Le travail de Rémy n’était pas vraiment passionnant, mais il y mettait pourtant toute son énergie et faisait en sorte de faire ce pour quoi on le payait. Manipuler des cartes avait toujours fait partie de ses petits talents, et à force d’utiliser son pouvoir pour plumer des gens en beauté, il avait fini par se faire prendre par le patron du casino qui était lui aussi mutant… Même si la situation était un peu critique parce que chaque mutant se devait d’être discret, Rémy avait accepté une rallonge de salaire assez conséquente pour continuer à utiliser son pouvoir en vue de faire augmenter les bénéfices du casino. Beaucoup avaient l’habitude de considérer que certain types de métiers n’étaient destinés qu’à ceux qui étaient trop flemmards ou trop bêtes pour faire autre chose de leurs vies. A ceux-là, Rémy préférait ne rien répondre non pas par peur que ses paroles ne dépassent sa pensée, mais tout simplement parce qu’il n’avait pas de temps à perdre avec ce genre d’abrutis méprisants. Il était croupier pour un besoin d’argent évident, mais également parce que la manipulation des cartes faisait partie de ses talents. Et même s’il aurait bien voulu mettre à profit son second talent – pas celui qui était interdit aux moins de 18 ans, l’autre – on ne lui en laisserait plus la possibilité. Ou du moins, pas dans les mêmes conditions que par le passé…

Rémy avait été professeur à l’Institut et s’en était même plutôt bien tiré dans ce rôle compte-tenu des progrès qu’avaient fait certains de ses élèves. Seulement tous lui avaient retiré leur confiance en même temps et avaient préféré le bannir sans doute pour se protéger eux-mêmes… Rémy, lui, était resté à l’article de la mort sur un morceau de banquise. Et déchu sans doute à vie – pour le peu qu’on avait laissé dans son corps blessé – de cette possibilité d’enseigner à des gamins en difficulté avec leurs pouvoirs. Ce changement l’avait autant anéanti que ce revirement dont il avait été la cible, mais le mutant avait su rebondir. Il avait fait foirer son mariage, avait perdu une excellente motivation pour se lever le matin, en plus de l’intégralité de ceux qu’il pensait être ses amis… Ca faisait beaucoup de changements radicaux pour un seul homme. Le hasard – ou pas tout à fait – avait voulu qu’il tombe à deux reprises sur des gens capables de le secouer. De ces deux rencontres étaient nées deux certitudes qu’il avait jusque là laissé de côté : il n’enseignerait plus jamais à l’Institut, et les Xmen ne viendraient certainement plus lui demander quoi que ce soit… Et malgré cette difficulté à digérer ces vérités horribles à entendre, Rémy avait enfin rebondi, après 3 ans passés à ressasser le passé en vain.

C’est presque un homme nouveau qui avait posé quelques jours de congé avec l’idée d’aller camper dans les montagnes. C’était quelque chose que Rémy avait beaucoup fait par le passé et qui avait fini par lui passer du fait d’une certaine forme de paranoïa. Les montagnes et la forêt étaient suffisamment vastes pour qu’il ne tombe pas sur l’un de ses anciens amis, mais malgré tout Rémy s’était soigneusement tenu à l’écart des endroits où il aurait pu les croiser. Ce qui ne l’avait malgré tout guère empêché de croiser Tabitha, l’une de ses protégées, puis Jean, puis Ororo… Il devrait sans doute revoir un jour sa technique d’esquive, ou à défaut songer à quitter définitivement la ville pour s’installer dans un coin moins propice aux réminiscences d’évènements dramatiques.

Rémy avait passé 3 jours seul en pleine nature, et il n’avait pas été mécontent d’enfourcher de nouveau sa moto aux alentours de 17 heures. Le soleil commençait doucement à décliner, et une légère brise se levait, amenant avec elle un doux parfum de conifères. Après avoir sanglé son matériel sur sa moto et bien fermé les sacoches qu’il n’utilisait qu’occasionnellement, Rémy avait repris le chemin de la civilisation, une paire de lunettes vissée sur son nez. S’il avait pu croiser un policier, celui-ci l’aurait sans nul doute rappelé à l’ordre pour l’absence totale d’équipements de sécurité : pas de casque, pas de blouson ou de pantalon adéquat, Rémy était simplement vêtu d’un jean et d’un tee-shirt à manches courtes. En fait, il avait beau essayer de se rappeler d’avoir un jour acheté ou même porté un casque de moto, mais aucun souvenir de ce détail ne lui revenait en mémoire… Il avait donc eu une certaine chance d’échapper aux nombreuses contraventions qu’il méritait.

Après un virage serré, le mutant ralentit l’allure en remarquant un vieux pick-up garé sur le bord de la route et près duquel une jeune femme semblait s’agiter. Ralentissant encore un peu et plissant les yeux, Rémy remarqua ce qui ressemblait à un dégagement de fumée en provenance du véhicule, et décida après quelques secondes de se garer quelques mètres derrière le pick-up pour prêter main forte à sa propriétaire. Le mutant était connu pour sa serviabilité, notamment lorsqu’il avait l’occasion de laisser libre cours à son tempérament de charmeur, parce qu’on ne pouvait pas vraiment considérer qu’il était très exemplaire de ce côté-là depuis le fiasco de sa relation avec Malicia…

Coupant les gaz, Rémy descendit de sa moto et la cala sur sa béquille. Relevant ses lunettes de soleil sur le haut de sa tête, il fit quelques pas en direction du véhicule avant de se signaler, au cas où la jeune femme ne l’aurait pas remarqué :

Bonjour. – Son sourire s’étira avec une politesse teintée de charme. – Est-ce que vous pensez que c’est réparable ?

Sous-entendu qu’il pourrait peut-être l’aider pour lui éviter de tenter sa chance à l’aveuglette avec la tombée de la nuit qui approchait à grands pas. Sans tomber dans la paranoïa, les bois n’étaient pas vraiment l’endroit le plus sûr pour une femme voyageant seule… Inutile de préciser que Rémy ne s’attendait absolument pas à tomber sur une personne qu’il connaissait, et encore moins une personne de l’Institut…

Chevy, un amour de Pickup ^^:

Danielle roulait depuis des jours et elle commençait à trouver le temps long. Au volant de Chevy, son pick-up Chevrolet bleu que son grand-père Aigle Noir avait acheté l’année de sa naissance, la jeune femme repensa à la dernière fois qu’elle avait traversé cette route, en bordure de forêt.

A cet époque, elle allait dans le sens inverse, quittant Westchester, le manoir et les X-men, alors qu’elle avait été perdue ses pouvoirs. Le vaccin anti-mutant avait été plus qu’efficace sur la jeune femme, qui en plus d’avoir perdu ses pouvoirs, avait également connaissance et ce durant plusieurs jours. Ce souvenir la fit frissonné. Elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur… Elle avait changé depuis ce jour-là.

Elle avait fini par coupé ses longues nattes pour faire place à un carré qui encadrait le visage hâlé de l’amérindienne. Elle n’était plus la frêle jeune fille qui était arrivé à l’institut, toujours aussi mince mais elle avait pris du muscle. Moins renfermée, moins timide mais toujours aussi méfiante et surtout toujours déstabilisée devant l’étendue de ses pouvoirs. Elle resterait toujours la gentille Dani, n’ayant toujours pas fait la part des choses et se sentant parfois démunie envers la vie, sa mutation et son avenir et l’avenir des jeunes mutants en général.

Voilà pourquoi elle était en route pour l’Institut, pour retrouver le manoir et les X-men, pour trouver des réponses et donner de sa personne, se sentant redevable après ses années passées auprès d’eux. Ce besoin viscérale de revenir aider les X-men et les jeunes mutants, l’avait poussée à prendre la route au volant de son pick-up. Mais la véhicule aussi commençait à fatiguer de cette longue route.

Cahotant puis ralentissant soudainement, le moteur du pick-up s’arrêta brusquement, ramenant Danielle dans la réalité. Incrédule face au comportement de Chevy, la jeune femme s’arrêta sur la bas-côté puis tenta de redémarrer en vain.

- Non Chevy, tu ne vas pas me faire ça ? Tu as été si cool durant ce voyage…

Ouvrant la portière plus violement que nécessaire, elle sortit de son véhicule et trouva très agréable de pouvoir se dégourdir les jambes. Elle frotta ses cuisses endoloris au travers de son jeans, puis replaçant le bas de son T-shirt, elle s’avança vers le capot d’où se dégageait une légère fumée blanche. Lorsqu’elle ouvrit celui-ci, c’est un gros nuage de fumée qui s’échappa du moteur et elle grogna en se reculant.

Elle se recula et sortit son portable de sa poche mais bien sûr, elle ne captait absolument rien sur cette route. Tapant de la semelle de sa botte en daim, dans une pierre qui se trouvait à côté, elle se mit à regarder aux alentours. Elle ne devait plus être très loin de Westchester, elle pourrait y aller à pied… Tout en réfléchissant, elle tourna machinalement ses bracelets en turquoise autour de son poignet : la nuit tombait assez rapidement à cette période de l’année et elle n’avait pas envie d’arriver à l’Institut en pleine nuit.

Elle replongea sous le capot en espérant trouver le moyen de repartir, mais elle n’était pas douée pour la mécanique. Mettre de l’essence, vérifier le niveau d’huile ou changer un pneu, passe encore, mais la fumée ne lui inspirait aucune confiance. Elle essaya de trouvé l’origine de la panne quand elle entendit une voix :

Bonjour. Est-ce que vous pensez que c’est réparable ?

Finalement elle arriverait peut-être au manoir avant la tombée de la nuit. Elle s’extirpa de dessous le capot en disant :

- Je n’en ai aucune idée mais merci de vous êtes arrêt…

Lorsque la fumée se dissipa, elle se trouva en face d’un homme au sourire ravageur. Jamais elle n’aurait pu oublier ce sourire de tombeur. Elle aurait voulu prononcer son prénom, lui dire qu’elle était ravie de le revoir après toutes ses années, mais elle en était incapable. Impressionnée, étonnée de le voir ici, ou tout simplement pas préparée à retomber sur quelqu’un de son passé, elle déglutit lentement puis passa machinalement une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Elle n’était pas sûr qu’il la reconnaisse, car ils avaient changés tous les deux. Et cela faisait 6, 7 ans, peut-être même plus qu’ils ne s’étaient pas revus.

Elle était partie pour chasser l’ours de ses cauchemars et lorsqu’elle était revenue au Manoir, Gambit n’était plus là. Personne n’avait pu lui expliquer les raisons de son départ, ou personne ne voulait en parler. Elle pensait qu’il reviendrait, comme elle l’avait fait, mais tout c’était enchainé si vite qu’elle n’avait plus vraiment repensé à Gambit depuis…
Elle fit un pas en sa direction tout en gardant un certaine distance, elle se lança, la voix un peu hésitante :

- Remy, bonjour… Je ne sais pas si tu te rappelles de moi, ça fait un bail. C’est moi, Danielle, Dani, Mirage … Je ne pensais pas croiser quelqu’un de l’Instit… Croiser quelqu’un dans le coin, bafouilla-t-elle.

(très joli pick-up !)

Rémy ne manquait donc jamais une occasion de se montrer serviable, notamment lorsqu’il s’agissait de quelque chose qu’il savait faire. Il n’avait certes pas les talents de Scott en ce qui concernait la mécanique, mais il n’était pas non plus du genre à emmener sa moto au garage pour qu’on lui fasse une vidange… C’est donc en toute modestie mais avec ce sourire charmeur bien connu qu’il s’était avancé en direction du pick-up avec l’idée d’aider le conducteur en difficulté du mieux qu’il le pourrait. Conducteur qui était – comme par hasard – une conductrice… Ce qui soulevait une question très pertinente : Rémy aurait-il pris la peine de s’arrêter si le conducteur en difficulté avait été un homme ? Ce n’était pas certain…

Une tête ne tarda pas à apparaître au-dessus du capot, dévoilant un visage charmant encadré par des cheveux noirs coupés au carré. Un visage très harmonieux qui se dessinait derrière l’écran de fumée et qui empêcha dans un premier temps le mutant de reconnaître son ancienne camarade. Lorsque la fumée se dissipa enfin, Rémy resta un instant perplexe, se demandant si c’était le sort qui s’acharnait sur lui en lui faisant croiser un à un ses anciens amis… Il y avait d’abord eu Jean sur la plage avec tout ce qui avait suivi, Ororo dans un bar avec également tout ce qui avait suivi. Il y avait également eu Malicia, mais là il n’y avait eu aucune bagarre générale pour l’empêcher d’aborder des sujets trop personnels. Alors le coin où ils se trouvaient ne laissant que peu de place à une grosse bagarre générale – à part entre ours, mais c’était peu probable – Rémy avait l’impression que cette rencontre pouvait devenir un véritable fiasco pour peu que Danielle pose les bonnes questions… ou les mauvaises, précisément.

Le mutant n’avait clairement pas bien vécu son éviction des Xmen et la manière assez horrible dont on la lui avait signifiée – en tentant de le tuer – alors tout ce qui le ramenait trois ans plus tôt avait rapidement tendance à l’exaspérer et à lui donner envie de plonger dans l’alcool. Non pas que cela soit devenu un réflexe, mais l’alcool avait une tendance assez agréable à lui faire oublier ces déconvenues pour lui permettre de s’endormir serein. Il n’y avait vraiment que Malicia qui ne lui sortait plus de l’esprit quoi qu’il puisse faire, parce qu’il l’avait vraiment eue dans la peau, et sans doute éprouvait-il encore des choses très fortes pour elle… mais elle avait préféré un glaçon prépubère. Alors à quoi bon se faire du mal ?

Les souvenirs concernant Danielle était nettement moins désagréables, même si elle lui avait foutu une honte pas possible en laissant entrevoir à tout le monde que malgré l’impression de bien supporter le fait d’avoir une relation chaste avec Malicia, Rémy ne rêvait que d’une seule chose… et cette chose n’avait absolument pas impliqué le fait de jouer aux cartes avec elle, comme beaucoup avaient pu en juger. Mais il ne lui en avait pas voulu parce que pour en avoir bavé avec ses pouvoirs, il savait à quel point certains dérapages étaient difficiles à éviter même en souhaitant le contraire. C’était le principal souvenir qui lui revenait en mémoire concernant la jeune cheyenne, parce qu’elle avait quitté l’Institut il y avait pratiquement 7 ans. Mais il ne l’avait pas oubliée. Et elle non plus ne l’avait pas oublié, parce qu’elle prononça assez rapidement son nom, s’approchant jusqu’à un certain point tout en essayant de se rappeler à lui… C’était peine perdue parce que Rémy avait une excellente mémoire pour les choses peu joyeuses, et que le fait de perdre tous ses amis en une seule fois était vraiment la moins joyeuse de toutes les choses qu’il avait pu vivre.

Finalement, tu reviens à la civilisation ?

C’était une blague qu’il avait pris l’habitude de lui faire à l’époque, notamment parce que Danielle avait un rapport tellement fusionnel avec la nature qu’on la trouvait plus facilement dans la forêt que n’importe où ailleurs. La situation était étrange et Rémy ne savait pas vraiment sur quel pied danser, notamment parce qu’il ne savait pas jusqu’à quel point ses anciens amis avaient bavé dans son dos… Danielle s’était absentée bien avant que Malicia ne s’improvise Super Commère, alors s’il avait de la chance, la jeune femme qui lui faisait face n’était au courant de rien.