James se retourna dans son lit en grognant. D'une main lourde, il se saisit de son réveil et le balança contre le mur, comme tous les matins. L'engin n'avait cessé de sonner depuis une heure et James venait tout juste de trouver l'énergie nécessaire pour faire taire son bourreau mécanique. Comme il était dur physiquement d'avoir passé ses jours de la semaine à dormir, boire et fumer et passer ces soirées à faire seulement ces deux dernières activités ! En tout cas, James avait l'impression d'être épuisé. Worthington étant en déplacement, il se retrouvait sans-emploi pour les quelques jours à venir et sa semaine de chôme improvisée n'avait pas tardé à lui faire récupérer ses sales habitudes.

Une demi-heure plus tard, James était douché et habillé, vautré sur un transat de la terrasse, son premier verre de la journée en main et une cigarette déjà allumée aux lèvres. Le jeune homme prenait un malin plaisir à laisser la fumée froide s'infiltrer par la fenêtre grande ouverte de son adorable voisin. Il dégusta tranquillement son verre de whisky en finissant sa clope et laissa en évidence sur la terrasse le cendrier fumant et son verre, dans le bon esprit de narguer son voisin. En regardant son téléphone, James s'aperçut avec mauvaise humeur qu'il s'apprêtait à être -une fois de plus- en retard au rendez-vous que Tina lui avait fixé. Elle semblait s'être mise dans la tête l'idée de le faire sortir et le mutant se demandait bien pourquoi. Il avait cédé à son invitation dans un moment de faiblesse et aux yeux brillants que lui avait adressé son ex-femme, il craignait être obligé passer par la si redoutée case « taxe de luxe ». Si James aimait un minimum avoir belle allure, faire les magasins était bien une chose qui l'insupportait. Avec regret, il quitta finalement l'appartement pour rejoindre le centre commercial de Hell's Kitchen où Tina devait l'attendre.

Un nouveau regard à son téléphone lui indiqua qu'il avait de l'avance. Pas assez bête pour ne pas profiter de l'occasion d'être seul dans un centre commercial, un loup dans une bergerie, James se dirigea droit vers une femme qui lui lançait de langoureux regards à travers la vitrine d'un magasin. Enfin, femme... elle pouvait tout aussi bien être mineure, mais ce n'était pas pour déranger James. Il s'approcha d'elle avec un sourire qui dévoila ses dents blanches et passa sans attendre une main autours de son cou. James était du genre direct, et si certains s'en offusquaient, c'était pourtant ce qui faisait en grande partie son charme. Les politesses hypocrites du quotidien l'ennuyaient profondément, aussi ne prenait-il pas la peine de s'en embarrasser. Et alors que ses lèvres approchaient celles de l'inconnue étonnamment peu farouche, il sentit deux bras le tirer en arrière. Loin d'abandonner la partie, James se débattit et même si le type qui lui faisait face était du style armoire à glace, il ne prit pas peur pour autant. Il avait appris depuis longtemps que quitte à foutre le bordel, autant ne pas faire dans la demi-mesure.

Une beigne plus tard et traîné hors du magasin par ce petit-ami un peu trop jaloux, James pestait. Et Tina qui n'était toujours pas là... à ce fâcheux constat, son téléphone se mit à vibrer et le brun décrocha.

- Qu'est-ce que tu fous, putain ? T'es où ?
- Je suis désolée... je vais devoir rester travailler encore jusqu'à 16 h. Un imprévu.

Avec colère et frustration, James éclata son téléphone contre le sol dallé sans prendre même la peine d'en entendre davantage. Pourquoi est-ce que tout allait de travers ? Il aurait mieux fait de rester coucher. Entre cette fille pour qui il paye des regards infidèles -et oui, c'était sa vision des choses- et Tina qui le plante... L'objet éclata sous la force d'un tel choc et rebondit sur quelques mètres. Sans doute parce que James était trop en colère pour avoir un parfait contrôle de soi, le téléphone émit de vagues soubresauts avant de s'éteindre définitivement. Tant pis. De toute façon, c'était un vieux modèle qui ne valait plus rien. A vrai dire, James anticipait parfois ses achats vis-à-vis de crises de colère à venir. Ainsi, s'il détruisait des choses sans aucune valeur marchande, ce n'était pas bien grave. Et bon sang, ce que cela défoulait !

Attiré par une enseigne de restauration, James s'était faufilé avec habileté dans la queue et avait brillamment réussi à gruger tout le monde. Un café brûlant entre les mains et un sandwich frais, il entendit une conversation se dérouler dans la file d'attente de la sandwicherie dont il sortait.

Il était là, et… BWOUF ! Disparu 
Je suis sûre que c’est l’un de ces mutants…
Je préfère manger ailleurs, ça peut finir par être dangereux.

Le regard mauvais, James détailla le groupe qui discutait. Une petite vieille, un couple, un quinquagénaire et deux étudiants.

- C'est ça, barrez-vous, cracha-t-il. Con**sse ménopausée, ajouta-t-il entre ses dents à l'adresse de la grand-mère, pas mécontent de pouvoir déverser un fragment de sa colère permanente sur quelqu'un.

Pourquoi à la grand-mère ? Parce qu'il était bien connu que les vieux étaient tous incapables de vivre avec leur temps et n'étaient de ce fait que des ordures conservatrices. Au regard perdu et affolé que lançait un jeune homme partout autours de lui, James ne mis pas longtemps à comprendre que la raison d'un mouvement de panique parmi ces gens bien-pensant, c'était lui. En même temps, vu la gueule paniquée qu'il tirait, il ne fallait pas être une lumière pour en arriver à de telles conclusions. En mâchonnant son sandwich, il s'approcha de lui et sans chercher à faire preuve de discrétion, lui lança :

- Alors c'est toi, le phénomène ?

Bonjour, excusez-moi… vous auriez la monnaie sur 10$ ?

Ce n'était pas à lui qu'on s'adressait, mais James ne pu s'empêcher de détailler de bas en haut avec un regard ostentatoire la blonde qui abordait le mutant. Elle semblait clairement plus âgée que lui ou l'autre affolé mais cela n'enlevait bizarrement rien à son charme ou même à une certaine beauté.

Dites-moi que c'est une cougar ! Une prière muette, les yeux vers le ciel. Si Dieu existait, qu'il se manifeste maintenant !

James avait bel et bien capté le message que les yeux de Valentin lui envoyaient, il avait simplement décidé ne pas en tenir compte. En réalité, plus l'embarras du mutant augmentait, plus James s'amusait. Bien qu'il ne cherchait pas sciemment à lui attirer des ennuis, il se fichait pas mal des conséquences que son intervention pourrait créer. Puisqu'il avait l'occasion de rigoler, pourquoi se priver ? Les soucis d'un autre ne devaient pas constituer son problème, sa préoccupation ou venir piétiner sur son terrain de jeu. Inconscient ? Oui. Égoïste ? D'autant plus qu'il n'en avait pas tout à fait conscience. Dangereux envers les inconnus ? Certainement. Mais si ça permettait de prendre du bon temps, c'était tout pardonné.

Difficile de louper la manière dont Valentin avait détaillé l'inconnue. Si James manquait de discrétion, Valentin ne semblait pas être un champion non plus et le brun ne rata pas la façon dont il avait littéralement déshabillé du regard la blonde. Aussitôt, James commença à considérer différemment ce mutant dont la mauvaise maîtrise de son pouvoir lui servait jusque-là plus de bouffon que de rival. Il s'était fait jeté tout à l'heure, pas question de laisser un novice de première comme celui-ci lui couper l'herbe sous le pied ! Que Valentin le veuille ou non, il allait lui servir de faire-valoir. James écouta vaguement ce dernier bredouiller quelque chose afin de tenter d'orienter la conversation sur un sujet qui lui serait avantageux. Pas question de le laisser faire, de lui donner le temps de reprendre confiance en lui. Avec cet air idiot de panique sur le visage, il ne représentait aucun danger imminent pour la virilité de James mais s'il commençait à s'y croire, c'était de mauvaise augure pour les affaires.

Phénomène ?

Le si charmant sourire de son interlocutrice n'échappa pas à l'œil aiguisé de James qui avait l'habitude d'observer dans les moindres détails une fille qui savait attirer son attention. Il était d'ailleurs persuadé qu'avec les années, il y parvenait désormais sans se faire griller. Il ne put manquer d'y répondre en affichant un sourire qu'il espérait tout aussi charmant avant de lâcher :

- Ben oui. Vous n'avez pas vu ? Avec des types comme lui, David Copperfield a du soucis à se faire.

Il avait lancé ça d'un ton affirmé alors qu'en réalité, cette phrase se voulait tout sauf flatteuse. Derrière cette éloge déguisée se cachait le désir d'éliminer Valentin de la catégorie concurrent. Ce dernier avait d'ailleurs opté pour une manœuvre qui l'amènerait sur un sujet moins délicat. Avalant la bouchée qu'il venait de prendre, James confirma les paroles d'Andréa d'un hochement de tête.

- Très bon, dit-il en agitant son sandwich sous le nez de Valentin peut-être pour le narguer ou pour lui montrer son aspect appétissant. Désolé, ajouta-t-il plus pour éviter de se faire engueuler que par sincérité tandis qu'un morceau de thon atterrissait dans les cheveux du jeune homme.

- Laissez tomber, dit-il finalement à l'adresse d'Andréa, après l'avoir observé ranger sa monnaie fraîchement acquise. Je vous invite.

La tête haute et le regard fier, le torse légèrement bombé, il essayait de se donner des allures de gentleman. Seulement, quand on s'appelle James Charles Donovan, que l'on vient d'insulter une vieille et d'exploser son portable sous le coup de la colère, mieux vaut peut-être s'en abstenir pour ne pas tomber dans le ridicule... quoique, certains trouveraient cette maladresse infantile charmante.