Li Ming avait l’intention de passer un bon week-end. Cela faisait longtemps qu’elle avait eu si peu de travail, alors elle tournait comme un lion en cage chez elle. Il fallait qu’elle trouve quelque chose à faire, qu’elle s’occupe. Elle s’était mise à nouveau devant son ordinateur portable, pour la huitième fois en une heure, elle consulta ses mails. Rien de nouveau, pas l’ombre d’une commande d’authentification…
Elle se leva de sa chaise, et traîna les pieds, en déshabillé, jusqu’à son dressing. Là, elle chercha parmi ses robes quelque chose de correct à se mettre pour une petite sortie ce soir…Elle fit défiler toute sa garde-robe élégante, jusqu’à en venir à la conclusion qu’elle n’avait rien de correct, tout était passé de mode depuis au moins deux semaines…Une éternité. Sa garde-robe était vraiment devenue trop ringarde, il lui fallait de nouvelles robes de soirée.
Elle enfila sa petite robe noire et courte qui contrastait si bien avec sa peau d’albâtre…Un tissu de taffetas blanc faisait le tour de sa poitrine. Elle coiffa à nouveau ses cheveux lisses et noirs, et les releva en queue de cheval parfaite, pas un cheveu n’en ressortait. Elle se maquilla rapidement, et accrocha à ses oreilles des boucles d’oreilles en diamant en forme de goutte d’eau. Une fois préparée, elle attrapa son petit sac à main de cuir noir à anses de mailles couleur or, et y versa le contenu essentiel, plus un petit nécessaire de maquillage d’urgence. Elle prit ses clés de voiture, et sortit du parking en direction du centre-ville.
Une fois arrivée au centre commercial, elle se dirigea directement vers les magasins de grands couturiers, elle savait toujours ce qu’elle voulait. Une fois dans le magasin, elle observa les différentes robes. Autour d’elle, la jeunesse new-yorkaise aisée faisait la fine bouche devant les plus belles tenues existantes. Li Ming se dirigea vers quelques personnes qu’elle connaissait, puis, après avoir fait les politesses de base avec une petite conversation anodine sur les nouveaux modèles de Chanel, elle reprit son shopping. Alors qu’elle observait une robe très longue en tissu froissé de couleur prune, le vendeur vint vers elle.

« Mademoiselle Wei, ça faisait un moment qu’on ne vous avait pas vue… »

Li Ming ne se préoccupait pas tellement du sort des vendeurs et vendeuses. Elle préféra le remettre à sa place, comme à chaque fois qu’elle venait.

« Non, j’ai beaucoup de travail à la galerie. Et je choisis mes tenues seules, je n’ai pas besoin d’aide. »

Le vendeur s’en reparti déçu, n’ayant pas même obtenu un regard de Li Ming. Celle-ci commençait à observer avec soin les coutures, lorsque son PDA se mit à vibrer dans son sac. Elle le sortit promptement. Un message d’un destinataire inconnu indiquait :

« Où es-tu ? »

Li Ming leva un sourcil circonspect. Personne ne se serait adressé aussi familièrement envers elle, personne à part lui…Le destinataire ne faisait aucun doute. Sortant son stylet d’argent gravé à ses initiales, LMW, elle répondit sobrement :

« Devine. »

Puis, elle reprit son shopping, se tournant notamment vers ce superbe tailleur pantalon de couleur beige, avec une matière si surprenante…

Une fois fini chez D&G, elle se dirigea chez les créateurs de chaussures, afin d'acheter des chaussures assorties à ses nouvelles tenues. Elle ne semblait pas s'inquiéter pour l'émetteur du message sur son PDA, allant d'un magasin à un autre sans soucis autre que de trouver les vêtements les plus branchés à porter en cette saison.
Elle entra chez Jimmy Choo, elle aimait l'extravagance de ses créations. La vendeuse la connaissait plutôt bien ici, elle lui dit juste bonjour lorsqu'elle entre, puis la laisse choisir seule. Il faut dire que Li Ming dépensait beaucoup d'argent dans ces magasins, alors on ne pouvait pas trop lui faire de remarques au sujet de son comportement...
Son choix se porta sur une paire de sandales noires vernies à bride d'argent, ainsi que trois ou quatre autres paires toutes plus différentes les unes que les autres. Alors qu'elle sortait sa Platinium d'un geste élégant, son instinct s'éveilla. Elle sourit, reprit sa carte, et, ses mains petites et fines pleines de sac, eux-mêmes remplis de vêtements, et se dirigea vers la sortie de la boutique. La vendeuse se précipita vers elle:

"Attendez mademoiselle, je vais vous tenir la porte..."

Li Ming sourit, et ajouta d'un ton neutre:

"Ne vous donnez pas cette peine."

En effet, la porte s'ouvrit devant elle, sans même qu'elle n'en fût étonnée.

"Bonjour Li Ming."

Elle continua son chemin dans le hall de la galerie marchande, se dirigeant vers la sortie, du coté du parking. Sans le regarder, elle lui répondit:

"Bonjour Pavel. Cela faisait longtemps. J'ai eu un doute quant à savoir si tu saurais me retrouver, toi qui ne fait même pas la différence entre une paire de Jimmy Choo et une paire de tongs..."

Malgré les apparences, elle était plutôt heureuse de voir son frère, cela faisait bien trois ans qu'elle n'avait pu entendre le véritable son de sa voix. Les seuls contacts qu'ils avaient eu étaient par mail ou par colis. Des colis très spéciaux, leur valeur étant généralement inestimable...Des pièces d'art, que Pavel destinaient au marché noir, et qu'il devait faire expertiser par une personne de confiance, qui ne s'enfuirait pas avec. Seul Li Ming pouvait lui rendre ce service.

"Depuis le temps que je n'ai pas de nouvelles de toi, j'espère au moins que tu m'as rapporté un petit souvenir d'Europe, pour me dédommager des dernières expertises que j'ai réalisé pour toi..."

Bien entendu, elle ne parlait pas d'une petite tour Eiffel en plastique en parlant de souvenirs, elle parlait surtout d'œuvres d'art.

"Les murs de mon appartement sont tellement vides...et ce n'est rien comparé à mes meubles."

Li Ming savait que son frère ne pouvait rien lui refuser, tout bonnement parce qu’elle ne lui refusait jamais un coup de main. L’argent, elle en avait suffisamment pour payer toutes ses frasques, alors la seule chose qu’elle réclamait de Pavel, c’était des « cadeaux » qu’il lui trouvait lors de ses fréquents voyages. Généralement, c’était un lot d’objets tous provenant du même continent, qu’elle triait selon leur valeur et leur esthétique. Elle en gardait certains pour la déco chez elle, quant aux autres, elle les vendait sur le circuit légal sans problème, étant donné que son statut d’experte était reconnu par ses confrères. Et, il faut dire aussi que ça l’amusait, d’embêter Pavel, elle n’avait pas toujours beaucoup de personnes à embêter, ou du moins, ça n’aurait pas été très bon pour sa position sociale.
Alors qu’elle avançait, Pavel revint à sa hauteur pour lui tendre un bout de papier. Elle réussit, malgré son amas de sac, à prendre le papier dans une main pour l’observer. Une lettre suivie d’un chiffre. La seule chose à laquelle ça lui faisait penser pour l’instant, c’était à un coffre, voulait-il cambrioler une banque ? Une bijouterie ?
Elle le vit soudain mettre ses mains dans ses poches, et fronça les sourcils. Elle était pourtant sûre de lui avoir déjà expliqué que c’était vraiment peu glamour comme geste…mais sachant que ce geste signifiait généralement qu’il devait lui demander quelque chose (et que ça le mettait mal à l’aise), elle se tût et attendit qu’il lui explique quoi.

"C’est le numéro d’un container aux quais. Ca arrive tout droit d’Afrique."

Un petit sourire flotta sur les lèvres de Li Ming. Les sculptures africaines en bois étaient très à la mode en ce moment, et si ce container était plein, elle pourrait sans problème proposer à la gérante de faire une exposition africaine à la galerie d’art, ça aurait beaucoup de succès, et ça lui ferait du travail en plus…

« J’ai besoin de ton aide. »

Elle souffla :

« Je le savais. »

Sans prendre garde à son intervention, il poursuivit :

"Je vais voir un gars louche tout à l’heure, j’ai besoin que tu me couvres."

Li Ming cessa soudain son comportement léger de gamine pour prendre un air plus sérieux, voire soucieux. Elle n’avait plus participé aux missions de son frère depuis ce tragique épisode de sa vie où elle avait cru mourir, et le fait de s’imaginer recommencer éveillait en elle des sentiments contradictoires. D’abord, elle était contrariée, parce qu’elle avait dit qu’elle ne le ferait plus. Cette vie dangereuse…l’empêchait de savourer les délices de la vie comme porter chaque jour une tenue de grand couturier différente, ou changer de compagnon toutes les nuits. Mais de l’autre coté…sa vie était si platonique depuis qu’elle avait quitté son statut d’étudiante branchée…
Elle allait lui répondre qu’elle était okay, mais il le savait déjà, parce qu’il ajouta :

« Et puis surtout, j’ai besoin d’un costard. »

Son rire franc, clair comme du cristal, s’éleva dans l’air, faisant se retourner quelques hommes qui passaient.

« ‘coute, j’ai pas choisi le lieu de rencontre. »

Amusée, elle lui répondit :[i/]

« Je m’en doute bien, sinon tu aurais choisi un endroit où tu aurais été plus à l’aise. Je crois qu’un « ami » a oublié son costard un jour chez moi…ça devrait être ta taille. »

[i]Elle ne s’attarda pas à lui expliquer que l’ami en question avait été virée chez elle au petit matin sans sommation ni vêtements lorsque Li Ming avait trouvé dans son portefeuille tombé sur le parquet, une photo d’une blondasse à forte poitrine dont la robe rouge criarde jurait terriblement avec son vernis violet foncé…

« Au fait, t’as su ce qu’on était ? On a pas vraiment un don, ou plutôt si, mais visiblement on est pas les seuls. »

Li Ming fronça les sourcils, et observa autour d’elle pour voir si on n’écoutait pas.

« Tu devrais pas parler de ça en public, ces gens-là se font traquer. On ne m’a jamais remarquée jusqu’alors, et je ne compte pas que ça change. Je l’ai découvert durant mes études, on en parlait à la télévision, et j’ai fait quelques recherches. Je pense qu’on doit figurer dans les plus discrets des cas… »

Ils étaient arrivés au parking. Elle s’avança vers son cabriolet rouge, posa quelques sacs, et appuya sur sa clé. Les feux clignotèrent, et on entendit se déverrouiller les portes. Elle déposa ses sacs dans son coffre.

« Justement, tu nous mènes ? »

Sans répondre, elle s’installa au volant, attendit qu’il s’asseye à coté d’elle, et démarra.

« On passe chez moi d’abord pour se changer, et puis derrière on ira à l’opéra. »

Elle fit vrombir la voiture, et sortit en trombe du parking.

[HRP: la suite prochainement à l'opéra...]