bien il sortait ou bien il restait, qu'elle pose les questions si elle en avait et qu'on soit enfin fixés. Bien sûr, il pensait à ça sur l'impulsion mais son petit caractère commençait à faire effet sur lui.

– Je ne peux pas te forcer à quoi que ce soit. Ce n'est pas mon but ni mon envie.

Il se frotta les cuisses et envisagea de se lever sauf qu'il n'y arrivait pas. Il avait beau réfléchir à toute vitesse, l'étincelle de génie ne lui parvenait pas. Mais une chose qu'elle avait dite, quelque chose qu'elle ignorait et Ian secoua la tête. Il avait cessé de la regarder et avait posé ses yeux sur la fenêtre. De toute façon, à ce stade, s'il n'avait pas vraiment fait mouche, alors il ne ferait mieux avant un moment. Il songea qu'elle avait besoin de digérer tout ça mais il n'avait pas envie qu'elle apprenne tout au compte goutte.

– Je doute fort que tu veuilles savoir d'où tu viens sans la famille qui va avec. Si j'étais toi, je prendrais la famille sans trop me poser de questions sur le passé. Certaines choses sont bien mieux sous le sable qu'en plein jour.

Il tourna alors la tête vers elle mais quelque chose lui dit qu'elle voudrait quand même savoir. Il fronça les sourcils et secoua la tête.

– Tu crois que ça m'a rendu fier d'apprendre ton existence après 15 ans de silence ? Tu crois sûrement que je n'en veux pas à mon frère d'avoir fait ça ? Tu ne t'es pas demandé si, avant de faire des recherches poussées sur toi, je ne me suis pas dit que tu avais sûrement été adoptée dans une belle vie et que j'allais venir foutre la merde si je me pointais ? Non ! J'ai pesé les pour et les contre avant de me lancer là-dedans, mon but n'est pas de te pourrir ! Tu aurais voulu que je vienne te chercher avant ? C'est ça ? Tu m'en veux parce que je suis pas venu plus tôt ?

Il pencha la tête pour capter son regard, les sourcils hauts. Il ne s'énervait pas mais sa voix avait pris de l'assurance au fur et à mesure qu'ils parlaient tous les deux depuis tout à l'heure. Il lui fallait du temps pour s'ouvrir et pour marquer son assurance mais il s'adressait autant à elle qu'à lui-même. Il se désigna même d'un index.

– Tu aurais voulu que je descende ce mec à ta place ? Si j'avais su, Hella, je n'aurais pas attendu trois ans, d'accord ? Je suis désolé ! Je suis désolé d'être arrivé trop tard, d'avoir mis du temps à réaliser que j'avais une nièce qui pouvait, éventuellement, avoir besoin de moi.

Elle avait hoché la tête vivement, dans un merci un peu ironique, de lui laisser le choix et de ne pas la forcer à quoique ce soit. Elle était en train de faire la plus grosse boulette de sa vie à le rejeter de cette manière, parce qu’elle risquait forcément de le voir partir à agir de cette manière. Mais… C’était Hella, elle ne savait faire que ça. Et là, ils commençaient doucement à ne pas être d’accord sur un tas de chose. Elle ne voulait PAS de cette famille et, la seule manière qu’elle avait trouvé de réagir c’était de faire semblant de s’étonner dans un mouvement de lèvre qui mimait un « Ohhh », elle n’avait pas parlé mais elle se trouvait être très expressive pour faire passer certaine phrase et, là, clairement, ce qu’elle était en train de dire c’était « Comme quoi, creuser et découvrir qu’il y a une enfant qui a été abandonnée à elle-même ?! ». Forcément que c’était mieux de garder cette information bien enterrée parce que, personne n’avait envie de se vanter de ce genre de chose.

Plus part, elle comprendrait sûrement qu’elle venait d’être injuste parce que, cette histoire il était en train de la déterrer et qu’elle ne pouvait pas vraiment lui reprocher de le faire. Elle n’était pas au courant d’un tas de chose et là, dans l’immédiat, elle était un peu trop sur les nerfs pour réagir comme une adulte qu’elle n’était pas et qu’elle n’avait pas envie d’être. Là, tout ce qu’elle se demandait c’est ce qu’il voulait. Une médaille pour bon service rendu à un frère mort sur un champ de bataille en venant la retrouver ? Et oui, c’est ça, elle aurait voulu qu’il vienne la chercher avant qu’elle se retrouve dans cette putain de situation merdique. C’est pas quand elle commençait à s’en sortir qu’il fallait débarquer, c’était avant. Alors, oui, elle avait hoché la tête avec beaucoup de conviction. Il aurait dû venir avant !

Et si elle s’agitait, réagissait muettement, si elle faisait passer un tas de chose sur son visage, Hella venait soudainement de se figer. Pendant une seconde ou deux, elle se demandait si elle avait bien entendu, si Ian parlait bien de… Elle se mise à voir rouge. C’était l’évènement par excellence dont il ne fallait pas parler. Ce n’était pas pour rien qu’elle refusait d’avoir une arme dans la main. Mais, comment il aurait pu le savoir ?! Il s’imaginait qu’en ayant lu ça dans son dossier, ça lui permettait de comprendre quelque chose sur cette histoire ? Elle s’était levée d’un coup, et se retrouvait à le pointer du doigt complètement énervée pour le coup.

« Alors c’est ça ? Je suis la pauvre petite fille à la vie catastrophique qu’il faut venir aider parce que sa vie à l’air complètement pourrie ?! Est-ce que… Elle avait levé les mains, tendues, près de son visage comme si ça lui permettait de réfléchir avant de se remettre à les agiter avec ses paroles. Est-ce que tu sais seulement de quoi tu parles ? Tu as lu une info sur un dossier à la con, d’une manière que j’ignore et ça donne le droit de comprendre ? »

Vraiment, mauvaise pioche avec ce sujet. Ce qu’elle avait fait, c’était ce qu’il y avait à faire mais ce n’était pas pour ça qu’elle le vivait bien. Au contraire. Ce mec débarquait d’elle ne savait où et, en plus, il lui rappelait ce qu’elle avait fait. Sa réaction était démesurée, illogique mais, c’était plus fort qu’elle.

« Qui pouvait, Elle leva les bras en penchant la tête en arrière comme si tout cela n’était qu’une vaste blague. EVENTUELLEMENT, avoir besoin d’aide. Elle reporta son regard sur lui. Si tu cherches quelqu’un à blâmer pour la vie que j’ai et qui ne semble pas rentrer dans tes critères, retourne voir ta mère ou trouve la mienne et accuses-les. Je n’ai pas besoin d’aide, je n’ai pas besoin qu’on me protège. Dans un haussement des d’épaules, ses bras retombèrent contre son corps. Je n’ai pas besoin de toi. »

Les choses n’étaient pas supposer se passer de cette manière. Mais, là, elle était hors d’elle ce qui pouvait se voir à sa façon de se tenir, de se crisper et de trembler légèrement. Est-ce qu’il savait le nombre de nuit blanche qu’elle avait passé à cause de cette histoire ? Le temps qu’il lui avait fallu pour ne pas avoir continuellement cette scène dans la tête. Lui dire qu’il pouvait tuer qui elle voulait, si ça lui faisait plaisir –enfin, il avait parlé de protection – c’était bien au-delà de sa conception des choses. Tuer n’avait jamais été anodin, et, lui il proposait ça comme si elle lui demandait si elle voulait bouffer un McDo. Et, ce qui l'enervait plus que tout c'est qu'il avait raison, qu'elle aurait préféré qu'il arrive avant, qu'elle n'ai jamais eut les raisons de se retrouver dans cette banque.

Quand quelqu'un faisait face à Ian, il lui arrivait d'être lassé. Pas que tout ça l'ennuie mais c'était difficile, il n'arrivait pas à bien s'exprimer, c'était comme réussir à faire fonctionner un vieux train sur de nouveau rails. Les roues ont pris une habitude que le progrès veut perturber. Il tâtonnait, marchait sur des braises ardentes. Alors même s'il écoutait, il leva les mains pour tenter de la calmer et parla en même temps qu'elle, sans pour autant élever la voix.

– D'accord, pardon d'avoir dit ça même si c'est vrai. Peu importe les infos que j'ai, il fallait que je te trouve, ton casier s'est imposé à moi comme un sapin de Noël un 24 décembre à 23h59 ! Je t'en prie, Hella, ta vie n'est franchement pas rêvée...

Il releva les yeux sur elle et soupira. Il était tellement désolé, il s'en voulait. Il devait lui dire quoi ? Que non, il n'avait jamais éprouvé de pitié pour elle à la vue de son dossier ? Ce serait mentir, il ne pensait pas un instant que agir de la sorte serait une bonne idée pour instaurer une confiance. Alors il la laissa lui "gueuler" dessus. Rien ne serait facile. Il n'était pas habitué à la facilité mais depuis son retour de guerre, il avait espéré que la vie serait plus fluide.

Notez qu'à aucun moment il ne parlait de son frère ou de ses parents. Probablement parce qu'il savait qu'Hella lui importait plus qu'à n'importe qui d'autre. Dans son monde à lui, on n'abandonne pas les enfants et on fait face à ses responsabilités. Ce que son frère n'avait pas fait, alors il avait perdu tous ses droits sur sa fille lorsqu'il avait décidé de l'abandonner. Son père ignorait toujours son existence, quant à sa mère, elle savait depuis le début et n'avait jamais rien fait. Alors oui... Il se considérait le seul à mériter d'entrer dans sa vie pour le moment. Et vice versa.

– Mais je le répète, je suis là maintenant. Je peux tuer tous les mecs qu'il faut si ça peut te prouver ma bonne foi, si ça peut t'aider, si ça peut te protéger ! Ca m'est égal ! Alors, je sais que c'est difficile, que je t'en demande vraiment beaucoup mais si j'ai une seule chose à te demander...

Il leva les mains en guise d'innocence et acquiesça doucement.

– C'est d'y réfléchir. Je vis à New York, je suis jamais bien loin. Je vais te dire... Je suis pas là pour te forcer, d'accord ? Disons que si un jour, tu as besoin...

Il se leva en sortant le papier avec son adresse dessus et il alla chercher un stylo pour y inscrire son numéro et son adresse. Il revint s'installer sur le canapé à côté d'elle et il lui tendit le papier. La balle était dans son camp.

– Appelle-moi, viens me voir. Ce sera ta décision. Réfléchis tranquillement, demande conseil autour de toi, tout ce que tu veux. Maintenant, je sais que tu existes, tu sais que j'existe, je peux être là pour toi si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis très serviable, il paraît. Si tu as des questions, si tu veux me frapper, me cogner, me provoquer en duel, tout ce que tu voudras. Prends ton temps, je suis pas vieux, j'ai encore plein de temps devant moi. Je ne te demanderai pas si tu veux de moi ou pas dans ta vie, tu vas me répondre à chaud, et je veux que tu y réfléchisses avant. Tu veux bien ?

Son casier un cadeau de noël. De mieux en mieux. Ça lui semblait tellement improbable qu’elle ne savait même pas ce qu’elle pouvait répondre à ce genre de chose. Il avait une façon bien à lui de mettre les deux pieds dans le plat. Et puis sur quel critère il se permettait de juger si sa vie était cool ou non ? Enfin, il avait raison mais, ça elle ne risquait pas non plus de l’admettre bien gentiment, et encore moins se mettre à fondre en larme pour aller chercher un câlin en guise de réconfort. Hors De Question !

Elle aurait voulu se calmer mais dès qu’elle en avait l’opportunité, il ressortait quelque chose qui ne fallait pas. Lui répéter qu’il était là, n’était pas une bonne idée. Lui dire qu’il pouvait tuer n’importe qui, l’était encore moins. Non seulement ça l’énervait mais en plus, elle perdait patience avec cette impression qu’il ne pouvait pas la comprendre. En réalité, elle ne lui donnait pas vraiment l’occasion de le faire mais, là, il venait de chambouler trop de truc et elle ne voulait qu’une chose : que ça redevienne comme avant. Quand elle pouvait s’inventer un tas d’histoire sur ses origines, quand elle trouvait des raisons justifiables face au fait qu’on ne l’avait jamais recherché. Quand, finalement, elle était libre de choisir la famille qu’elle avait envie.

Il parlait quand elle avait regardé la porte derrière lui, un signe avant-coureur pour lui demander de sortir par lui-même sans qu’elle n’ait à lui demander. C’est en croisant les bras, l’air fatigué et énervé par tout ça qu’elle reposa sur lui un regard qu’elle voulait parfaitement indifférent. Un peu comme si elle lui disait : « tu vois, je suis très bien seule » et lui, tout ce qu’il trouva à faire c’est de lui demander de réfléchir avant de lui tendre un papier. Hella, décroisa ses bras pour attraper le papier, l’air de le faire à contre cœur et, toujours debout.

« Oui, je risque d’en avoir besoin, je ne sais pas moi quand, j’aurais besoin de tuer quelqu’un dans ma vie, par exemple. »

C’était une adolescente alors, oui c’était puéril mais, c’était comme ça. Cela dit, elle n’avait pas été jeter le papier directement à la poubelle. Ces derniers temps, elle avait appris que garder le numéro de téléphone de quelques personnes pouvaient être utile. Et puis, elle était consciente d’être en colère et qu’elle n’était pas capable de voir les choses de manière calme et objective. Ça ne l’empêcha pour autant de tendre une main en direction de la sortie de son appartement.

« Je suppose que je n’ai pas besoin de te montrer la sortie hein ? Après tout, mon petit appartement tout pourri n’est pas très grand. »

Oui c’était gratuit, c’était de la mauvaise foi et c’était bien mal interpréter ce qu’il avait pu lui dire. Et alors ? Au moins de cette manière, elle était presque certaine qu’il ferait comme tout le monde. Qu’il se dirait qu’elle est juste insupportable, que ça vaut pas le coup de se battre pour elle et, hop, il retournerait dans sa petite vie, avec ses parents dans un autre état du pays et les choses retrouveront leur cours.

Revenir sur cette envie de le voir partir n’était pas une bonne idée, d’ailleurs elle ne le voulait pas. Là, elle avait besoin de rester seule, de réfléchir à ce qui venait de se passer et de comprendre ce qu’elle avait envie. Elle voulait que Phen rentre parce que, elle ne savait pas l’expliquer, mais il avait cette tendance à pouvoir la calmer et à faire en sorte que les choses paraissent plus simple.

Bien sûr que Ian l'énervait. Qui aimait entendre la vérité ? Ce n'était pas un menteur, il n'aimait pas ça. Alors bien sûr, toute vérité n'est pas bonne à dire, cela dit, il en avait connu des cas dans la vie. De la plus idiote des filles à la plus difficile. Son frère n'était pas facile à vivre, quant à son ex... Hella était un ange à côté. Avant qu'elle n'éprouve sa patience, Hella aurait le temps de le voir rire et se moquer d'elle. Il avait l'habitude. Face à ce genre de situation, il fallait... Inspirer profondément, se recroqueviller sur la tornade, attendre qu'elle passe et revenir ensuite avec des fleurs ! Ou ici, dans le cas présent, une jolie Mini Cooper. Ou un nouvel ordinateur ! C'était une adolescente : alors une belle robe.

Le fait qu'elle le repousse la rendait d'autant plus attractive, contrairement à ce qu'elle croyait. Ian préférait qu'elle résiste plutôt que l'inverse, dans un sens. Au moins elle montrait du caractère et confirmait qu'elle était bien de sa famille. Et puis, de cette manière, et bien tout simplement, elle lui plaisait. Il aimait les filles de caractère alors sa fierté pour elle s'esquissait doucement. Mais il aurait été vraiment très maladroit de se mettre à sourire alors, il leva les mains en guise de reddition et fit un pas en arrière. Elle avait ce qu'il voulait : son adresse et son numéro. Bon, il n'irait probablement tuer le premier venu, cependant, si elle était en danger ou en difficulté, s'il le fallait pour la protéger alors oui, il le ferait. On ne tourne pas le dos à la famille. Jamais. Aussi ironique que ça puisse paraître, c'était son frère qui lui avait appris cet adage.

– D'accord. Ca va. Je m'en vais.

Il jeta un nouveau regard sur l'appartement. Il avait connu tellement pire. Ce n'était pas un palace mais il se mit à sa place, c'était son palace. Elle était débrouillarde, elle avait du caractère, savait se défendre, elle était digne d'un Marshall, peut-être plus qu'elle ne le pensait. Mais non, il ne l'abandonnerait pas, comme son frère. Il avait ce pour quoi il était venu : elle. Et maintenant, il ne reculerait plus. Bientôt, il reviendrait à la charge. Plusieurs fois s'il le fallait. Il essuierait un minimum de refus avant de lâcher l'affaire mais s'il percevait un seul mensonge fait à elle-même alors il persévérerait. C'était comme ce bout de papier... Elle aurait pu lui jeter à la figure mais elle n'en avait rien fait. Doucement, il ouvrit la porte et lui offrit un léger sourire.

– Je le trouve très bien, cet appartement. Fais attention à toi, Hella...

Il baissa la tête et sortit de l'appartement. Elle avait gardé les plaques de son frère. Ce qu'il espérait, c'est que ça la ferait réfléchir, qu'elle reviendrait vers lui sous peu, qu'ils pourraient discuter plus calmement, trouver une solution à deux, apprendre à se connaître, pourquoi pas ? Ils pourraient se reconstruire à deux, non ? A ses yeux, Hella était une chance, une porte ouverte à une nouvelle vie. Au moment où il songeait à se ranger... La voilà qui entrait dans sa vie. Elle incarnait une sorte de rédemption. Si elle ne revenait pas vers lui... Alors il reviendrait. C'était une promesse.