River, ou la gars qui jamais ne s'arrête. Pourtant il restait calme, serein. Avec sa mère, impossible de rester tranquille, déjà il était impossible de la faire se tenir tranquille, alors il la poursuivait un peu partout, trop soucieux de la garder avec un moral au beau fixe pour la brider dans quoi que ce soit. Ensuite, lorsqu'elle ne pouvait pas faire les choses, c'était lui qui courait lui faire. Ca plus les études, plus le job à mi-temps. Au secours!

Il aurait pu se confier à une personne de son entourage, un bon pote de fac, ou les voisins. Ils sont charmants les voisins, d'ailleurs! Des amours, qui s'occupent beaucoup de garder Mme Andreas en forme et occupée, lorsque son fils n'était pas dans les parages. Et puis pour l'aider à souffler un peu aussi. Puis surtout, parce que la compagnie de Maman Andreas était justement très agréable, il était impossible de s'ennuyer avec elle à coté de vous. Dynamique, elle l'était, énergique aussi. C'était la tatie de tous les enfants du coin. Même si son fils restait son préféré.

Mais comment aller avouer en prime à un camarade de classe, aussi intime soit-il, que River pouvait recevoir les pensées des gens? Directement dans sa tête à lui? Et que lorsqu'il ne fait pas attention, c'est encore pire, c'est ses pensées à lui qui filent vers la tête des gens. Alors il arrivait à sauver les apparences, à priori ça filtrait comme s'il avait parlé tout haut. Alors si jamais il avait pensé quelque chose de travers, il s'excusait et c'était tout. Pour l'essentiel, il se forçait surtout à ne pas penser. Ou au moins à ne pas se contredire entre ce qu'il pense et ce qu'il dit d'habitude. Au départ ça avait été difficile, mais maintenant ça passait.

Enfin, hier ça avait été terrible. Rien de pire que d'habitude, mais sa migraine avait décidé d'empirer, l'empêchant de dormir. Après une vraie nuit blanche, il avait commencé par renverser son déjeuner sur son pyjama, et ensuite, la douche n'avait plus d'eau chaude pour le détendre. Misère de misère, et au final, lorsque sa mère lui avait proposé une partie de jeu de société avec quelques jeunes voisins, il avait pris la mouche, et en se passant les nerfs sur sa pauvre maman. Il ne criait pas souvent, mais cette fois, il n'avait pas su s'arrêter. Et il était sorti en claquant la porte, laissant là sa mère et les ados. Pourtant en temps normal, il aurait volontiers joué avec eux, mais là c'était trop.

D'un pas rageux, il avait commencé à suivre les flots de gens sur les trottoirs puis au final, il ne supportait pas de les suivre, de les entendre penser. Il avait oublié son baladeur dans la salle de bain, ce qui l'ennuya encore plus. Alors il chercha un endroit où il pourrait se trouver seul.
Une bibliothèque était l'endroit rêvé pour qu'il devienne fou, jamais il n'y mettait les pieds. Comme les gens ne pouvaient pas parler, il pensaient tout et n'importe quoi encore plus fort que lorsqu'ils sont dans une rue bondée avec des travaux.

Il déboucha enfin sur le parc. Enfin! Le paisible parc, où même les plus bavards ne pensent à rien. Le calme, c'était parfait! Encore que certains fredonnent dans leur tête les musiques qu'ils écoutent en somnolant. Bah, pas grave, c'est pas comme si River avait l'habitude...

Il mit un certains temps avant de trouver un coin tranquille. Le parc semblait envahit de monde, impossible de trouver un coin isolé, à l'ombre. Et c'est là qu'il a commencé à saigner du nez. La vache, et il n'avait pas de mouchoir sur lui. La poisse, la poisse! « Rah, bordel! Manquait plus que ça! » Pesta le garçon entre ses dents, et en boucle! Pinçant ses narines avec une main, il tenta de déchirer son t-shirt avec l'autre main et ses dents... c'était vraiment la poisse, mais là, il ne pouvait rien faire de plus.
Et ça le gavait vraiment! Comme il ne pouvait plus remuer les lèvres pour se soulager, il pesta à l'intérieur. Certaines personnes se retournèrent sur lui, en le voyant se débattre, le rendant encore plus antipathique. Il n'était pas encore au stade de les insulter, mais les voir passer faire une grimace et le laisser se débrouiller tout seul avec ses malheurs... Ben ça l'écœurait. Ça ne leur arrivait jamais de saigner du nez et de pas avoir de mouchoir, peut-être?

En plein combat avec sa chemise, River ne pensait pas faire pitié à autant de monde, et pourtant qu'on le laisse crever la bouche ouverte comme ça, sur le bord du trottoir. Ca lui donnait une impression de voyeurisme, les gens ne s'arrêterait pas pour l'aider, tout simplement parce que s'ils s'arrêtent, c'est pour regarder, et si ce n'est pas spectaculaire, ils ne s'arrêtent pas. Mais porter secours? Jamais de la vie. Comme si un saignement de nez pouvait être contagieux! C'était à se poser des questions tout de même.

Alors il avait pris sur lui, et restait dans son coin. Seulement, à aucun moment il n'avait pensé à se munir de mouchoir. Déjà les poches de son jean étaient bien assez remplies, pas moyen d'en rajouter ne serait-ce qu'un mouchoir en tissus. Déjà son portable, son walkman, son portefeuille, quelques papiers dont il ne savait même plus l'origine, si ça se trouve il aurait pu les jeter que ça n'aurait rien changé. Bref, pas moyen de mettre un paquet de mouchoir! Une sacoche? Roh! Ne soyez pas chiens! Quand y'a pu de place, y'a pu de place!

Bref, en plein combat à mort avec son t-shirt, une voix, très féminine, s'éleva, toute proche du pauvre handicapé, et lui proposa son aide. Seulement, autant il avait le pif transformé en fontaine, autant ça semblait lui ralentir les capacité cérébrales. « Oh, oui, merci! » répondit-il après quelques secondes nécessaire pour qu'il tilte sur la situation. Il saisit le mouchoir et commença à s'éponger le bas du visage avec. Quelle providence! « Tu me sauves la vie... » soupira-t-il lorsque l'opération fut terminée. Il dégluti difficilement, le goût du sang lui plongeant directement dans la gorge... C'est que malgré toutes ces années, il n'arrivait pas à s'y faire, c'était toujours aussi désagréable, ce goût de rouille qui vous coule dans la bouche, sans que vous puissiez rien y faire. Erk!

River fut entrainé à l'écart, par la jeune fille, pour leur permettre de mette fin tranquille à la mésaventure du garçon. Oui mais c'était sans compter sur les mésaventures de la demoiselle. Alors qu'il s'affairait à se débarbouiller, tout en usant de mouchoirs pour essayer de contenir l'hémorragie nasale, le jeune homme allait demander à sa sauveuse si elle avait un miroir pour lui. Mais lorsqu'il tourna les yeux vers elle, elle n'était pas souriante ni même neutre, elle était en train de pleurer! « Qu'est-ce que... Tu pleures? Qu'est-ce qu'il t'arrive? J'ai... c'est parce que j'ai fini ton paquet? Je suis désolé, comme tu l'as laissé entre nous, j'ai cru que je pouvais me servir... Je suis désolé, je te rendrai ce que tu m'as donné, je te promets... Est-ce que ça va? » s'inquiéta-t-il.

Peu habitué aux pleurs, River était plutôt du genre à tout garder pour lui. Même ses amies à la fac ne pleuraient pas souvent, du moins pas en public, et il ne lui semblait pas que les personnes avec qui il avait réussi à avoir un peu d'intimité relative aient jamais pleuré. Que devait-il faire pour essayer de la consoler? Y avait-il quelque chose à dire? Un mot de passe ou un mot magique? En tout cas, il espérait bien que ce n'était pas de sa faute, et que si jamais c'était le cas, il saurait au moins réparer ce qu'il avait fait. C'était quand même la honte de faire pleurer une fille qui vient vous aider non?
Se débattant toujours avec son sang, les mouchoirs, son t-shirt, il n'osait plus trop renifler, ni bouger, ni même respirer trop fort, des fois que cela soit la soucis. Mais il avait les yeux fixés sur elle, tant qu'il pouvait, un air soucieux parfaitement peint sur le visage, avec quelques traces de sang encore, malgré le mouchoir. Un indien dans la ville aurait voulu un interprète, on aurait juste eu à lui colorer les cheveux...