Que faisait-il ici ? Il ne savait pas lui-même. Il ne pouvait pas prétendre être venu chercher une tranquillité que son appartement lui apportait sans problème chaque soir… chaque nuit… chaque jour qu’il y passait quand il n’avait pas prendre son poste à l’université. Personne ne venait jamais le voir et cela lui convenait très bien. C’était même tout ce qu’il avait cherché depuis qu’il était arrivé dans cette ville. Alors pourquoi diantre avait-il ressenti le besoin de venir à cet endroit ?

La solitude dont il s’entourait représentait son seul rempart contre quelque chose qu’il ne contrôlait pas. Et tant qu’il n’aurait pas réussi à comprendre, à maitriser ce dont il était capable, il s’était juré de ne jamais laisser sa cuirasse se fissurer. Jamais. Jamais plus. Et pourtant…

La nuit était tombée depuis longtemps. Malgré la lumière de la ville proche, les étoiles tapissaient le ciel de New York de leur scintillement obstiné. C’était curieux. Pendant des années il avait passé des heures à les observer sans plus de prétention que de vouloir découvrir par lui-même les merveilles qu’elles recelaient. Mais après… l’accident… le regard qu’il portait sur bien des choses avait changé, et il n’était plus arrivé notamment à trouver aucune beauté dans cette manifestation d’une nature qui s’était si cruellement joué de lui. D’autant plus durant les rares moments où il laissait son esprit divaguer, les pensées lui venaient alors n’avaient absolument rien de réjouissant. Et pourtant…

Il savait parfaitement que le sentiment d’être seul sur cette plage n’était qu’une illusion. Il avait eu beau se réfugier dans le coin le plus reculé qu’il avait pu trouver, il sentait la présence de ses congénères. Le bruit notamment d’éclats de voix lointains parvenaient jusqu’à lui, et même le ressac n’arrivait pas à les masquer complètement. La plage n’était jamais totalement déserte. Il s’y trouvait toujours quelques étudiants attirés par le mythe de la fête sur le sable ou du bain de minuit. Si cela leur faisait plaisir, il leur laissait volontiers ce loisirs. Toutefois, il s’estimait suffisamment isolé pour que personne ne vienne le déranger. Il ne voulait voir personne. Personne ne devait l’approcher. Ici comme ailleurs. Et pourtant…

William contempla la bouteille qu’il tenait à la main. Ce qu’il s’apprêtait à faire, il se l’était interdit depuis des années. Cela faisait partie des règles qu’il s’imposait : ne jamais, jamais, boire en public. Il avait déjà bien du mal à garder le contrôle de ses émotions sans corser la difficulté en s’enivrant. Mais cela ne ferait qu’une règle de plus qu’il allait enfreindre. Après tout ces derniers jours il avait laissé pratiquement toutes voler en éclat, alors une de plus ou de moins !

Les cachets avaient cessé leur effet. Il avait dû prendre un taxi pour venir ici et comme à son habitude il s’était shooté suffisamment pour pouvoir supporter le trajet. Le temps, l’air du large et la marche à pieds pour arriver ici avait achevé d’éliminer le produit, et cela avait également pour conséquence de laisser ressurgir ses craintes. Que fichait-il ici !!!

* Arrête de jouer les innocents. Tu le sais parfaitement. *

Depuis qu’il avait revu Emma, il tournait dans son appartement comme un lion en cage. Il aurait dû mettre un terme à tout cela, la chasser de ses pensées. Il n’y était pas parvenu, et il était parfaitement conscient de la raison : il ne le voulait pas. Et cela le hantait. Le risque de voir le passé se reproduire aurait dû le stopper immédiatement. Cela avait toujours été le cas… jusqu’à présent. Mais avec elle tout avait volé en éclat, et il était heureux. Une joie dont il avait honte. Sa tête allait exploser ! Il fallait qu’il prenne l’air !

Errer dans les rues, certainement pas. Alors où ? La plage lui avait paru une bonne idée. Maintenant qu’il s’y trouvait, il n’en était plus tellement persuadé. Il n’avait pu s’empêcher de jeter régulièrement un œil méfiant autour de lui, mais les heures s’étaient écoulées sans que quiconque ne s’intéresse à lui. Il n’avait trouvé aucune réponse à ses questions, bien entendu. Mais au moins, étant certain que personne ne se tenait trop près de lui, il pouvait laisser libre cours à ses émotions. Il n’avait pas à épuiser ses nerfs afin de canaliser le conflit perpétuel entre son cœur et sa conscience.

Il tourna lentement le bouchon qui fermait la bouteille de bourbon. Boire ce breuvage au goulot était une hérésie, mais il ne se souvenait même plus ce qui l’avait poussé à le mettre dans son sac en sortant. Alors penser à prendre un verre n’avait pas dû être à ce moment là au centre de ses préoccupations. De toute façon, à moment précis et curieusement pour lui qui d’habitude se réfugiait derrière des habitudes de vieux garçon, cela n’avait pas d’importance. Il pu presque sentir l’alcool s’écouler lentement en lui. William leva à nouveau les yeux. Les étoiles brillaient, d’un éclat qui lui paraissait bien terne à côté de celui de la jeune femme qui troublait son esprit. Mais elles se mirent tout à coup à reformer les constellations de son enfance. Ce qui n’était devenu pour lui qu’un ensemble d’astres disparate reprenait ce soir un semblant de vie. Il se laissa entrainer dans la profondeur de la voute céleste, et perdit un moment la notion du temps.

Les heures étant passées sans qu’il soit dérangé d’une façon ou d’une autre, William avait fini par considérer sa tranquillité comme acquise. Grossière erreur. Très grossière erreur. Il ne savait pas ce qui lui était rentré dedans, mais cela sonnait indubitablement le glas de sa quiétude. Instantanément ses nerfs se remirent au garde à vous. Il se figea dans une attitude attentive, tentant de déterminer en catastrophe ce qui avait bien pu se produire. Cela se traduisit notamment par un superbe rentré de tête dans les épaules du plus bel effet, comme si cela pouvait d’une quelconque façon réduire les risques !

Il venait à peine d’entamer le contenu de la bouteille qu’il tenait à la main. Il ne pouvait donc pas mettre sur le dos de l’alcool le manque de vigilance dont il venait de faire preuve. Son esprit s’était déconnecté tout seul, comme un grand. Quel abruti il faisait ! Il était donc incapable de retenir la moindre leçon ! Il savait bien pourtant qu’il ne devait en aucune façon relâcher son attention ! Et puis de toute façon il n’aurait jamais dû venir ici. C’était un risque inutile et totalement inconsidéré. S’il avait osé bouger, il se serait giflé !

Ses yeux balayèrent frénétiquement l’espace autour de lui, avant de se poser sur une jeune femme occupée à épousseter le sable qui était venu notamment se loger dans sa chevelure. Nul besoin d’être un grand devin pour en déduire ce qui venait de se passer. L’obscurité ne permettait pas au mutant de la distinguer clairement. Voilà un pouvoir qui serait utile ! Voir dans le noir… Et puis cela ne pouvait nuire à personne. Utile et inoffensif. Ca, cela aurait été génial. Pas comme la capacité moisie dont il s’était retrouvé doté sans avoir jamais rien demandé. Mais il n’avait pas le choix, et devait faire avec… ou plutôt essayer de ne rien faire avec, ce qui somme toute s’avérait encore plus compliqué.

Sur ce coup là, il s’était laissé prendre par surprise. Mais heureusement, et peut-être finalement pour la même raison qui avait amené son esprit à divaguer, il n’avait pas paniqué lors de ce contact malencontreux. Il y avait donc de fortes chances que son pouvoir ne se soit pas déclenché. C’était déjà cela de gagné. Restait maintenant à faire en sorte que cela continue ! Et pour cela, le mieux était de décamper aussi vite que possible.

Il n’avait toujours pas esquissé le moindre geste. Il ne savait pas à quoi pensait la cette jeune femme, mais la façon qu’elle avait de le regarder ne lui disait rien qui vaille !

_ Navré de vous être rentré dedans, j'étais distraite et je ne vous ai pas vu.

* Arrête de t’inquiéter pour rien. Tu vois ! Elle est très aimable. *
* Raison de plus pour ne pas trainer ici. *
* Pourquoi ? Ca te gênerait moins de prendre des risques si elle était malpolie ? *
* Mais non ! C’est juste que cela débouche plus facilement sur une conversation. Et ça, il vaudrait mieux l’éviter ! *

Il ne savait pas qui elle était, mais elle devait tout de même se demander sur quel olibrius elle était tombée, pratiquement au sens propre du terme d’ailleurs, vu qu’il n’était toujours pas arrivé à sortir un mot. Il ne pouvait tout de même pas rester là sans rien dire. Mais avant qu’il se soit enfin décidé à réagir, elle avait repris.

_ Vous savez que si vous buvez trop ici on risque de vous retrouvé noyé dans la mer?

William mit quelques secondes à réaliser de quoi elle parlait. Dans un reflexe stupide de gamin pris en faute, il faillit ranger la bouteille dans son sac. Mais il interrompit son geste aussitôt et son regard se posa sur le flacon. Lui qui s’était fixé comme règle de ne plus jamais boire en dehors de chez lui passait pour le poivrot du coin la première fois qu’il y dérogeait ! C’était à mourir de rire… ou pitoyable. Et puis zut ! Après tout de quoi se mêlait-elle ? Il ne lui avait pas demandé de venir lui marcher dessus !

Il laissa échapper un mince sourire. Quelques jours seulement auparavant, périr noyé ne lui aurait sans doute pas paru une si mauvaise solution bien qu’il se sache suffisamment pleutre pour ne pas y arriver, même complètement bourré ! Seulement aujourd’hui… quelque chose en lui réagissait brutalement à la simple évocation de cette idée. La vie l’attirait à nouveau… et cela le terrifiait.

Relevant la tête, il se décida enfin à sortir de son mutisme. Après tout, se montrer discourtois n’apporterait rien, et William se rendait à présent compte que la dernière remarque de la jeune femme pouvait n’être que le reflet d’une inquiétude à son propre sujet.

« Il n’y a pas de mal. Juste… une probabilité très faible… que cela se produise. »

Qu’est-ce que les probabilités venaient faire là-dedans ? Il ne pouvait donc pas répondre normalement ! Et en s’abstenant d’hésiter tous les trois mots, se serait encore mieux ! A chaque fois c’était la même chose. Il n’arrivait pas à s’exprimer simplement, et quand il s’adressait à une personne qu’il ne connaissait pas, cela atteignait des sommets. Il prit une courte inspiration avant de poursuivre.

« Et rassurez-vous… je n’ai pratiquement rien bu. »

Il s’abstint de rajouter qu’à présent il n’allait certainement plus boire du tout ! Il avait déjà bien assez joué avec le feu !

« C’est très aimable à vous… de vous en inquiéter. J’espère que vous ne vous êtes pas… blessée ? »

Après qu’elle soit tombée, il n’avait pas émergé de sa rêverie assez vite pour l’aider à se relever. Et puis de toute façon cela n’aurait pas été une bonne idée. Son pouvoir s’activait déjà suffisamment n’importe comment pour qu’il ne s’amuse pas à augmenter les risques en approchant cette personne. C’était sans doute une précaution inutile étant donné que rien n’avait jamais prouvé que le contact physique puisse aggraver les choses. Mais il valait mieux pécher par excès de précaution que par imprudence. Il ne bougea donc pas plus maintenant. Et si elle prenait cela de travers, et bien tant pis.

« Il n’y a pas beaucoup… de lumière… de ce côté de la plage. Et on ne s’attend pas vraiment… à croiser quelqu’un. »

Pourquoi diantre restait-il là à lui parler ? Certes il n’y avait pas foule autour d’eux, mais cette raison n’était pas suffisante. Ce n’était pas parce que la situation restait gérable qu’il fallait forcément qu’il se laisse aller ! Et pourtant… il ne bougeait toujours pas.

Malgré la pénombre, William distingua la réaction qu’eut la jeune femme quand il lui affirma n’avoir presque rien bu. En doutait-elle ? Il ne pensait pourtant pas avoir spécialement l’air éméché, mais le fait qu’il resta consciencieusement assis ne devait pas jouer en sa faveur. Mais la réponse qu’elle lui fit après qu’il lui eut demandé si elle ne s’était pas blessée le rassura sur ce point.

_Nan ne vous inquiété pas le sable ma joliment accueillie je n'ai rien. Je suis contente que vous n'ayez pas trop bu, bien que je sache nagé convenablement je déteste la mer et je serais incapable de faire un massage cardiaque ou du bouche à bouche.

Oh fichtre ! Encore heureux qu’ils ne se soient pas trouvés dans cette situation ! Il n’osait même pas imaginer perdre le contrôle à ce point là ! Et puis… un contact aussi… proche… surtout pas. Il pria intérieurement pour que cette jeune personne ne soit pas télépathe, car elle aurait pu se méprendre sur ses pensées. Elle n’y était pour rien. Il n’avait plus touché quelqu’un de cette façon depuis… quelques jours seulement en fait ! Ce qui s’était passé sur le parking de la statue de la liberté, cela avait été… déraisonnable… pour le moins. Il devrait le regretter et tout faire pour que cela ne se reproduise pas. Mais non. Il s’apprêtait à revoir Emma, et qui pouvait dire quelles limites il allait encore irresponsablement franchir.

En tout cas ce n’était pas le problème de la jeune personne ici présente. William se demanda ce qu’elle faisait ici si elle détestait la mer comme elle l’affirmait. Lui-même ne s’y rendait plus très souvent, mais il appréciait la plage. Que pouvait-elle trouver à cet endroit pour y venir, qui plus est à une heure aussi tardive. Avait-elle, elle aussi, besoin de s’isoler pour laisser libre cours à ses pensées ? Auquel cas elle ne devait pas être ravie non plus de se retrouver dans cette situation. Elle lui confirma en tout cas qu’elle ne s’était pas attendue à trouver quelqu’un.

_ C'est vrai, c'est une des raisons qui ma poussé a venir par ici. un bonne partie de la plage est réquisitionné par des jeunes en manque de fête et leur façon de s'amuser m'ennuie. C'est vrai que je ne pensais pas croisé quelqu'un ici mais j'imagine que je ne dois pas être la seule a chercher le calme de cet endroit.

Elle cherchait donc le calme, et cela convenait parfaitement à William. Apparemment, elle avait décidé de s’accommoder de sa présence car elle s’assit, le nez levé en direction des étoiles. Il aurait bien entendu préféré rester seul, mais puisque visiblement aucun d’eux deux n’avait l’intention de s’agiter, il n’y avait pas de raison pour qu’il n’arrive pas à gérer la situation.

William prit alors quelques secondes pour mieux observer sa voisine de plage. Soit elle se donnait un style, soit elle ne devait pas rouler sur l’or. Ceci dit, mis à part les trous dans son pantalon, il ne présentait guère mieux. Son T-shirt gris devait dater de son arrivée à New-York et l’aspect délavé de son jean était réellement dû au nombre de lavages qu’il avait subi et pas à un effet de mode. Seules ses chaussures étaient relativement neuves. Etant donné qu’il marchait beaucoup, bien obligé étant donné qu’il n’avait pas de voiture et n’allait certainement pas s’aventurer dans la circulation en vélo, c’était un accessoire qu’il usait rapidement. Ceci dit les espèces de choses en toile qu’il portait aux pieds n’avaient pas grand-chose pour elles. Il faudrait vraiment qu’il se décide à faire un effort vestimentaire.

Quelque chose étonnait quand même le mutant. Elle semblait bien jeune, et il l’aurait plus imaginée en train de faire la fête quelque part plutôt que seule à contempler le ciel nocturne. Qu’avait-elle dit déjà à propos des groupes de jeunes ? Que leur façon de s’amuser l’ennuyait. Il repensa à sa cousine qui l’avait traité de « vieux précoce ». Qu’aurait-elle dit de cette jeune fille ? Bah. Lui pouvait parfaitement comprendre que l’on ressente le besoin de se retrouver seule. Enfin… en ce qui le concernait, c’était plutôt une nécessité, mais au final cela ne changeait pas grand-chose.

Un petit silence s’instaura, laissant la litanie des vagues reprendre le dessus. William ressentait à travers cette sorte de bercement perpétuel un engourdissement de ses pensées propice à une quiétude tant souhaitée. Mais cela ne durait jamais bien longtemps. Il revenait toujours rapidement à la réalité et son cortège de questions sans réponses. Tout en continuant de contempler le jeu de l’écume des vagues, il reprit la parole d’un ton lent qui masquait mal la tension qui l’habitait toujours en présence de quelqu’un.

« Non. Vous n’êtes pas la seule. Le calme est devenu… une denrée rare de nos jours. Au fait… Je m’appelle William. »

Quitte à ce qu’ils campent ensemble sur cette plage un petit moment, autant se présenter un minimum. La bienséance aurait voulu qu’il donne aussi son nom de famille, mais nonobstant le fait qu’il n’en voyait pas l’intérêt, cette même bienséance aurait demandé qu’il lui serra la main ce qu’il se refusait à faire en général à moins d’y être vraiment contraint. Alors du coup il n’était plus à ça près.

« Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’il ne soit pas venu à l’idée d’autres personnes de venir chercher ici un peu de tranquillité. »

Ouf. Enfin une phrase correcte qui, même si elle reflétait un souhait réel, n’en était pas moins teintée d’une tentative d’humour maladroite. Cette réflexion en amena une autre à l’esprit de William.

« C’est curieux. Nous avons beau faire… rien ne se passe jamais comme nous l’avions… prévu. »

Il avait failli dire « comme nous l’avions souhaité », mais cela n’aurait pas été correct. Entre ce que l’on souhaite et ce que l’on est réduit à faire, il y a souvent une grande différence.

Toujours tourné vers la mer, William aperçut du coin de l’œil la jeune femme acquiescer au fait que rien ne se passait jamais comme prévu.

_ Vous avez raison la vie ne décide jamais comme on le veux ou on le prévoit. Elle nous oblige toujours a nous remettre en cause nous et notre avenir. Les évènements nous tombe dessus qu'ils soient bon ou mauvais ou même les deux ils bouleversent systématiquement nos plan. D'ailleurs je suis navré de venir perturbé votre moment de solitude, je conçoit en effet que les moments et les endroits calmes sont de plus en plus rares...

Ca pour ce qui était de lui tomber dessus, William commençait à se dire que le destin appréciait grandement ce moyen d’expression. Le destin… la vie… on pouvait appeler cela comme on le voulait, en tout cas cela jouait avec eux comme avec des pantins. Quelle marge de manœuvre avaient-ils là-dedans ? Ce serait si simple de se dire qu’ils n’y étaient pour rien et qu’ils n’avaient aucune prise sur ce qui arrivait. Et si lâche également. Non… les vrais aléas étaient rares. Le reste n’était dû qu’à des erreurs. Mauvaise préparation, mauvaises informations… mauvais choix.

Ce soir par exemple, inutile de mettre ce qui s’était passé sur le dos de la fatalité. Il s’était laissé surprendre, voilà tout. Les conséquences s’avéraient heureusement a priori minimes, mais son inattention aurait pu être à l’origine d’une situation bien plus compliquée. Il était fort possible qu’au lieu de reprocher à la vie un nouveau mauvais tour, il ait au contraire à la remercier d’avoir minimisé les dégâts !

Cette pensée inhabituelle laissa le mutant perplexe. Remercier la vie n’était vraiment pas une chose qui lui était venu à l’esprit ces dernières années. Elle lui avait pris tout ce qu’il possédait, tout ce qu’il était… et bien plus. Tout avait été balayé en quelques secondes, parce que quelque chose s’était réveillé en lui qu’il ne contrôlait pas. Alors être reconnaissant envers le destin n’avait plus été à sa portée depuis belle lurette, et il était stupéfait de ne serait-ce qu’y songer. Et pourtant… quelque chose en lui semblait prêt à s’y laisser prendre. Etonnant. Et stupide.

Chassant cette idée saugrenue de son esprit, il revint à ce que venait de lui dire la jeune femme. Visiblement elle aussi avait connu des bouleversements dans sa vie, et il espérait sincèrement qu’ils ne soient pas de la même nature que les siens. Oh bien entendu il ne se pensait pas le nombril du monde, et était parfaitement conscient que certaines personnes avaient une existence bien plus terrible que la sienne. Mais que celui qui lui reprocherait son attitude aille expliquer ce qui s’était passé à Myriam, et après ils en reparleraient.

L’amertume qui envahissait ses pensées se dissipa légèrement et entendant celle qui avait perturbé son isolement s’en excuser. Il était de plus en plus rare de rencontrer des personnes qui acceptaient son besoin de s’isoler. Beaucoup ne respectaient pas cette décision. Certains s’en inquiétaient, parfois avec la meilleure volonté du monde, d’autant plus qu’il n’en donnait jamais la raison réelle. Comment l’aurait-il pu ! Personne n’était au courant de ce qu’il avait fait, ou même de ce dont il était capable. Enfin… plus maintenant. Emma connaissait son histoire. Cela lui faisait une sensation curieuse de penser que maintenant il n’était plus seul à savoir. Il aurait dû trouver cela dérangeant. Il avait remis une partie cruciale de sa vie dans les mains d’une personne qu’après tout il connaissait fort peu, et pourtant ce n’était pas cela qui l’inquiétait. Il y avait des fois où il ne se comprenait pas lui-même !

_ je m'appelle Helena, enchanté de vous connaitre malgré notre rencontre légèrement violente. J'espère que je ne vous dérange pas trop? Vous vouliez être seul non?

Helena. Elle aussi semblait trouver que son prénom suffisait à cette rencontre impromptue, et il se demanda si elle devinait à quel point il appréciait le fait qu’elle ne se soit pas lancée dans une accolade quelconque. La façon dont elle qualifia leur rencontre fit naître sur le visage du mutant un petit sourire, qui se dissipa quand elle lui demanda s’il avait voulu rester seul.

Cette question avait tellement de sens. Bien entendu il aurait voulu être seul. Ici. Il était venu pour cela. Il avait tout fait pour l’être depuis plusieurs années, repoussant les personnes qui avaient cherché à l’approcher. Il ne pouvait… il ne devait répondre que par l’affirmative. Mais s’il se posait autant de questions en ce moment, c’était justement dû au fait qu’il n’était plus aussi certain de cette réponse. Pas dans tous les cas. C’était nouveau… et perturbant. William ramassa un petit caillou qu’il envoya d’un geste sec en direction de l’eau. Le petit « plouf » qui en résulta sembla raisonner dans sa tête. Il fit le choix de rester factuel.

« Je désirais être seul en effet. Mais… vous ne me dérangez pas. »

Une nouvelle petite pierre alla rejoindre la première. Quand le besoin s’en faisait sentir, raconter des histoires était parfaitement dans ses cordes. Il en avait pris pas mal l’habitude d’ailleurs depuis qu’il était arrivé dans cette ville. Mais quand ce n’était pas nécessaire, William préférait rester proche de la vérité, quitte à omettre certains détails, ce qui était moins compliqué.

« Je ne sais pas vraiment… ce que je suis venu chercher ici. Alors je ne vais pas prétendre que votre venue perturbe ma méditation. On a souvent l’impression que… le silence aide à trouver des réponses. Je crains… qu’il n’apporte en fait que de nouvelles questions. »

Troisième caillou… troisième plouf.

William vit la jeune femme allumer une cigarette. Chacun ses vices. Il n’avait pas celui-là, mais du moment qu’elle se tenait loin de lui elle était libre de faire comme bon lui semblait. Certains pensaient que l’alcool ne valait pas forcément mieux que le tabac, et dans l’univers clos de son appartement il lui arrivait parfois d’en abuser plus que de raison.

Helena, puisqu’elle s’appelait ainsi, semblait absorbée dans ses pensées. Pourtant elle ne tarda pas à relancer la discussion étrange dans laquelle ils s’étaient lancés.

_ Je ne sais pas non plus ce que je fais ici, comme je vous l'ai dit je déteste la mer... Au moment ou j'ai mis le pied sur la plage je me suis demandé ce que je faisais ici. Je me le demande toujours en réalité... Mais j'ai abandonné... Si je n'arrive pas a répondre a mes questions dans l'immédiat, je laisse la vie faire. Je les rejettes, j'attends une réponse ou de nouvelles questions qui viendront les recouvrir. Le silence n'est qu'un moyen de se retrouvé et de faire le point si on se plonge trop dans nos interrogations on en perd le fil et la tête en même temps ...

A la différence d’Helena visiblement, William avait du mal à renoncer à trouver des réponses à ses questions. Au mieux, il parvenait à les repousser tant bien que mal en arrière plan… pour les voir ressurgir quelques heures plus tard. Se laisser faire, par la vie ou quoi que soit d’autre, ne faisait pas partie des possibilités qu’il s’était données. Bien au contraire, il avait pris le parti de chercher à contrôler le plus possible ce qui composait son univers, et de rejeter le reste. C’était très simple, sur le papier, et cela n’avait pas fonctionné si mal que cela pendant ces dernières années, à tel point qu’il avait commencé à se demander si cela ne durerait pas éternellement. Il savait maintenant que non. La muraille dont il s’était entouré s’était révélée totalement inefficace face à Emma. Quoi que… ce n’était pas tout à fait vrai, et c’était sans doute le plus effrayant. Il avait eu un bref aperçu des capacités d’Emma, et ne se faisait aucune illusion. Si elle avait voulu le persuader de se laisser faire, il n’aurait pu lui opposer aucune résistance. Mais il savait, au fond de lui, que ce n’était pas le cas. Ses terreurs étaient toujours présentes. Elle n’avait pas cherché à abattre ses remparts. Elle l’avait simplement touché là où il ne pensait plus être vulnérable. Il avait ensuite lui-même ouvert la porte. Tellement simple que s’en était imprévisible. Et il avait l’étrange impression qu’elle non plus ne l’avait pas prévu.

William ne pouvait qu’approuver la dernière phrase d’Helena. Toutes ces interrogations qui l’obnubilaient finissaient par lui faire perdre la tête. Mais il n’arrivait pas à chasser cette peur insidieuse qui l’amenait sans cesse à chercher un moyen de ne pas voir le passé se reproduire. Il ne pouvait pas laisser une telle chose arriver. S’y résigner était au-dessus de ses forces.

Le soupire d’Helena le ramena à la réalité. C’était un bonne chose. Il fallait vraiment qu’il se surveille. Les pensées dans lesquelles il venait de se laisser aller avaient tendance à raviver ses émotions, et ce n’était pas le moment. Il prit une discrète inspiration profonde tandis que la jeune femme reprenait.

_enfin c'est mon point de vue... C'est plus facile a dire qu'à faire ...Je prend la vie au jour le jour. Après tout après le bas il y a toujours le haut n'est pas ?

William avait surtout pu constater qu’après le haut il y avait le bas. L’autre sens… il voulait y croire, mais n’y arrivait pas vraiment. Quelque chose allait mal tourner, forcément. Quant à prendre la vie au jour le jour, c’était tout bonnement impossible pour lui. Il planifiait… tout… tout le temps. La spontanéité n’était pas vraiment son fort, et c’était un euphémisme. Mais bon. Il fallait bien qu’il s’adapte aussi de temps en temps. Comme ce soir par exemple. D’ailleurs il trouvait qu’il ne s’en sortait pas si mal que cela.

« Je ne sais pas si c’est toujours le cas. Espérons-le. Le souci est que, parfois, remonter peut faire peur. D’autant plus que le problème n’est pas forcément de chuter… mais plutôt de savoir ce que l’on va entraîner avec soi. »

* Tu ne peux pas te montrer autrement que rabat-joie de temps en temps ? *
* Je ne fais que dire ce que je pense. *
* Ben arrête de penser. *
* Gnagnagna…*

William essaya de sourire. Le résultat était franchement crispé, mais c’était toujours mieux que rien. Réalisant qu’il tenait toujours sa bouteille à la main, il la tendit vaguement en direction d’Helena.

« Heu… si vous en voulez… c’est du Bowmore… un whisky écossais. Evidemment, les conditions ne vont pas lui faire honneur, mais… heu… »

* Bon… ok… remets-toi à penser… *

_ J'avoue ne pas connaitre se sentiment... Disons que je n'ai jamais rien eu à emporter avec moi et ma chute était disons un peu prémédité. Je l'ai voulu bien que ce soit un de ces fameux évènements qui m'est donné une excuse. Certaines chutes nous emmènent bien bas mais parfois le bas du haut sont pas ceux qu'on crois personnellement mon bas a été mon haut également... Étrange n'est pas ?

Cette jeune fille était décidément bien surprenante. Elle tenait un discours qu’il n’aurait pas attendu de la part d’une personne aussi jeune. Elle avait quoi… une vingtaine d’année ? Que lui était-il arrivé pour qu’elle ait acquis la maturité nécessaire à la tenue d’un discours pareil ? Mais il était bien placé pour savoir que certains événements pouvaient vous transformer rapidement. Il n’avait pas idée de la teneur de celui auquel elle avait fait allusion, mais cela n’avait pas l’air d’avoir été réjouissant. Elle avouait cependant que ce n’était pas cela qui l’avait entrainée dans sa chute… qu’elle l’avait elle-même prévue. En cela, ils différaient fortement. Il menait une petite existence bien tranquille qui s’était écroulée en un instant, et il n’avait rien pu faire pour s’y opposer.

Toutefois, ce que venait de raconter Helena ravivait l’une des nombreuses interrogations qui revenaient inlassablement chambouler les pensées du mutant. Il préférait souvent se réfugier derrière le fait que les possibilités qui s’étaient offertes à lui après l’accident avaient été fort réduites, et que s’isoler avait été le seul choix raisonnable. Et s’il s’était trompé ? N’y avait-il vraiment eu aucune alternative sensée ? Que se serait-il passé s’il avait révélé sa condition de mutant après s’en être lui-même rendu compte ? Au final il avait effectivement fait un choix qui l’avait amené vers la situation dans laquelle il se trouvait. Pas vraiment prémédité, pour reprendre le terme employé par la jeune fille, mais fait en toute connaissance de cause. Alors à quel point étaient-ils si différents que cela ?

Impassible, comme il s’était habitué à l’être dans la mesure du possible, William laissa ses réflexions passer en second plan. Il ne s’arrêtait jamais vraiment de réfléchir. Tout au plus il parvenait à prioriser ses pensées en fonction des contraintes du moment. En à cet instant précis il avait voulu se montrer un peu plus ouvert en proposant, à sa façon maladroite, de partager la bouteille de whisky qu’il avait apportée. Visiblement cela sembla tenter Helena qui s’en saisit.

_ Je ne suis pas certaine de lui faire honneur moi même. je dois avouer que le whisky ce n'est pas mon fort.

Ah. Bien peu nombreux étaient ceux qui savaient apprécier cet alcool à sa juste valeur. Ceci étant dit… chacun ses goûts. Au moins elle avait l’honnêteté de ne pas se prétendre amatrice. Et puis sait-on jamais… un déclic pouvait toujours se produire ! William la regarda boire une gorgée et se fit la remarque qu’aucun rictus, même discret, n’avait fait suite. Si elle n’était pas amatrice de whisky, elle semblait toutefois être habituée aux alcools forts.

Helena le remercia et lui rendit la bouteille. Habitué comme il l’était à éviter tout contact, il ne pouvait que remarquer le soin similaire qu’elle avait mis dans son geste. De là à en déduire quoi que ce soit, il y avait un pas que William ne pouvait franchir, mais il trouva tout de même cela rassurant. Il n’y avait pas que lui qui avait ce genre de comportement, et en un sens c’était réconfortant. Le sourire de la jeune fille acheva de conforter la normalité de la chose, et évita à William de laisser sa curiosité naturelle se demander pourquoi elle prenait elle aussi ce genre de précaution.

Hésitant, il failli se laisser aller à reprendre un peu de whisky. Mais il avait déjà bien trop tiré sur la corde. Il avait érigé en règle absolue de ne jamais boire en dehors de chez lui. Il y avait déjà bien des raisons de perdre le contrôle de ses émotions sans y ajouter l’ébriété. Il avait déjà ce soir enfreint cette règle, quand il se croyait seul. Mais la présence d’Helena changeait la donne. Venir ici avait déjà été stupide, pas la peine d’en rajouter en faisant courir des risques à cette jeune personne. Lentement, il reposa la bouteille après de lui, la calant dans le sable froid.

Il repensa à ce qu’avait dit Helena. Son bas avait été son haut. Du point de vue de William, a priori c’était absurde. Bien entendu on pouvait toujours remonter la pente, mais de là à admettre que cela puisse être un bienfait ! Il avait vraiment du mal à concevoir une chose pareille.

Comme en réponse, l’image d’Emma apparu devant ses yeux et William se figea un instant. Oui… s’il avait continué à mener sa vie d’avant, il ne l’aurait probablement jamais rencontrée. Or il avait pris conscience ces derniers jours de n’avoir jamais été aussi heureux. Alors ? Non… il ne pouvait admettre cela ! Envisager une relation de cause à effet serait intolérable. Cela reviendrait à payer son bonheur un prix beaucoup trop élevé. C’était totalement inconcevable.

* Petite question. Si cela pouvait faire revenir Myriam… renoncerais-tu à Emma ? *

Il fallait qu’il reprenne le contrôle de ses pensées… et vite ! Laisser ce genre de questionnement l’envahir n’allait mener à rien de bon. Pourtant… la réponse à cette question aurait dû être évidente. Il était prêt à tout pour faire revenir Myriam. Il l’avait été. Il devrait toujours l’être. Alors pourquoi hésitait-il ?

Il était venu ici pour tenter de trouver des réponses, et il n’avait réussi qu’à obtenir une nouvelle question encore plus terrible que les autres ! William inspira longuement et tenta tant bien que mal de remettre son cerveau en ordre de marche. Il lui faudrait affronter cette question un jour… il se doutait de la réponse. Mais pour le moment il devait se calmer, et le mieux était peut-être de laisser libre cours à sa curiosité concernant la situation d’Helena, car quelque chose l’intriguait. Il se tourna vers elle, mais une crainte absurde de trop se dévoiler l’incita à veiller à ne pas croiser son regard.

« Etrange… je ne sais pas. Ce sont des situations… compliquées. Vous… vous n’avez jamais été tentée de… trouver un moyen… de revenir en arrière ? »

A peine l’avait-il posée que William regrettait déjà sa question. Le soupire de la jeune femme lui faisait craindre d’avoir été maladroit, comme à son habitude. Ce n’était pas parce que lui-même ne savait plus où il en était qu’il pouvait se permettre de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Pourtant, à sa grande surprise, Helena prit la peine de lui répondre.

_ Hum disons que je pouvait retourné en arrière et je savais que si je faisais une seule erreur on m'obligerai a reprendre ma place d'origine. Disons que ma situation première n'était pas a mon gout et que je l'ai fuis. Cependant en y réfléchissant je pense que même si j'avais retrouvé mon ancienne situation celle ci n'aurait jamais été la même a cause de nombreux critères... Enfin non mon ancienne vie ne me manque pas malgré que ma décision de la quitté mais conduit a touché le fond ou presque.

Dans tout cela, ils avaient donc un point en commun. Ils ne pouvaient pas revenir en arrière. Pour lui aussi, même s’il avait voulu retrouver son ancienne vie, rien ne serait comme avant. Par contre tout le reste semblait les opposer. Elle ne semblait pas regretter sa nouvelle vie malgré le fait que cela l’avait, d’après elle, menée à une sorte de déchéance qu’il n’arrivait pas bien à cerner. Il croyait comprendre qu’elle avait elle-même fait le choix de partir. Lui s’y était senti contraint, mais au fond ce n’était peut-être pas si différent. Tout était histoire de choix.

William ne put s’empêcher de remarquer la façon qu’elle avait eut de rabattre sa manche. Il n’y aurait sans doute pas fait attention si quelques secondes auparavant elle ne s’était pas frottée ce même poignet. Mais ce mouvement somme toute bien anodin pouvait ne pas être symptomatique de quelque chose de plus important qu’une piqure de moustique. Voir même une sorte de tic nerveux. Si la pénombre ne lui avait pas masqué le tatouage, il aurait peut-être pu se poser plus de questions, mais en l’occurrence William n’accorda pas davantage d’importance au geste d’Helena et écouta la suite de ce qu’elle avait à dire.

_ Je pense que même dans la pire des impasse on peut s'y retrouver. Après tout Albert Camus n'a t-il pas dit: " il faut s'imaginer Sisyphe heureux"?

D’origine française, William avait abordé Camus au cours de sa scolarité. Mais celle-ci était bien loin, et il devait bien avouer être davantage attiré par les sciences que par la littérature et la philosophie. Son premier réflexe fut de porter la main à son smartphone pour glaner quelques informations sur le net, mais le ridicule de la situation l’arrêta. Puisant désespérément dans une mémoire qui n’était pas son meilleur atout, si tant est qu’il en ait un, il tenta de se souvenir de ce qui avait bien pu arriver au dénommé Sisyphe ! Au moment où il commençait à se dire que le ridicule ne tuait pas et que, peut-être, il pourrait se servir de son terminal suffisamment discrètement pour éviter de passer pour un ignare fini, une synapse quelconque dut se réactiver au bon endroit de son cerveau embrouillé et un vague souvenir refit surface. Les détails s’obstinaient à jouer à cache-cache, mais il lui semblait bien que cette histoire de « Sisyphe heureux » avait un lien avec le fait que l’on pouvait trouver plus de bonheur à suivre un chemin qu’à atteindre un but.

_ Je pense qu'il faut aller de l'avant et s'en sortir soi même ainsi on peut être fière de nous même et grasse au passé réussir a mieux contrôler son présent. Il n'y a jamais de retour en arrière chacun doit vivre avec son passé, sa nostalgie, ses regrets et autres... Cependant nous somme différents de sisyphe car nous avons le choix et le droit de nous en sortir. Il ne faut pas oublier que seul la mort nous arrête.

Bon. Là sa mémoire se mit aux abonnés absents, décidant qu’elle avait assez travaillé pour la soirée. William n’avait donc aucune idée de ce qui pouvait empêcher ce pauvre Sisyphe de se sortir de son pétrin, mais avec un peu de chance il n’en aurait pas besoin. Helena semblait penser qu’en tout cas eux-mêmes avaient cette latitude… se sortir de leurs problèmes. Mais entre le dire et le faire, il y avait une énorme différence. Elle avait dit qu’ils en avaient le droit… mais jusqu’à quel point ? Si d’autres devaient en payer le prix… Notre mort nous arrête indubitablement, mais celle des autres ?

Un nouveau soupire de la jeune femme sembla clore ses propos. Elle savait visiblement être diserte. Plus que lui en tout cas. Rares étaient les sujets sur lesquels il se laissait entrainer à discourir. Et puis il se savait déjà maladroit avec quelques mots, alors qui pouvait dire quels ravages il pouvait faire avec des phrases ! Mais alors qu’il s’apprêtait à lui répondre, elle reprit une dernière fois la parole.

_ Il faut profité de notre présent pour ne pas le regretter plus tard.

Il avait entendu cette phrase un nombre incalculable de fois, mise à peu près à toutes les sauces. Pourtant ce soir, après tout ce qu’Helena venait de raconter, cela ne ressemblait plus à une banalité. Cela soulevait juste une vieille question.

« Un vieil adage dit qu’il vaut mieux avoir des remords que des regrets. »

William s’était tourné vers Helena, et alors qu’un peu avant il n’avait pas voulu croiser son regard, il la regardait à présent d’un air interrogatif. Il ne tomba pas dans le piège d’essayer de deviner ce qui avait pu la pousser à changer de vie, mais cette discussion un peu surréaliste étant données les circonstances ravivait sa curiosité naturelle. D’autant plus qu’il ne s’était pas attendu à philosopher assis sur le sable en pleine nuit.

« Alors oui… peut-être qu’il vaut mieux profiter de la vie… et gérer ce qui arrive au fur et à mesure. Mais il y a quand même parfois des remords avec lesquels… il est difficile de vivre. »

S’il n’avait pas écouté son cœur… s’il s’était contenté de poursuivre tranquillement ses études sans laisser libre cours à ses sentiments… peut-être qu’il l’aurait regretté. Mais Myriam serait toujours en vie. Oui… il y avait des remords difficiles à encaisser. Mais ce qu’il venait de dire n’était pas tout à fait vrai.

« En fait, non. Vivre avec… on peut y arriver. Ou du moins survivre. C’est avancer qui est… compliqué. Nous sommes sensés apprendre de nos erreurs. Mais que faire… quand on ne contrôle pas ce qui se passe ? Comment empêcher que le passé se reproduise ? »

William se tourna à nouveau vers la mer, et son regard se perdit au loin.

« Et surtout… si on sait ce qu’il faudrait faire… mais que l’on ne le désire pas… dans quelle mesure a-t-on le droit de l’ignorer ? »